Avec “Bellissima”, Salvatore Calcagno explore le fantasme de la célébrité: “Que signifie être dans la lumière? Devenir quelqu’un?”
La nouvelle création de la Cie Garçongarçon, librement inspirée du film de Visconti, verra le jour au Théâtre Varia le 19 septembre. Avant de tourner à Mons, Liège, Louvain-la-Neuve, Namur et La Louvière.
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- Publié le 12-09-2023 à 19h00
- Mis à jour le 19-09-2023 à 15h16
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À l’origine, il y a un film, Bellissima, de Luchino Visconti (1951), avec Anna Magnani et Walter Chiari. Salvatore Calcagno et Pablo-Antoine Neufmars découvrent “pendant la jachère covid” cet opus qui fait naître chez eux “un intérêt, un amour pour la figure de cette femme issue de quartiers populaires, qui fantasme la création, le cinéma, et se dit que peut-être elle aussi pourrait se retrouver dans la lumière, offrir à sa fille une autre manière de vivre, une espèce d’ascension à travers l’art”.
Amour aussi pour ce titre, précise le metteur en scène Savaltore Calcagno. “Au moment où les mesures anticovid assouplies nous permettaient de nous voir en cercles restreints, nous avons mis en place des laboratoires de recherche avec une dizaine d’interprètes.”
Au Varia, aux Tanneurs, aux Kaaistudio’s, l’équipe malaxe une matière diverse – des scènes tirées du film mais aussi d’autres textes, intimes, autofictionnels… – qui fait s’ouvrir les imaginaires au-delà de la situation première: une mère qui parcourt la ville entière et investit tout ce qu’elle peut pour donner à sa fille la chance d’être reçue à une audition.
Le film et au-delà
D’autres personnages – une monteuse jadis comédienne, une productrice, un metteur en scène… – s’invitent dans le tableau, ouvrant “de nouvelles thématiques et posant une question centrale: que signifie être dans la lumière? Devenir quelqu’un?”

Une piste dramaturgique au confluent de la trajectoire de cette mère et de celles de tous les autres protagonistes. “Cette notion – être quelqu’un – diffère beaucoup selon l’origine socioculturelle aussi. C’est déterminant chez la mère qui voit en l’art un rempart contre le déterminisme de classe”, pointe Pablo-Antoine Neufmars. L’acteur et dramaturge relève aussi que Bellissima, le film, “s’inscrit dans un courant du cinéma – avec A star is born de Cuckor ou The Last Tycoon de Kazan, entre autres – où une industrie se regarde elle-même, s’autocritique”.
Résonances intimes
”Il y a une part intime de chacun, chacune de nous dans cette création”, glisse Salvatore Calcagno. Une création forte de douze interprètes, treize en comptant les deux fillettes qui jouent en alternance. Rares sont les distributions si vastes désormais. Comment s’est-elle construite? “Avec des corps, des âges, des voix, des expériences différentes, déjà. Rehab Mehal (la mère) est proche du néoréalisme dans le code de jeu, avec quelque chose d’un peu sauvage. Autour d’elle, d’autres types d’interprétation causent parfois des décalages intéressants.” Sans oublier les fidélités dans le parcours de la compagnie, qui retrouve entre autres Sophia Leboutte, Marie Bos ou Émilie Flamant. Et des rencontres nées de ces laboratoires, avec de jeunes interprètes à la sortie de leur formation.
Cette équipe intergénérationnelle fourmille aussi “de combats, de militances qui convergent avec le sujet”, relève Pablo-Antoine Neufmars. La lutte sociale, l’émancipation, est-elle servie par l’art ou au contraire minée par lui?
Figure féminine et voies expérimentales
Depuis La Vecchia Vacca (meilleure découverte aux Prix de la critique 2012-2013), les créations de Salvatore Calcagno sont marquées par des figures féminines à la fois puissantes et fragiles. D’où viennent-elles?
“Toutes portent en elles un combat similaire, un désir de transformation, d’accéder à autre chose. Ce sont souvent des incomprises. Ce combat-là, ce rêve d’ailleurs, c’est le feu qui m’anime aussi, d’une certaine manière, qui fait que j’ai choisi ce métier. Inviter 300 personnes chaque soir, c’est quelque chose qui peut transformer… Mais je suis très optimiste.”
Ce rêve d’ailleurs, c’est le feu qui m’anime aussi, qui fait que j’ai choisi ce métier.
On pourrait s’interroger aussi sur la récurrente absence de père, sourient en chœur nos deux interlocuteurs. “L’époque du film est celle de l’après-guerre : les hommes reviennent du front, parfois blessés, ou ont disparu. Et, pendant ce temps, la société s’est activée, avec la figure de la mère, de la femme, de l’enfant aussi – sur qui on projette tous les espoirs, qui incarne le futur. Entre cette époque-là et le moment où on l’a découvert – très fragile –, une petite étincelle s’est produite.”
Hommage à l’étincelle
Plus qu’une adaptation du film, fût-elle libre, Bellissima est “un hommage à cette étincelle, mais ça se passe ici et maintenant, sans reconstitution historique”, indique Pablo-Antoine. “C’est devenu un document de travail, parmi d’autres, et c’est comme ça qu’on agence la narration. On a pris ce personnage central, et on lui fait traverser le tout”, précise Salvatore.
Après s’être attaché ces dernières années au répertoire (La Voix humaine de Cocteau, Un tramway nommé désir de Tennessee Williams), le metteur en scène se fait plaisir. “Je m’autorise à aller dans des théâtralités plus créatives” – “plus expérimentales”, renchérit son comparse.

Peut-on envisager ce spectacle comme un portrait? Et si oui de qui, de quoi? “C’est un spectacle choral en tout cas. Avec évidemment le portrait de cette mère et de cette fille, et plein de mini-portraits autour, comme des fenêtres ouvertes.”
Pablo-Antoine Neufmars, qui l’a coécrit, souligne “la dynamique de la création technique. Avec le vocabulaire audiovisuel arrive la question du close up, du plan rapproché, du projecteur, du cadrage, de l’expression… qui créent aussi une théâtralité”. Angela Massoni, qui assure la direction technique et la création des lumières, vient d’ailleurs du cinéma – un monde dont les codes seront présents sur le plateau, avec des marques au sol, des chaises de tournage, des spots, des photos de casting.
- Bellissima, au Théâtre Varia, Bruxelles, du 19 au 30 septembre – 02.640.35.50 – www.varia.be
- Et ensuite: du 11 au 13/10 à Mars – Mons Arts de la scène; du 18 au 21/10 au Théâtre de Liège; du 16 au 19/1 au Vilar à Louvain-la-Neuve; du 3 au 6/4 au Théâtre de Namur.