“Ici commence le pays de la liberté”, ou “comment un conflit bien fait vaut mieux que pas de conflit du tout”
La création de Jean Le Peltier, à l’Atelier 210, revêt de légèreté nos travers et hantises. Drôle et aussi profond qu’un silo à grains médiéval.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/56207dc1-4449-4789-b3e7-11e31d796eb5.png)
- Publié le 18-09-2023 à 21h55
- Mis à jour le 21-09-2023 à 08h49
:focal(1083x702:1093x692)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WHYE4VTMS5GOXP5FDHBBRZSV54.jpg)
Tout commence par une chute. Ou plutôt le récit d’une chute, dans un gouffre dont il serait impossible de s’extraire: un silo à grains aux parois abruptes et aux marches manquantes. Une faille comme on le dit de nos vulnérabilités, et qui va servir de révélateur à celles des protagonistes de cette histoire.
Ce silo, c’est le lieu imaginé par Jean Le Peltier – concepteur, auteur, metteur en scène et acteur (Magritte du meilleur acteur en 2022 pour son rôle dans Une vie démente de Raphaël Balboni et Ann Sirot) – pour un huis clos où doivent cohabiter, un temps, ses personnages. Sophie (Sophie Guisset, actrice mais aussi danseuse et performeuse) et Gwennaëlle (Gwendoline Gauthier, révélée dans Les Enfants du soleil, remarquée dans Iphigénie à Splott, entre autres) se connaissent, vivent dans le même village depuis toujours, mais ne se parlent plus guère, comme on le comprendra peu à peu.
Improbable trio
Ce jour-là, à la fête de l’arbre de mai, la tradition s’est élargie à une reconstitution historique, par un comédien engagé pour l’occasion: Jean (Jean Le Peltier, déjà auteur et interprète entre autres du solo Vieil en 2014, et de Zoo, vertigineuse et virtuelle randonnée créée en 2020) s’accroche à la tâche qui lui incombait et, d’une voix outrageusement théâtrale, retrace l’histoire du village.
L’improbable trio s’engage dans une conversation qui voit le comédien, tiraillé entre son émotivité et sa connaissance théorique, tenter de réconcilier les deux femmes à coups d’ateliers de parole.

La plasticienne et scénographe Justine Bougerol signe un décor évocateur sans être figuratif. Dans ses vagues et ses drapés, mis en lumière par Alice Dussart, on lit autant la nature grandiose que le quotidien trivial – et bien sûr le théâtre. Voire les paysages de l’histoire de l’art tout comme ceux, intérieurs, que convoque Jean Le Peltier lorsqu’il évoque l’impossibilité pour quiconque de se mettre à la place d’autrui. “La sensation d’existence au monde reste donc pour chacun un acte singulier, souverain”, note-t-il. Ce pays “où il n’y a que nous […], où nous ne sommes qu’avec nous-même. Cet endroit de la conversation intérieure, de l’imagination, de la mémoire et de la projection.”
Détours, reliefs et décalages
Propice à tous les élans métaphoriques imaginables, Ici commence le pays de la liberté s’y offre des détours, certes, en se gardant d’en faire un système. Le registre mouvant des interprètes ose saupoudrer d’excès ses tonalités retenues, créant de délicieux reliefs et décalages au creux de ce paysage.
De même que, sans aborder de front les questions qui sous-tendent la société et l’actualité (genre, écologie, justice sociale…), ni les évacuer, le spectacle de Jean Le Peltier et ses complices (avec la collaboration dramaturgique de Lorette Moreau et Vincent Lécuyer) leur laisse des espaces – brèches infimes ou grandes étendues – où se poser, germer, pousser.
⇒ Bruxelles, Atelier 210, jusqu’au 23 septembre, à 20 h 30 (mercredi à 19 h). Durée: 1h10. Tarif: formule “Pay what you can” à partir de 7 €. Infos, rés.: 02.732.25.98 – www.atelier210.be