Pourquoi le théâtre pour bébés est pris d’assaut
Voici venir la grande saison des festivals d’art pour les tout-petits, un art aujourd'hui très demandé. Les dix raisons d’un succès inespéré.
Publié le 13-05-2023 à 16h43
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Bientôt un mois que la petite Emma barre les jours sur son calendrier en attendant de retourner voir des “pestacles”, appellation désormais contrôlée tant la langue des enfants fourche chaque fois au même endroit. Du haut de ses deux ans – et demi ! – elle avait adoré, l’an dernier, suivre les Circles de l’Helios Theater avec ce sable qui fuit du seau suspendu, le mouvement de balancier de galets, les cercles qui se dessinent et le regard du charismatique Michael Lurse. Une demi-heure intense qui avait fasciné tous les enfants assis en carré autour de la scène.
Bientôt une heure que la maman de Marcel, 19 mois – déjà ! – , clique sur le site de La Montagne magique pour réserver des places au festival L’art et les tout-petits, et se désespère. La plupart des spectacles semblent complets.
Tout d’abord, rassurer la maman de Marcel. Des places se libèrent chaque année durant le mois qui précède l’événement et les annulations pour cause de varicelle, trachéite ou double booking parental permettent de rencontrer d’autres demandes.
Ensuite expliquer les raisons d’un tel succès.
1. Salles combles. Pépites, par le Théâtre de la Guimbarde se tiendra du18 au 25 mai à Charleroi. L’art et les tout-petits à La Montagne magique aura lieu du 27 mai au 11 juin. Comme toujours, les deux festivals font quasiment salle comble et les listes d’attente s’allongent comme celle de nos envies. Un constat d’autant plus surprenant qu’a priori le concept de théâtre pour les bébés pourrait sembler saugrenu. Et pourtant, dès le début, la machine s’est emballée. Les artistes du monde entier ont été de plus en plus nombreux à s’intéresser au véritable genre en soi qu’est devenu cet art pour tout-petits. Leurs spectacles de qualité offrent en outre une double lecture pour les parents. Assister à une pièce de théâtre pour bébé est une expérience unique qu’on oublie rarement. Parents et enfants en redemandent souvent. L’essayer, c’est l’adopter.
2. Le bouche à oreille. Outre les moyens de communication plus aisés aujourd’hui, le bouche à oreille, comme le confirme Aurélie Clairembaux du Théâtre de la Guimbarde, joue un rôle important. Après deux ans d’interruption pour cause de covid, le festival a été pris d’assaut avant même que les flyers soient envoyés. “Vu le succès remporté en 2022, le théâtre a augmenté l’offre de 50 % et les places partent déjà comme des petits pains. Les parents qui viennent au théâtre avec leur petit font preuve de curiosité. Ils ont envie de partager la découverte et des moments privilégiés”.
3. L’accueil. Il existe tout un cérémonial d’accueil pour que les enfants se sentent bien et se familiarisent avec le théâtre. On n’arrive pas ventre à terre, cinq minutes avant le début de la représentation. Les compagnies s’organisent pour accueillir au mieux les familles, comme avec la très belle installation Troglodytes, du théâtre de la Guimbarde, au centre de laquelle deux artistes aident l’enfant à s’émanciper. Espace dédié à l’exploration, invitation à la contemplation et au plaisir des sens, loin du temps qui passe et du bruit qui sourd, cette déambulation poétique prépare, sans en avoir l’air, à la représentation et sera présente le dimanche 21 mai à Pépites.
4. Le prix de l’intimité. Pour mieux respecter les enfants, ces spectacles se jouent devant de toutes petites jauges, de 20 à 100 personnes, en général. Résultat, les salles sont vite combles et même si les programmateurs dédoublent les représentations, ils ne peuvent répondre à la demande. C’est en effet le défaut et la qualité de l’exercice, le prix de l’intimité et de la rareté. Ce cocon, de plus en plus exceptionnel, et donc de plus en plus recherché, loin des milliers de vues sur les réseaux sociaux, offre un moment unique et précieux.

5. Une première rencontre. “Il s’agit d’une première rencontre pour les parents et l’enfant avec l’art, avec une œuvre qui est autre, avec de vrais instruments de musique.... C’est une ambiance, une sensation, une réelle découverte à vivre ensemble”, nous dit Floriane Palumbo de La Montagne magique.
6. Label de qualité. Conçus par des artistes professionnels qui s’intéressent parfois au sujet depuis de longues années, les pièces ou concerts pour bébés regorgent d’inventivité et de créativité. Ils adoptent d’autres langages, privilégient le toucher, la sensorialité, l’ouïe, l’odorat, tous les sens qui seront ensuite trop souvent oubliés. Ils initient aussi à l'art ancien ou contemporain comme Lagneau des cies Pudding et 4 Haut Belgique qui sera le 18 mai au Musée des Beaux-Arts de Charleroi.
7. Le plaisir. Un élément très important que connaît bien l’Helios Theater, venu d’Allemagne et spécialisé dans la petite enfance. Son spectacle H2O, joué plus de 300 fois sera à La Montagne magique, le 11 juin. “L’eau a quelque chose de fascinant. Dès qu’on la voit, qu’on l’entend, on sourit. Quand les petits sont en contact avec elle, c’est tout leur corps qui vibre. Nous créons toujours à partir de matières comme la terre, le bois, le sable ou l’eau et permettons aux enfants de venir les toucher à l’issue de la représentation. Pour les parents, il y a également une dimension philosophique dans nos spectacles” nous dit le comédien Michael Lurse.
"C’est chez les tout-petits que le créneau artistique est le plus important. La recherche n’y est pas encore aboutie. On peut aller plus loin. Le bébé intéresse d’ailleurs de plus en plus les neurologues."
8. Un théâtre de demain. Karel Van Ransbeeck de la Compagnie De Spiegel sera à La Montagne Magique les 3 et 4 avec Nez qui coule ou quand Nez regarde Œil et qu’on se bouche les oreilles : “Le besoin de connexion physique s’est encore accru après le covid. Il y a un vrai besoin de se rencontrer, surtout entre grands et petits. Nez qui coule utilise le virtuel en l’exagérant et comme un outil pour s’ouvrir à l’autre. Pourquoi le nier ? On l’utilise comme un transmetteur. Le théâtre est une autre réalité, telle celle d'être ensemble parents et artistes”. Le metteur en scène nous dit encore toucher plus d’adultes via les spectacles pour tout-petits. “Ils sont plus ouverts, cherchent moins à comprendre, reçoivent mieux la sensorialité. Ils s’ouvrent plus à la communication lorsqu’ils sont avec leurs enfants. Puis, c’est chez les tout-petits que le créneau artistique est le plus important. La recherche n’y est pas encore aboutie. On peut aller plus loin. Le bébé intéresse d’ailleurs de plus en plus les neurologues. C’est aussi un théâtre de rituel tel celui que l’on connaissait avant le théâtre à l’italienne. Et c’est ce théâtre-là qu’il importe de développer aujourd’hui car les histoires racontées de A à Z, les gens peuvent les voir dans les soap operas à la télévision. L’avenir du théâtre se trouve du côté de l’universel, de l’expérimental pour mieux communiquer avec un public habitué au virtuel. Il faut aller dans le vrai. La présence de l’acteur donne une autre vibration.”
9. Recherche. La recherche a été foisonnante, les compagnies se sont multipliées en Europe, les festivals aussi, pour proposer du vrai théâtre aux tout-petits et aux parents ou professionnels qui les accompagnent. Entre autres avec le projet européen Mapping, A Map on the aesthetics of performing arts for early years. C’est aussi grâce à Mapping que la Guimbarde a créé Tiébélé, au menu le 21 mai et que le festival Pépites pourra accueillir, les 19 et 20 mai, une pièce venue de Grèce, Here I come !/Me voilà de l’Artika Theatre Company, qui se demande comment les jeunes perçoivent les adultes et comment l’imagination aide notre compréhension de la réalité. Ainsi que Tunnel de la compagnie lituanienne Klaipéda Puppet Theater, le 23 mai, basé sur l’alliance entre la lumière et l’obscurité mais aussi la peur et le courage. Dans le même esprit, Click ! , de la compagnie française Skappa ! &Associés, à Charleroi le 24 et à Bruxelles les 27 et 28 mai, jouera des abat-jour qui ne s’allument pas toujours aussi facilement qu’on le croit.
10. Déjà une longue histoire. En France, la première politique d’éveil culturel des tout-petits date de 1989 sous Jack Lang, alors ministre de la Culture et Hélène Dhorlac de Borne, secrétaire d’État à la Famille. Il s’agissait à la fois de démocratiser la culture, en utilisant comme levier la petite enfance, et d’améliorer la qualité des milieux d’accueil. Beaucoup d’études avaient déjà été réalisées sur les émotions et la sensibilité des bébés. Et on en sait de plus en plus, notamment sur la sensibilité au Beau. CQFD ?
-- > Pépites, du 18 au 25 mai, à Charleroi. De 4 mois à 6 ans. www.laguimbarde.be
-- > L’art et les tout-petits, du 27 mai au 11 juin, à La montagne magique. De 6 mois à 5 ans. ww.lamontagnemagique.be