“Carcass”, rituel de tous les contrastes
Signée Marco da Silva Ferreira, une fête des corps divers dans les fissures du monde. Au festival LEGS.
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Publié le 27-03-2023 à 09h22
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À l’avant-scène, une batterie donne le tempo. Carcass sera percussif. Successivement, les corps s’avancent, s’élancent, se rejoignent et s’agencent en groupe mouvant. Une sarabande de physionomies, d’âges, de couleurs, de genres divers.
Les costumes noirs, ajustés, échancrés, segmentent les mouvements. Dans une marche bondissante, syncopée, obstinée, les voilà qui gagnent le plateau surélevé, sur fond blanc, tandis que des nappes electro (Luís Pestana) s’insinuent dans le rythme (João Pais Filipe).
C’est une troupe, un troupeau, une meute d’êtres singuliers qui se déploie. Une parade qui bientôt devient barrage, chaîne humaine, vague, et bien davantage encore, tandis que s’élargit aussi le spectre des couleurs.
Communauté urbaine aux racines mêlées
Venu à la danse par le sport – il est diplômé en physiothérapie –, Marco da Silva Ferreira (°1986) l’aborde en autodidacte, au contact des danses urbaines d’inspiration afro-descendante. Hautement physique, sa manière d’appréhender la chorégraphie porte les traces de ce parcours. Lui qui, devenu performeur professionnel, remporta même en 2010 la version portugaise du concours télévisé So You Think You Can Dance.
Résolument contemporaine, cette pièce en particulier se nourrit de rites – aussi actuels qu’ancestraux – pour en inventer de nouveaux, à la mesure d’une communauté d’interprètes dont les disparités et la cohésion composent un tableau enthousiasmant.
Salle des fêtes, ring et agora
Danses en ligne, sarabandes, fêtes populaires, jusqu’au clubbing et aux battles inscrites dans l’espace public: cette grammaire moins narrative qu’intuitive s’articule pourtant avec netteté sur la scène, tantôt arène, ring, tantôt salle des fêtes, piste, gymnase, agora.
Il y a du chœur d’ailleurs, de corps comme de voix, dans Carcass. Jusqu’à un chant de lutte, les interprètes figurant ensemble la bouche géante qui l’entonne. Jusqu’aux mots fugacement tracés du bout de la lampe torche, et qui pourtant s’impriment durablement sur nos rétines: “Tous les murs tomberont.”
Aux dix interprètes (dont Marco da Silva Ferreira lui-même) et aux musiciens en scène s’ajoute, dans l’ombre, une imposante équipe, des costumes à la scénographie en passant par les recherches anthropologiques. Une communauté plurielle pour questionner sa propre cohésion composite, dans l’articulation du folklore et de l’ultra contemporain, de la mémoire et des lendemains, avec pour fil rouge une rébellion généreuse de tous les instants. Une fête des corps d’aujourd’hui et de toujours, dans les fissures du monde.
Car, si la carcasse est ce qui reste après que tout s’est disloqué, c’est aussi la charpente : Marco da Silva Ferreira questionne ainsi tant la dissolution que la constitution de nos références, individuelles ou partagées, dans une pièce dont l’énergie et la radicalité – comme dans Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones de Jan Martens – sont de taille à rendre la danse contemporaine accessible au plus grand nombre.
- Carcass, les 28 et 29 mars à la Raffinerie, Bruxelles. Dans le cadre du festival LEGS, en cours jusqu’au 1er avril. Infos, programme complet, rés.: 071.20.56.40 – www.charleroi-danse.be