Karine Ponties: “Je suis convaincue que la poésie peut sauver le monde, en tout cas le soigner”
Sa création “Le Complot du quotidien” se profile aux Brigittines. À découvrir en doublé, avec “M·Ondes” de Marielle Morales, du 28 mars au 1er avril.
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Publié le 21-03-2023 à 16h07
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Dans l’actualité de Karine Ponties et de sa compagnie Dame de Pic, il y a: un nouveau lieu, “enfin!” Un endroit brut, ouvert, avec deux plateaux et des stocks pour les décors. Un lieu mutualisé avec d’autres compagnies (Bête Noire, Jessica Gazon, Tumbleweed), et aussi ouvert aux étudiants en recherche. Car la chorégraphe coordonne par ailleurs le master Marionnettes d’Arts². Un projet de film, Recordis, dont la quarantaine d’interprètes – “de 20 à 60 ans” – témoignera de son expérience de la compagnie. “Des gens de partout: Lituanie, Japon, Russie, Sénégal… qui se croisent dans une fresque, avec l’idée de se pencher sur chaque individu, son parcours, son passage. J’ai envie de les retrouver sans nostalgie mais dans le présent de chaque personne. ”
Et des projets à foison, “formulés dans notre contrat-programme”, l’un de ceux, nombreux, remis à la Fédération Wallonie-Bruxelles à la fin de 2022.
Le quotidien avec Perec
Et puis il y a Le Complot du quotidien, la création qui, sur le point de voir le jour aux Brigittines, mobilise une équipe qui phosphore sans relâche. Et promet de conjuguer “une tristesse profonde et une joie bruyante”.
Toujours intensément nourrie par les autres arts – les films et singulièrement l’animation, “la reine du mouvement”, la peinture et les arts plastiques, la musique dans une moindre mesure, la littérature –, la chorégraphe cite ici Georges Perec: “Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant de ne pas se cogner”, écrit-il dans L’Infra-ordinaire, où l’auteur de La Disparition et Espèces d’espaces développe l’idée que les événements spectaculaires, les accidents, “nous font oublier le sens du vivant”.

Or Le Complot du quotidien parle aussi de cela: “la visibilité, la manière dont plein de personnes et de choses disparaissent petit à petit”, à bas bruit. Ainsi la chorégraphe met-elle en scène un duo – Arès D’Angelo et Martina Martinez Barjacoba – où d’autres personnes interviennent: Éric Domeneghetti comme directeur technique de plateau, Antoine Plaisant à la régie scénique. Équipe que complètent Guillaume Toussaint-Fromentin à la dramaturgie et aux lumières, David Monceau à la musique, Stephan Dubrana à la scénographie, Gaëlle Marras aux costumes.
Nous dans le monde, le monde en nous
Le complot du titre, c’est à la fois le supposé grand plan qui régit la société (“croire ça nous rassure, mais peut-être que c’est juste une grande glissade”, sourit notre interlocutrice) et la machination du spectacle lui-même. Le choix qu’on fait de rendre apparente ou non sa mécanique, de dévoiler les ficelles, la magie.
À nouveau, la chorégraphe explore les sujets qui la traversent, et qu’elle résume d’un trait: “Comment révéler la poésie dans l’absurdité humaine”. Voilà son moteur. “J’ai toujours cru que la poésie pouvait sauver le monde, ou en tout cas le soigner.”
La poésie donc. “Une façon d’être au monde, une attention aux choses, aux personnes. Comment on n’en finit pas de redécouvrir un visage qu’on connaît pourtant depuis trente ans…”
Formuler que le quotidien puisse être l’objet de machination, c’est ouvrir un espace de liberté infini.”
Avec ici cet aspect supplémentaire: “Comment s’affranchir davantage de nos faiblesses” alors même que l’on se trouve “dans un système où, pour se révéler soi, on doit passer par des techniques extérieures”, constate Karine Ponties.
Or l’art qu’elle cultive avec sa compagnie Dame de Pic propose justement le chemin inverse: “Non pas la traduction de nous dans le monde, mais la traduction du monde en nous. ”
Improvisation, montage, langage
À cet endroit précis s’inscrit l’autre inspiration du Complot du quotidien: ses interprètes. Qui ont choisi la chorégraphe, et inversement. Arès D’Angelo et Martina Martinez Barjacoba sont “des êtres en perpétuel décalage, qui ne font rien de façon ordinaire; c’était fascinant de remettre du quotidien là-dedans”, glisse Karine Ponties.
Sa méthode de travail implique plusieurs dizaines d’heures d’improvisation: “on recherche des états, on en laisse surgir d’autres, on choisit, on va retrouver certaines choses, et puis ça devient du montage”, les moments se décomposent, se recomposent, s’articulent les uns avec les autres. Un langage s’invente, s’écrit – car plus rien, dans la représentation, n’est improvisé, même si l’organicité du tout en donne l’illusion.
Un langage fait “de soubresauts, de bégaiements”, dont la recherche prend du temps, et par lesquels la créatrice a le goût de “cultiver l’impertinence”, au cœur du “monde réel peuplé d’événements dénués de sens”, où “l’ordinaire devient une possibilité d’extraordinaire”.
- Le Complot du quotidien & M·Ondes aux Brigittines, Bruxelles, du 28 mars au 1er avril – 02.213.86.10 – www.brigittines.be
“M·Ondes”, exercice de contamination par la matière son
Marielle Morales, avec sa compagnie Mala Hierba, construit une œuvre habitée par sa fascination pour les ondes, les résonances. Cette nouvelle création, inspirée notamment par sa découverte de l’ASMR (autonomous sensory meridian response : phénomène de bien-être induit par un stimulus sensoriel, souvent sonore) ne fait pas exception.
Joliment intitulé d’un mot-valise à charnière, M·Ondes met en scène 3 femmes et leur progressive contamination par la matière son. Dans un paysage, “un écosystème chorégraphique” qui, développe la chorégraphe, “va de l’individuel vers le collectif”. Les corps, distincts, se rejoignent à travers la pulsation, explique-t-elle.

Marielle Morales aussi convoque la poésie pour décrire M·Ondes, mais également l’humour, l’énergie. “La poésie, c’est mon rapport au mouvement, cet espace qu’on crée avec une dose d’imagination, beaucoup d’expérience. L’espace poétique, c’est transcender le concret dans le temps de la scène, le passer à travers les matières. Et puis découvrir, au bout, ce qu’il y avait d’autre dedans, et qu’il faut éprouver physiquement.”