“Défaut d’origine”, une confession intime qui bouleverse les Rencontres théâtre jeune public: “Tu peux pas jouer la princesse!”
La famille recomposée, les amours lesbiennes et les conséquences désastreuses du racisme ordinaire se racontent aux adolescents.
- Publié le 21-08-2023 à 07h02
- Mis à jour le 22-08-2023 à 18h40
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L’enfance, la famille, la quête de soi, l’homosexualité, la perte… Avec 37 créations au menu, les Rencontres théâtre jeune public, qui se déroulent à Huy jusqu’au 23 août, brassent un grand nombre de thématiques qui souvent touchent à l’être et finissent pas bouleverser. Fini le sourire des premiers jours et des joyeuses retrouvailles entre professionnels – programmateurs belges ou étrangers, enseignants, artistes… – qui viennent glaner les pépites à offrir aux enfants et adolescents.
À mi-parcours des Rencontres – un vrai marché du théâtre et de la danse pour l’enfance et la jeunesse –, les premières couches de vernis craquellent et les sourires se crispent. On a laissé tomber les armes et presque couler les larmes. À l’image de Yasmine Laassal du Théâtre des Chardons dont le Défaut d’origine orchestré par Bouchra Ezzahir a laissé sans voix et confronté chacun. Créé à l’Espace Magh en novembre dernier, ce “vertige diffracté de l’intime”, selon Marie Baudet, nommé dans la catégorie Seul en scène aux Prix Maeterlinck de la critique, intègre le circuit jeune public où il a également toute sa raison d’être.
Dans un seul en scène tiré au cordeau, tout en retenue, la comédienne se met à nu, raconte son enfance, cette chevelure qu’elle n’aimait pas, ce père absent qu’elle admire et attend, ce physique, avec ce petit air d’ailleurs, qu’elle ne supporte pas et qui toujours la dessert. Tout semblait pourtant avoir bien commencé avec un prénom comme Yasmine, fleur au parfum envoûtant, et un nom comme Laassal, qui signifie miel, douce saveur que la vie ne lui accordera pas. Jamais elle ne pourra jouer les princesses à l’école à cause de ses cheveux noirs, frisés. Au cours d’art dramatique, elle trouve sa voie, mais les seuls rôles qu’on lui proposera ensuite seront ceux de corbeau ou d’arabe de service. Point de Juliette pour elle…
Impossible de ne pas se sentir coupable et complice, même par omission, à l’issue de la représentation. Avec une franchise qui force le respect, Yasmine Laassal, au jeu impeccable, en robe blanche virevoltante façon Marilyn, livre, in fine, son secret le plus intime. Une confession qui cueille le public au plus profond et qui marquera cette édition des Rencontres.
La pomme empoisonnée

Douée pour revisiter les contes traditionnels, Pan ! la compagnie épluche, quant à elle, une pomme empoisonnée, acide et rafraîchissante, fruit de la discorde entre belles-mères et belles-filles, ces deux espèces contraintes de vivre ensemble, désireuses de s’apprivoiser avant d’ouvrir les hostilités. À l’heure des familles recomposées, les contes de fées ont encore leur mot à dire, à condition de regarder de l’autre côté du miroir. Qui est la plus rosse? semble questionner Julie Annen à la plume toujours aussi drôlement intelligente servie par une mise en scène redoutablement efficace.
Au début, tout roule dans la guimauve et l’annonce de l’existence d’une fille, divine Ninon Perez, assombrira à peine l’horizon de ce récit partiellement autobiographique. Pleine de bonne volonté, la belle-mère – drolatique Diana Fontannaz – se propose de prendre en charge l’éducation de la fillette, après l’école. Premier goûter chaotique, devoirs soi-disant inexistants, branle-bas de combat dans la salle de bains et coucher tardif. Peu à peu, les choses rentrent dans l’ordre, mais la lassitude et les incompréhensions s’installent. Attention, turbulences en vue. Malgré un point de vue plus adulte, le spectacle interpelle aussi les enfants qui rient à gorge déployée aux vacheries de la petite Blanche. Car, si le rôle de belle-mère n’est pas aisé, celui de belle-fille ne l’est pas non plus.
Selon son habitude, Pan ! La compagnie ouvre son spectacle par des réflexions d’enfant en voix off – “En fait, ça veut dire quoi marâtre?”; “Mais maintenant, c’est négatif”; “Elle se prend pour sa mère “… Julie Annen a récolté tellement de témoignages qu’elle a matière à un autre spectacle, Recomposées, qui ouvrira la saison du Poche du 12 au 30 septembre prochains. À vos agendas, les beaux-parents!
Une Soft parade qui dépote

Du côté des amitiés, amours et quêtes d’ailleurs, courons à The Soft parade, l’une des propositions les plus étonnantes et intéressantes de cette édition.
Deux comédiennes très physiques au naturel désarmant, Anaïs Aouat et Pénélope Guimas, bourrées d’énergie et de retenue le moment venu, se retrouvent au pied de leur immeuble pour le dernier soir. L’aire de jeux Phia Ménard – le lieu de leurs rencontres, des avenirs qu’elles s’inventent pour quitter leur “vie de merde” – va être rasé. La fin de l’enfance a-t-elle sonné pour Frankie et Adel?
Elles passent du rire aux peurs, dénichent un sac à dos dans une poubelle, rencontrent son propriétaire – débonnaire Nicolas Payet – balourd au nom à particule, avant un final façon (bonne) comédie romantique entre filles. Amour, amitié, homosexualité? Rien n’est dit, tout est supposé et c’est là que le théâtre a tout à gagner.
Troublées

Plus explicite, parfois caricatural, mais non dépourvu d’audace, Troublées de Séisme asbl aborde frontalement l’amour lesbien dans une école où on considère que la nature doit unir garçons et filles. Lesbienne, gouine, dépravée… Les insultes ne tardent pas à fuser jusqu’à ce que le dialogue surgisse enfin dans cette mise en scène de Mathilde Collard qui traduit l’amour intense de Clem pour Elie et inversement.
Un spectacle qui intéressera de nombreux enseignants dépourvus face aux questions identitaires qui traversent les adolescents et adolescentes aujourd’hui.