Laura Merla (UCLouvain) : ”Aujourd’hui, la famille ne va plus de soi”
Sociologue à l’UCLouvain et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités (Cirfase), Laura Merla a mené de nombreuses recherches sur les familles recomposées. Alors que la pièce “Recomposées” ouvre la saison du Théâtre de Poche, elle nous livre son éclairage scientifique.
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- Publié le 08-09-2023 à 16h58
- Mis à jour le 08-09-2023 à 17h19
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Il existe de nombreuses configurations de familles recomposées, mais quelle pourrait en être la définition ?
Au départ, la famille recomposée désigne une famille qui se recompose après un divorce ou une séparation. Mais cette définition se complexifie puisque les situations familiales sont aujourd’hui très contrastées.
Combien de familles recomposées la Belgique compte-t-elle ?
C’est difficile à quantifier, mais, selon le Baromètre des parents 2022 de La Ligue des familles – ce sont des chiffres à prendre avec précaution, car leur échantillon n’est pas tout à fait représentatif –, les familles nucléaires, c’est-à-dire les deux parents qui vivent sous le même toit avec leurs enfants – représentent 54 % ; les familles monoparentales, 26 % ; et les familles recomposées, 20 %.
Cette évolution vers de nouveaux modèles familiaux est-elle plus marquée aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans ?
On a souvent l’impression que jusqu’aux années 70-80, il y avait la famille nucléaire stable et puis que, tout à coup, les familles se sont mises à divorcer et à se recomposer. Mais, si on remonte au XIXe siècle, on observe qu’il y avait énormément de familles recomposées parce que l’espérance de vie des femmes était très faible. Il y avait donc beaucoup de maris veufs qui se remariaient après le décès de leur conjointe et formaient une famille recomposée puisqu’ils se remettaient avec une nouvelle épouse et avaient des enfants. Le modèle de la famille nucléaire a donc été très prégnant dans les discours et d’un point de vue normatif au début du XXe siècle, mais, auparavant, les familles étaient différentes et elles le seront encore probablement à l’avenir.
Qu’en est-il plus particulièrement en Belgique ?
Au cours des cinquante dernières années, la Belgique s’est distinguée par un taux de divorce plus élevé que la moyenne européenne, ce qui ouvre la voie à davantage de familles recomposées. Plus récemment, on a également constaté que les couples divorcent ou se séparent de plus en plus tôt, notamment alors qu’ils ont un enfant en bas âge, ce qui était moins courant auparavant. Donc, plus on divorce ou se sépare tôt dans son parcours de vie, plus on est susceptible de se remettre en ménage et d’éventuellement avoir d’autres enfants.
Cette tendance est-elle appelée à s’accentuer ?
Aujourd’hui, la famille nucléaire est le modèle majoritaire et celui qui donne le ton, c’est-à-dire qu’on est plus enclin à considérer que les formes familiales qui s’écartent de la forme de la famille nucléaire sont potentiellement dysfonctionnelles, problématiques, etc. Néanmoins, on est sur une tendance où l’on peut difficilement imaginer que dans vingt ans il y aura 80 % de familles nucléaires pour 20 % de familles divorcées ou séparées. Et ce, d’autant que dans notre société, qui traverse des crises économique, climatique…, les gens sont énormément mis sous pression, et, partant, les couples aussi.
Aujourd’hui, on change plus régulièrement d’emploi, de lieu de résidence, de partenaire… Donc, vivre dans une famille recomposée, c’est aussi apprendre à faire preuve de plasticité.
Oui. Tant dans les familles nucléaires que les familles recomposées, aujourd’hui, la famille ne va plus de soi : désormais, les liens familiaux doivent se travailler. Quand on est dans une famille recomposée, il faut encore plus travailler le “faire famille”, c’est-à-dire qu’il faut apprendre à s’apprivoiser, qu’on ne peut plus imposer de manière unilatérale un système éducatif, etc. J’aime parler métaphoriquement d'”une chorégraphie de la co-existence” : il faut apprendre à danser les uns avec les autres avec des rythmes et des temporalités qui peuvent être très variables au sein d’un groupe où les configurations peuvent changer au fil du temps.
→ Pour compléter cet article : “Deux maisons, un chez-soi ? Expériences de vie de jeunes en hébergement égalitaire”, Nobels B. et Merla L., Academia-L’Harmattan, 2022
→“Recomposées” de Julie Annen, au Théâtre de Poche, Bruxelles, du 12 au 30 septembre. Infos et rés. au 02.649.17.27 ou sur www.poche.be