"Enfin, les jeunes se disent que le théâtre ce n’est pas forcément chiant !”
L’autrice et comédienne franco-iranienne Aïda Asgharzadeh arrive à Bruxelles avec sa nouvelle pièce “Les poupées persanes”, récit d’aventures et d’amour entre l’Iran et la France. Du 7 au 12 février au Centre culturel d’Auderghem.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/773f294d-56c4-4d07-acee-8ef7063dead9.png)
Publié le 06-02-2023 à 15h13
C’est à l’adolescence qu’Aïda Asgharzadeh, autrice et comédienne née à Paris de parents iraniens exilés, découvre leur histoire homérique. “À 15 ans, je me suis rendu compte que c’étaient des héros. Et, d’un coup, j’ai voulu raconter leur histoire, pour que tout le monde sache, car, moi-même, j’avais eu jusque-là un regard jugeant sur eux.” Enfant, elle se sentait, en effet, “très en colère” contre sa famille : “Déjà, elle m’avait donné un nom imprononçable. Ensuite, elle m’imposait les origines d’un pays que personne ne connaissait alors : 'Irak ?' 'Non, non, Iran'. Donc, je disais que j’étais Espagnole”.
Si Aïda Asgharzadeh a toujours été élevée dans la culture persane – “je savais qu’on venait d’Iran, qu’on avait de la famille là-bas ; on parle persan ; on fête le Nouvel an iranien…” –, “c’était, en revanche, compliqué de savoir pourquoi mes parents avaient fui l’Iran, qu’est-ce qui s’était passé et à quel point ils étaient impliqués ou non”, se souvient-elle. “Et, quand j’ai été en âge de comprendre, ils restaient très évasifs. Ils n’arrivaient pas à me répondre objectivement.”
C'était compliqué de savoir pourquoi mes parents avaient fui l'Iran."
Elle cherche alors des réponses dans les livres d’histoire et commence à lire ses premiers bouquins sur l’écriture scénaristique, en vue de raconter l’épopée de ses parents. “À l’époque, j’imaginais plutôt écrire un film.” Elle a 15-16 ans quand elle couche sur le papier un premier jet de scénario. Et, sourit-elle, “il y avait déjà bien une espèce de base des Poupées persanes”, la pièce qu’elle a créée en 2021 au festival d’Avignon, avant de triompher à Paris cet hiver et de débarquer à Bruxelles dès ce 7 février.
À dos de cheval
Doublement licenciée en Lettres modernes et en cinéma audiovisuel, Aïda Asgharzadeh a également étudié le théâtre. “C’est très compliqué de parler de soi et de ses parents, donc j’ai commencé par écrire d’autres histoires.” Mais l’envie de raconter le parcours de ses parents ne s’était pas pour autant éteinte. Alors, elle a pris son dictaphone et a écouté longuement son papa lui raconter l’Iran de sa jeunesse, celui des années 70 en proie à la révolution islamique, et leur exil en France : fuir l’oppression pour vivre libre. Libre de penser et de s’exprimer. “Ma sœur a quatre ans de plus que moi et est née en Iran. Lorsque mes parents ont fui, elle a vraiment fait la traversée du Kurdistan à dos de cheval dans une tempête de neige.”
C’est nourrie de ces images et récits du passé qu’Aïda Asgharzadeh a tissé Les Poupées persanes. Le pitch ? L’épopée s’ouvre à la manière d’un conte, très présent dans la culture iranienne, et mêle deux intrigues. L’une met en scène quatre étudiants dans l’Iran des années 70 ; l’autre, une mère, d’origine iranienne, et ses deux filles, venues fêter le passage à l’an 2000 dans la station de ski d’Avoriaz, en France. Au fil de la pièce, ces deux espaces-temps vont joyeusement s’entremêler entre politique, résistance, résilience, amour, humour, fiction et réalité…
Six comédiens, une vingtaine de personnages
Sur scène, ils sont six comédiens, dont Aïda Asgharzadeh, à incarner une vingtaine de personnages différents. “En tant que comédienne, je trouve ça tellement ennuyeux d’être dans un spectacle et d’avoir de longs moments où on ne fait rien alors qu’on pourrait être sur le plateau, estime-t-elle. Donc, je tiens à ce que tout le monde soit tout le temps actif”. Une volonté de rythme et d’énergie que l’on retrouve dans le théâtre d’Alexis Michalik, avec qui le metteur en scène des Poupée persanes, Régis Vallée, a beaucoup collaboré. “Alexis est mon meilleur ami depuis 15 ans, et Régis, pareil. On appartient à la même bande, confie-t-elle. Alexis et moi avons les mêmes goûts : Mnouchkine, Mouawad, Robert Lepage… Moi, les huis clos m’ennuient : je ne saurais pas écrire ça. Je n’aime pas le théâtre de dialogue. J’aime quand il se passe des choses et que l’ancrage historique est fort, ce qui permet d’exacerber les émotions.”
Une dynamique qui séduit, en particulier les jeunes spectateurs. “On s’est rendu compte au Théâtre des Béliers à Paris qu’il y avait beaucoup de spectateurs entre 20 et 30 ans. C’est une très belle nouvelle ! Enfin, les jeunes se disent que le théâtre ce n’est pas forcément chiant !, se réjouit Aïda Asgharzadeh. C’est dû aussi au fait que, parmi les auteurs et metteurs en scène, nous sommes de plus en plus de jeunes trentenaires et quadragénaires (Alexis Michalik, Johanna Boyé, Mélody Mourey…) à nous en emparer, à faire du théâtre populaire qualitatif”.
Parmi les auteurs et metteurs en scène, nous sommes de plus en plus de jeunes trentenaires et quadragénaires (Alexis Michalik, Johanna Boyé, Mélody Mourey...) à faire du théâtre populaire qualitatif."
”Pas qu’une fiction”
Leur théâtre se distingue aussi par un subtil mélange de la fiction à la réalité. Or, aujourd’hui, la terrible réalité que vit le peuple iranien depuis la mort de Mahsa Amini en septembre dernier fait plus que jamais écho aux Poupées persanes. “Je suis contente que la pièce ait trouvé un intérêt sans l’actualité, dans le sens où elle a été programmée à Auderghem depuis 2021, ressent l’autrice. Mais, évidemment, la pièce a un écho très fort auprès des spectateurs, car ils se rendent compte que ce qui est raconté dans la pièce, même si cela déroule il y a 40 ans, est en lien avec ce qu’il se passe aujourd’hui en Iran. Ils comprennent que Les Poupées persanes n’est pas qu’une fiction, qu’une histoire qu’on raconte, mais que ce sont de vraies personnes qui ont lutté et ont fui. Cela rend le spectacle beaucoup plus réel et concret”.
-- > Bruxelles, Centre culturel d’Auderghem, du 7 au 12 février. Infos et rés. au 02.660.03.03 ou sur www.ccauderghem.be