Johan Leysen, 1950-2023, géant des scènes et des écrans
Décédé inopinément, à 73 ans, l’immense acteur aura marqué des générations par l’acuité de son jeu – que ce soit devant l’objectif de Patrice Chéreau, de Joachim Lafosse, de Terrence Malick, ou sur les plateaux orchestrés par Guy Cassiers, Kris Verdonck ou Milo Rau.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/56207dc1-4449-4789-b3e7-11e31d796eb5.png)
Publié le 31-03-2023 à 16h54 - Mis à jour le 31-03-2023 à 17h22
:focal(715x484.5:725x474.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/T7RHY7WZL5B6RA3VRQ7XEHYOHI.jpg)
Silhouette nette, profil comme taillé à la serpe, regard perçant, léger accent : Johan Leysen est une balise dans le paysage théâtral et audiovisuel belge. Un repère pour beaucoup. Et la quintessence de l’interprète. Ce jeu, aigu et naturel à la fois, ce natif de Hasselt (où sa sœur jumelle Frie Leysen et lui voient le jour le 19 février 1950) en pose les premières bases lors de ses études à Anvers au studio Herman Teirlinck, avant de partir s’installer à Amsterdam, berceau d’une avant-garde culturelle intense tandis que la Flandre, dit-il, était “un peu endormie”.
Bien réveillée depuis, la scène flamande expérimente et s’exporte, et a pu compter au fil des décennies sur cette figure pour lui servir de visage, sinon d’ambassadeur. Mais réduire à la Flandre le rayonnement de Johan Leysen serait un non-sens, tant l’acteur – capable de jouer dans quatre langues – s’est glissé dans une multitude de rôles. Entamée aux Pays-Bas, sa carrière se développe notamment en France, où il s’installe.
C’est là que Jean-Luc Godard le recrute, à sa manière désinvolte, pour le rôle du professeur dans Je vous salue Marie (1983), à la place de BHL, pressenti par le cinéaste. “J’ai répliqué que si je n’étais pas philosophe j’étais au moins, moi, comédien”, raconte un Leysen amusé.
Et quel comédien ! Le public découvrira les facettes de son talent dans d’innombrables films, téléfilms et séries. On se souvient de son politicien Simon Delval, père de la juge d’instruction Claire Delval (Anne Coesens), dans la série politico-policière Pandore.
C’est devant la caméra de Marion Hänsel que Johan Leysen fait ses premiers pas au cinéma, en 1981 (Le Lit). Son expérience s’étoffera largement, avec entre autres Gérard Corbiau (Le Maître de musique, 1988, puis Le Roi danse, 2000), André Delvaux (L’Œuvre au noir, 1988), Stijn Coninx (Daens, 1992, et Sœur Sourire, 2009), Patrice Chéreau (La Reine Margot, 1994), ou encore Joachim Lafosse (Élève libre, 2008), Anton Corbijn (The American, 2010), François Ozon (Jeune et jolie, 2013), Jaco Van Dormael (Le Tout Nouveau Testament, 2015), jusqu’à Terrence Malick (Une vie cachée, 2019).
Attaché au théâtre
Côté théâtre, auquel il restera très attaché tout au long de son parcours, Johan Leysen participe dès le début des années 80 à l’essor de la vague flamande, avec Hugo De Greef, Josse de Pauw, De Schaamte, Anne Teresa De Keersmaeker, Jan Lauwers (Needcompany), Jan Ritsema… “Cela surgissait de rien, on n’avait pas de tradition en Flandre, c’était notre force”, expliquait-il. Dans les générations suivantes, il travaillera beaucoup, entre autres, avec Kris Verdonck.
On le verra régulièrement aussi sur les scènes françaises et internationales, ici et ailleurs. Il sera entre autres Ulysse au TNP, en 2009, dans Philoctète de Jean-Pierre Siméon, d’après Sophocle, mis en scène par Christian Schiaretti. Bientôt, le public du Festival d’Avignon se familiarise avec cet acteur captivant, au timbre de voix singulier, à la présence tantôt discrète, tantôt intense. En 2011, dans la cour d’honneur du Palais des papes, il campe Gilles de Rais dans Sang et Roses de Tom Lanoye, créé quelques semaines plus tôt au Toneelhuis d’Anvers sous la direction de Guy Cassiers.
En 2013, à la carrière de Boulbon, c’est un Johan Leysen royal, autoritaire et vulnérable qui paraît, mis en scène par Ludovic Lagarde, dans Lear is in town de Frédéric Boyer et Olivier Cadiot.

Habitué du Kunstenfestivaldesarts – fondé et longtemps dirigé par sa sœur Frie Leysen, ardente découvreuse des voix singulières sur les scènes du monde –, Johan Leysen collaborera à plusieurs reprises avec Milo Rau. Notamment dans Five Easy Pieces, où le metteur en scène suisse revisite l’affaire Dutroux, ou dans La Reprise – Histoire(s) du théâtre I, qui reconstitue l’assassinat homophobe d’Ihsane Jarfi. En 2019, l’acteur accompagnait l’équipe du NTGent en Irak en vue de la création d’Oreste à Mossoul.
Un parcours fait d’engagement, d’amour du jeu, de remise en question, par un interprète dont la brusque éclipse – jeudi 30 mars, d’un arrêt cardiaque, à 73 ans – laisse à la fois un grand vide et un souvenir intense à quiconque, artiste ou public, a croisé son chemin.