"Permettre aux jeunes de voter dès 16 ans leur offrira une place dans le processus décisionnel"
Abaisser l’âge du droit de vote de 18 à 16 ans est-il une bonne idée? Cette mesure est-elle suffisante pour redonner aux jeunes le goût de la démocratie?
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Publié le 21-04-2023 à 10h10 - Mis à jour le 21-04-2023 à 10h15
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Propos recueillis par Alice Dive
C’est acté, la Belgique l’a décidé : lors des prochaines élections européennes qui se tiendront vraisemblablement en juin 2024, les jeunes âgés de 16 à 18 ans pourront aller voter. Dans les rangs politiques, il est également de plus en plus question d’envisager une telle réforme pour les élections locales. Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus politique sur ce dernier point, la question mérite d’être posée : permettre aux jeunes de se rendre aux urnes dès 16 ans est-il une bonne idée ? Cette mesure est-elle suffisante pour lutter contre l’apolitisme présumé des jeunes ? Tentative de réponse avec Marjan Ehsassi du prestigieux Berggruen Institute, spécialiste en innovation démocratique et membre du comité de surveillance du panel de citoyens "We Need To Talk" (1).
Abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans est-il une bonne idée ? Sinon, quel est le “bon” âge pour le permettre ?
Sur la base de plusieurs facteurs, il me semble que le passage de l’âge de vote de 18 à 16 ans est une bonne idée. Plusieurs pays, comme l’Autriche, ont tenté de le faire. D’autres sont à la traîne.
Lorsque l’on passe du temps avec des jeunes de 16 et 17 ans lors d’assemblées citoyennes, on se rend compte de la profondeur de leur engagement et de leurs compétences.
L’abaissement de l’âge du vote à 16 ans enverra un message clair aux jeunes : leur voix est importante pour la société, et nous créons un espace conséquent pour qu’ils puissent exprimer leur préférence et avoir une place dans le processus décisionnel du gouvernement.
La Belgique doit-elle s’inspirer d’autres modèles de démocratie venus de l’étranger (Canada, États-Unis…) en la matière ?
Comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit d’innovations démocratiques, la Belgique est généralement en avance sur les autres pays. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit, une fois de plus, à l’avant-garde de cette conversation.
À ma connaissance, seuls l’Écosse, le Brésil, l’Autriche et l’Argentine ont porté l’âge du droit de vote à 16 ans. Cependant, il est important que plusieurs autres pays soient engagés dans des débats sur cette question. Par exemple, la Chambre des communes du Canada a débattu de l’abaissement de l’âge du droit de vote de 18 à 16 ans en mai 2022. Le député du Nouveau parti démocratique (NPD) Taylor Bachrach déclarait ceci le 13 décembre 2021 après avoir présenté un projet de loi visant à reconnaître le droit des jeunes à participer à la démocratie : “Nous devrions tous être préoccupés par le fait que la participation électorale au Canada continue d’être la plus faible parmi les plus jeunes électeurs et ce projet de loi vise à améliorer cette situation en formant les habitudes de vote pendant que les jeunes sont encore à l’école”.
En janvier 2023, la représentante américaine Grace Meng (D-NY) a annoncé qu’elle avait réintroduit un projet de loi visant à abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans aux États-Unis. La mesure de la représentante vise à remplacer le 26e amendement de la Constitution américaine par un nouvel amendement qui accorderait le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans. “Ces dernières années, nous avons constaté l’influence des jeunes de notre pays sur les tendances, les mouvements politiques et les élections”, a déclaré Mme Meng.
Les jeunes adultes défendent de nombreuses questions importantes qui leur tiennent à cœur. Il est essentiel de leur donner une voix et de leur permettre d’exprimer leurs préférences dans les urnes. Cette population est légalement autorisée à travailler, à conduire et à payer l’impôt fédéral sur le revenu.
Ce sont des membres compétents et utiles de notre société. Il est temps de reconnaître leurs contributions et de leur permettre de voter lors de nos élections.
Octroyer ce droit aux jeunes dès l’âge de 16 ans permet-il vraiment de lutter contre l’apolitisme présumé des jeunes?
L’abaissement de l’âge du vote à 16 ans ne résoudra pas tous les problèmes liés au manque d’engagement politique des jeunes. Cependant, il leur enverra un message fort, à savoir qu’ils sont compétents et que leur voix est importante dans la prise de décision gouvernementale et la réforme des politiques.
Nous devons également nous attaquer aux problèmes plus généraux liés au manque de confiance dans les institutions politiques. Toutefois, l’abaissement de l’âge du droit de vote amorcera ce processus en donnant aux jeunes une voix conséquente pour faire connaître leurs préférences, de manière claire et percutante.
Il est également important de considérer que les questions les plus urgentes auxquelles notre société est confrontée aujourd’hui – telles que le changement climatique, la violence des armes à feu, les drogues illégales et la mort – ont un impact disproportionné sur les jeunes. Ils sont réfléchis, créatifs et doivent être impliqués dans la recherche de solutions à ces problèmes publics urgents,
Cette mesure est-elle suffisante pour redonner un souffle à nos démocraties représentatives ?
Nos démocraties représentatives ont besoin d’un changement de paradigme. Elles souffrent actuellement de nombreuses lacunes. Par exemple, une fois élus, les représentants ne sont pas responsables devant leurs électeurs et les décisions du gouvernement ne reflètent souvent pas les préférences des citoyens.
Par conséquent, cette mesure indépendante d’un plan global visant à remédier aux faiblesses de nos démocraties représentatives ne suffira pas à réparer les démocraties représentatives. Toutefois, sans être la panacée, ce changement améliorera la qualité de nos démocraties et constituera un pas de plus vers des démocraties plus centrées sur les citoyens, plus inclusives et plus réactives.
Enfin, comment peut-on inclure au mieux la jeune génération dans un processus de démocratie participative ?
En tant qu’expert en délibération et en assemblées citoyenne, j’ai été témoin du potentiel de transformation de ces innovations pour changer la relation entre les citoyens et leurs institutions politiques. Les jeunes participants prennent leurs responsabilités très au sérieux. Ils sont dévoués, travailleurs et assidus. Quatre participants au panel de citoyens We Need To Talk ont moins de 18 ans. Nous avons observé le sérieux et l’engagement dont ils font preuve dans leur travail.
Il est important de noter que lorsqu’on parle d’inclure des jeunes à partir de 16 ans dans des processus participatifs, ces décisions ne sont pas prises sur la base des compétences mais plutôt sur la base d’une responsabilité légale. Les jeunes doivent généralement voyager et il est juridiquement plus difficile d’emmener des mineurs dans une autre ville.
(1) “We Need To Talk” (”Il faut qu’on parle”) est un panel citoyen sur le financement des partis politiques. Il organise ce week-end un débat sur ce sujet en présence de 60 citoyens tirés au sort et des présidents de parti. La rencontre aura lieu ce samedi 22 avril dès 10h au BIP Meeting Center Bruxelles – Maison de la Région, Place Royale 11, 1000 Bruxelles.