“Scènes de la vie conjugale”, variations inattendues sur le couple
Myriam Saduis propose ses variations de “Scènes de la vie conjugale” d’Ingmar Bergman en alternant les points de vue. Un nouveau regard qui sert son propos.
- Publié le 15-09-2023 à 18h45
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De Scènes de la vie conjugale à L’Anatomie d’une chute en passant par Maison de poupée ou Mrs Dalloway, le délitement du couple inspire les artistes. S’en emparer relève de la gageure mais garantit aussi un intérêt du public qui ne se lasse pas de ces chefs-d’œuvre. Myriam Saduis lui propose, en cette rentrée, de revisiter l’un d’entre eux à l’aune d’une ère nouvelle qui interroge avec acuité le rôle des genres.
On savait la metteuse en scène proche d’Ingmar Bergman depuis qu’elle a monté le scénario Affaire d’âme, en 2008, sacré Meilleure découverte aux Prix Maeterlinck de la critique. Cette fois, l’artiste en compagnonnage au Théâtre Océan Nord adapte la série télévisée du réalisateur suédois qui avait connu un succès phénoménal pour en livrer une autre vision et interroger à son tour le (dys) fonctionnement du couple.
Inversion et chassé-croisé des rôles
Déjà inscrit dans les pas de Bergman, le scénariste et réalisateur israélien Hagai Levi a dupliqué en 2020 la série sortie à la télévision en 1973, en inversant les rôles. Chez lui, ce n’est plus l’homme mais la femme qui quitte le foyer.
Poussant le raisonnement plus loin, dans un véritable exercice de style inspiré de son travail avec les étudiants et étudiantes en art dramatique à l’Esact, à Liège, Myriam Saduis alterne les points de vue masculin et féminin pour rejouer la même scène : celle, cruciale, de la rupture. Un choix qui prive le spectateur de la lente fissuration de la relation mais qui l’interpelle et l’interroge plus souvent, le rendant plus actif.
Plus d’intérieur bourgeois. Juste la solitude d’une longue table de biais, pour une plus grande focale sur la dynamique du couple
Après un diaporama de photos de mariage et de bonheur en noir et blanc, signé Marie-Françoise Plissart, deux duos de jeunes interprètes bien inscrits dans leurs rôles, Johann et Marianne mais aussi Johanna et Marin, dialoguent sur le plateau presque nu, à l’heure de la vérité.

Plus d’intérieur bourgeois. Juste la solitude d’une longue table de biais, pour une plus grande focale sur la dynamique du couple: Pourquoi seuls les hommes tromperaient leur femme? Pourquoi celles-ci ne devraient-elles pas, lorsqu’elles décident de partir, verser une pension alimentaire? Pourquoi le fait qu’elles partent sans les enfants retient plus l’attention?
Nouveau rapport de force au sein du couple
Johanna (implacable Marion Eudes) rentre et s’installe à table. En plein jeûne intermittent, Marin (émouvant Yoann Zimmer) lui propose des œufs au bacon, voire un plateau au lit. Il regrette la dispute de la veille. Les gestes de Johanna sont mécanisés. La lassitude est palpable, le rythme lent. À force d’attentions, Marin devient oppressant. Implacable, elle lâche le morceau. Elle est amoureuse d’un autre, part à Rome avec lui. Quatre ans qu’elle étouffe. Anéanti, Marin devient ensuite plus agressif, contrairement à la docile et mutique Johanna de Bergman, inoubliable Liv Ullman, dont l’inertie laisse perplexe.

Un nouveau duo arrive pour jouer la même scène, en des rôles inversés. Johann (incisif Nicolas Arancibia) quitte Marine (candide Mathilde Marsan) plus révoltée que Marin. Le drame s’accroît avant un quatuor final virtuose.
Entrecoupées d’intermèdes chorégraphiés par Sarah Deppe, qui traduisent le malaise, ces variations très cinématographiques, rigoureusement mises en scène et croisées, servent le propos, interrogeant autrement le rapport de forces au sein d’un couple, plus que jamais microcosme de la société. On n’en sort pas indemne.
⇒ Bruxelles, Théâtre Océan Nord, jusqu’au 23 septembre – 02.216.75.55 – www.oceannord.org