Au Kunstenfestivaldesarts: “Parler une langue est sans cesse une performance”
Ahilan Ratnamohan crée un récit réflexif et performatif où son apprentissage du français se superpose à ses autres identités.
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Publié le 24-05-2023 à 20h23
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Que fait une langue à celui ou celle qui l’apprend? que dit-elle du pays où on la parle? Une traduction infidèle, solo créé à la Balsamine en coproduction avec le Kaaitheater, creuse ces questions avec une tendre âpreté.
Sur le noir des planches, des couleurs franches et peu de choses : une table, une chaise. Ahilan Ratnamohan s’avance sur le mode de la confidence. Revient sur le moment de choisir le prénom de sa seconde fille: un rappel de ses origines tamoules cède devant son goût pour d’autres sonorités. En tirant le fil de cet acte – nommer non seulement ce qui l’entoure, mais une personne – l’artiste déroule la pelote de son rapport à la fois intime et politique à la langue.
Regard sur la belgitude
Lui, Australien, anglophone, familiarisé aux arts vivants via des VHS de spectacles des Ballets C. de la B. et de Wim Vandekeybus, arrivé en Europe à 20 ans. Puis en Belgique. Parce que “si tu veux être artiste, tu vas en Belgique”; quant à y rester, ce n’était pas planifié. Mais la vitalité et le rayonnement de la culture flamande font le reste. Si, à ce stade, Une traduction infidèle a des faux airs de stand-up, le performeur déplie cette boîte aux contours trop nets pour révéler ses contenus complexes – avec la complicité de Petar Sarjanovic à la dramaturgie.

La forme reste simple. Le fond, lui, nous entraîne avec humour dans les profondeurs et contorsions de la belgitude, vue sous le prisme linguistique, voire flamand – un “Vlaamse blik”, ou “Flemish gaze”. Car Ahilan Ratnamohan l’a constaté: “Depuis 2013, j’habite à Anvers et j’ai travaillé comme artiste à peu près partout en Europe, mais hormis une excursion en Ardenne (où je me retrouvais entouré de Flamands !) je n’ai jamais passé la frontière entre la Flandre et la Wallonie.”
Joué en français, son solo est construit autour de cet apprentissage, mettant en perspective les frontières et les identités linguistiques à l’œuvre sur le territoire belge, mais aussi le poids d’une langue par rapport à une autre, les chemins qu’emprunte la culture, les traces du passé affleurant à travers l’étymologie… là où la langue est aussi l’instrument du pouvoir.

La maladresse et l’obstination font partie intégrante d’Une traduction infidèle. La linguistique y déploie ses dimensions politiques, presque polémiques. Et physiques – tant la langue requiert l’engagement du corps – donc chorégraphiques.
L’imperfection et le processus non seulement s’invitent mais s’affirment dans cet opus évolutif par nature, minimaliste par choix, et aussi léger en apparence que vecteur de profuse réflexion.
- Bruxelles, Balsamine, jusqu’au 27 mai. Dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts, en cours jusqu’au 3 juin – 02.210.87.37 – www.kfda.be