Le Kunstenfestivaldesarts 2023: transversal, théâtral, inclusif
Le grand festival international et bruxellois se tiendra du 11 mai au 3 juin. Un tourbillon de 34 projets artistiques, dont 23 premières mondiales, de 28 pays différents, dans 24 lieux partenaires – dont le Théâtre royal des Galeries ! Une 28e édition traversée par des axes forts, des propos actuels, des singularités à foison.
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Publié le 27-03-2023 à 21h09 - Mis à jour le 27-03-2023 à 01h23
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Chaque printemps, le dévoilement du KFDA nouveau fait l’effet d’une fulgurante montée de sève. Et l’édition 2023 ne fait pas exception, qui nous invite à la réinvention – de soi, de nos regards sur l’autre et sur la ville, des processus artistiques. Ample et ambitieuse, leur programmation des codirecteurs artistiques Daniel Blanga Gubbay et Dries Douibi combine des formes et des échelles diverses, dans une multiplicité de lieux, avec une large palette de personnalités, venues du monde entier.
International par nature et bicommunautaire de naissance – son nom en faisant foi –, le Kunstenfestivaldesarts est l’un des premiers de cette ampleur à avoir pris le pli de présenter les œuvres dans leur langue originelle, en offrant des surtitres bilingues, bientôt enrichis d’anglais.
Ode à la réinvention
Si chacune de ses éditions s’élabore sans thématique a priori, le Kunsten voit émerger des axes dans sa programmation. Les langues et leur apprentissage en est une, relève Daniel Blanga Gubbay, désignant avec la poétesse libanaise Mirene Arsanios – quand elle écrit “Je parle ma langue à la troisième personne” – la langue comme un interstice où la réalité non seulement s’inscrit mais se renouvelle.
C’est l’un des prismes sous lequel considérer la venue de l’Allemande Susanne Kennedy avec son théâtre à l’esthétique post-humaniste. Dans un studio de télévision qui reproduit son appartement, Angela revit sans cesse la même journée. La répétition offre-t-elle des brèches pour la réinvention?

Réinvention encore avec Amanda Piña, au Théâtre royal des Galeries (nouveau venu surprise parmi les lieux partenaires du Kunsten que ce théâtre à l’italienne aux cieux peints par Magritte). Elle déploie dans Exótica une imagerie fantasmée de la jungle et relit l’histoire de la danse européenne avec des interprètes qui, autrefois, n’auraient paru là que sous une bannière exotique.
Repenser les normes
Réinvention toujours avec les normes questionnées, défiées même par l’Écossaise Claire Cunningham. Elle bâtit Thank you very much avec des artistes à mobilité réduite, comme elle, et qui ont pour autre point commun une passion pour Elvis. “La chorégraphe se sert des sosies ou ‘tribute artists’ pour observer la manière dont la société voit le handicap, et l’injonction à imiter la normalité”, développe Daniel Blanga Gubbay.
Attentif de longue date à se rendre accessible au plus grand nombre, le Kunsten passe cette année la vitesse supérieure, et met l’accent sur l’inclusivité des publics à besoins spécifiques. Mobilité réduite ou surdité en font partie – et certaines représentations sont proposées avec une traduction simultanée en langue des signes (LSFB pour J’ai une épée de Léa Drouet le 20/5, VGT pour Thank you very much le 27/5).
Prendre conscience ensemble des normes présentes, c’est aussi comprendre les mécanismes d’exclusion
Il s’agit d’une réflexion longue et profonde “dans l’équipe et avec les artistes”, souligne Dries Douibi. “Prendre conscience ensemble des normes présentes, c’est aussi comprendre les mécanismes d’exclusion: le fait que notre manière habituelle d’être ensemble dans un théâtre peut être discriminatoire. Certaines personnes ont des difficultés avec l’obscurité complète, le fait de devoir rester dans le silence, le niveau sonore élevé…”
Accès élargi
Toutes ces préoccupations – qui sont encore peu celles des institutions et parfois davantage celles des artistes – trouvent une voie de résolution dans ce qu’on nomme relaxed performance : une représentation “avec toujours un minimum de lumière, la possibilité de sortir et d’entrer, de s’exprimer pendant, l’accès à un espace calme en retrait, à de l’eau, mais aussi la possibilité de visiter l’espace à l’avance pour se familiariser, voir déjà d’écouter des fragments du spectacle”.
Autant de petits paramètres qui permettent d’élargir sensiblement l’accès. Un travail à long terme, note encore Dries Douibi. Qui s’accompagne de médiation, d’observation, d’analyse, d’évaluation. “Pour améliorer les dispositifs, et voir aussi si d’autres structures peuvent nous suivre dans cette voie, et apprendre de cette expérience.” Tout ceci concerne non seulement les personnes autistes et/ou neuroatypiques, mais aussi bien plus largement de larges pans de la population, y compris les publics familiaux.
”Le festival a bien sûr pour mission d’accompagner l’émergence de nouveaux langages artistiques, mais aussi de nouvelles pensées, de nouvelles façons d’expérimenter l’art. Parfois on essaie des choses, et c’est aussi à nous d’écouter comment la société évolue.”
Apprentissages et familles choisies
Retourner la norme, c’est ce que propose Tania Bruguera dans le cadre de la Free School, ce pan du festival fondé en 2019, gratuit et largement ouvert. Là où l’apprentissage des langues locales est usuellement tenu pour une condition de l’intégration, The School of Integration/Lexicon offrira des cours de chinois, de portugais, d’arabe, de lingala ou encore d’ukrainien, parmi la centaine d’idiomes qui cohabitent à Bruxelles.

Dans l’émergence des axes qui traversent cette édition riche de 34 propositions, les programmateurs pointent les familles choisies. Celle de la communauté trans d’Abidjan, par exemple, dont la chorégraphe Nadia Beugré met en lumière les solidarités dans Prophétique (On est déjà né·es). Celles dont les liens se font jour dans l’échange quotidien du voisinage chez Kuro Tanino. Celle qui naît du rapprochement des corps – artistes et public – dans un espace-temps commun (Nocturnes for a Society de Myriam Van Imschoot et Lucas van Haesbroeck, pour toute une nuit à K1/Kanal).
Productivité et contre-récit
Nos modes de vie précipités, la frontière compressée entre monde professionnel et vie privée, s’invitent également parmi les propositions du festival. Dans une performance de 3h, Dana Michel représente et déconstruit la manière dont le corps est influencé par le travail et la vie au bureau. Entrée en solidarité avec le personnel d’une usine dont l’emploi a été délocalisé, la compagnie italienne Kepler-452 a créé Le Capital, un livre que nous n’avons pas encore lu, avec ses travailleurs et travailleuses: qu’est-ce qui émerge quand la production s’arrête? Que signifie une société qui pousse chaque moment de la vie en objet de production? c’est sur ce terrain que nous entraîne Midori Kurata, recréant sa rencontre avec un courtier tentant de lui vendre une assurance-vie pour capitaliser sur sa mort.

D’autres contre-récits, plus politiques ceux-là, émaillent également cette édition du KFDA, avec la jeune metteuse en scène polonaise Gosia Wdowik évoquant la tension entre le burn-out et l’activisme, avec l’artiste russe fugitive Victoria Lomasko traçant la vie d’artiste dissidente en cinq étapes, ou encore avec Amir Reza Koohestani qui part de l’arrestation d’une femme en Iran pour une publication sur Instagram.
La réinvention, on l'a compris, est le fait des artistes. Et du festival?
”Souvent et beaucoup! répond Daniel Blanga Gubbay. D’abord parce qu’on est surtout un festival de création, à l’écoute des modes de production, à la recherche de nouveaux lieux, de nouvelles temporalités – comme cette année toute une nuit à Kanal, ou à l’aube au parc Duden.”
Pas formaté, le Kunsten n’a pas de lieu spécifique à remplir. “Mais chaque année nous devons recréer cette rencontre entre le public et les artistes, dans les meilleures conditions.” Malgré la pandémie puis la hausse brutale des coûts de l’énergie, “on veut rester un festival international, pour faire circuler les arts et les artistes bien sûr, mais aussi pour les spectateurs et spectatrices, à qui est offerte une programmation polyphonique qui nous confronte à des visions singulières.”

EN PRATIQUE
- Fiche signalétique: Le Kunstenfestivaldesarts, 28e du nom, se tient dans 24 lieux partenaires (théâtres, centres d’art, musée, cinéma, skate park, boîte de nuit, salle omnisports…) à Bruxelles, du 11 mai au 3 juin 2023.
- Centre du festival: Billetterie, point de rencontre, expo, bar, resto, librairie, concerts, ateliers, fêtes se retrouvent aux Brigittines.
- Tickets: En vente dès le 5 avril, avec différentes formules et pass.
- Infos, programme complet, rés.: 02.210.87.37 – www.kfda.be