À Villers-la-Ville, l’impitoyable “Lucrèce Borgia” fait couler le sang, le vin et les larmes
Jeu, chant lyrique et danse : Emmanuel Dekoninck propose une mise en scène percutante du mélodrame de Victor Hugo, superbement scénographié dans les ruines de Villers-la-Ville. À voir jusqu’au 12 août.
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- Publié le 16-07-2023 à 19h32
- Mis à jour le 17-07-2023 à 16h39
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Pièce de théâtre relativement peu connue de Victor Hugo, Lucrèce Borgia (1833) a trouvé à Villers-la-Ville le terrain de jeu idoine pour y être présentée au public. Posée en angle au cœur de l’Abbaye, la scène s’étire tout en longueur face à un parterre et un grand gradin de quelque 900 places. En son centre, deux structures métalliques sur lesquelles sont greffés des Leds symbolisent les arches d’un palais. En transparence et tout autour, les pierres de Villers-la-Ville embellissent ce décor minimaliste.
Nous sommes à Venise, au XVe siècle. Le Carnaval bat son plein. Un jeune homme dort profondément : Gennaro (Geoffrey Tiquet), jeune capitaine au service de la Sérénissime. Il ne se déplace jamais sans ses compagnons d’arme : Maffio Orsini (Jérémie Zagba), Jeppo Liveretto (Antonin Compère), Oloferno (Siam De Muylder) et Ascanio Petrucci (Jonas Jans). Ce sont ces quatre-là qui, en chœur, ancrent le récit et plantent le décor, en ouvrant le spectacle par une chorégraphie inspirée des arts martiaux (signée Maria Clara Villa Lobos). En ce soir de première, vendredi, le geste est encore un peu hésitant, mais il donne en tout cas le la : le texte de Victor Hugo sera respecté à la ligne, mais la mise en scène d’Emmanuel Dekoninck et la scénographie de Patrick de Longrée seront, elles, “bousculées”, traversées de divers courants.
Les amis de Gennaro partagent un point commun : ils ont chacun un proche qui a été assassiné par Lucrèce Borgia (Catherine Conet). Fille du pape Alexandre VI et épouse du duc Don Alphonse d’Este (Georges Lini), elle, comme l’ensemble des Borgia, est haïe de toute l’Italie. Meurtres, adultères, inceste…, elle a les mains maculées de sang. Mais, ce jour-là, à Venise, Lucrèce Borgia a envie de changer de vie. “N’en as-tu pas assez de tous ces crimes ?”, demande-t-elle à son fidèle serviteur Gubetta (Denis Carpentier). C’est qu’elle voue un amour unique pour Gennaro, né d’un père et d’une mère inconnus. Le jeune homme aurait bien pu bien lui rendre cet amour si ses amis ne l’avaient averti de l’impitoyable femme qui se cache sous le masque. Furieuse, Lucrèce Borgia est décidée à se venger d’eux. Et son mari, pensant Gennaro son amant, à se venger d’elle. Le vin de Syracuse, généreusement offert, se fera redoutable poison.

Lucrèce Borgia a trouvé sa maîtresse
Déchirée entre son amour pour Gennaro et la toute-puissance de son épouvantable famille, Lucrèce Borgia a trouvé en Catherine Conet sa maîtresse : présence scénique, interprétation, diction, la comédienne maîtrise son rôle avec aplomb, tout en laissant affleurer la part d’humanité et de fragilité de son personnage. À ses côtés, Denis Carpentier excelle en serviteur perfide inspiré de la Commedia dell arte. On se délecte de ses fourberies et on s’horrifie de son inclination au sadisme.

Certaines émotions ne peuvent être contées par les mots. Emmanuel Dekoninck a ainsi confié le rôle de la Princesse Negroni, hôte du dramatique banquet final, à une chanteuse lyrique, Julie Prayez. L’effet est saisissant. Dans ce décor de ruines, sa voix, cristalline, transperce les pierres comme les cœurs. La nuit est à présent tombée sur l’Abbaye de Villers, magnifiée par les superbes éclairages de Christian Stenuit. Le drame est à son apogée. Le vin a été versé et le poison absorbé. Les larmes coulent. Et seule la mort peut les sécher.
→ Abbaye de Villers-la-Ville, jusqu’au 12 août. Infos et rés. au 071.82.09.78 ou sur www.deldiffusion.be