Cherche instrument pour étudiants des conservatoires
Pour des raisons financières mais aussi à cause de spéculations en matière d’achat sur le marché des cordes, il est difficile pour certains étudiants des conservatoires belges d’acquérir un instrument valable. Comment pallier ce handicap lourd de conséquences professionnelles ?
Publié le 10-05-2023 à 10h21 - Mis à jour le 11-05-2023 à 07h42
:focal(837.5x1100.5:847.5x1090.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/PQHEVEDVKREBBLR5NGOXMFRBWA.jpg)
Une carte blanche de Carole Depasse, historienne
L’image est inspirante : un musicien tire l’archet et pince les cordes d’un instrument invisible. Ou plutôt inexistant. La plaquette de présentation du Fonds “L’Instrument du Musicien” est sobre et parlante : près de 20 % des étudiants des conservatoires belges ne disposent pas d’un instrument de musique valable. La raison de cet état de fait est simple : la cherté de l’objet. Comptez un minimum de 20 000 euros pour un violon, 35 000 euros pour un violoncelle ou un alto de qualité supérieure, c’est-à-dire un instrument qui ne soit pas une casserole et qui permet, outre de progresser, de franchir des étapes professionnelles essentielles. “La concurrence est si rude dans le métier que, sans un instrument de musique qui les révèlent, le postulant n’a aucune chance d’être remarqué par un jury expert et, a fortiori, d’être sélectionné”, précise Marie Hallynck, violoncelliste, professeur au Conservatoire royal de Bruxelles et un des six membres fondateurs du Fonds géré par la Fondation Roi Baudouin et soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles à hauteur d’un subside de 50 000 euros annuels. Un Fonds né d’une idée de François de Briey et dédié à l’acquisition d’un instrument à cordes (violon, violoncelle et alto) par les étudiants des conservatoires de Bruxelles, Mons, Liège et de l’Institut royal supérieur de musique et de pédagogie de Namur (IMEP). “Le Fonds est, à ma connaissance, la seule initiative en Europe qui octroie un don financier et une aide à l’épargne pour l’achat d’un instrument de musique”.
Tensions sur les cordes
Mais n’est pas lauréat qui veut. Le premier critère est économique, l’étudiant est sans revenus et le second est musical, le candidat est repéré par l’oreille avertie de trois musiciens chevronnés (Véronique Bogaerts, Marie Hallynck et Frédéric d’Ursel). En 2023, onze candidats au Fonds se sont présentés et trois ont été retenus dont William Adji, un jeune homme entré au Conservatoire en 2019 avec un violon “digne d’une crêpe”. “William a des qualités musicales remarquables. Il ne possède malheureusement pas un instrument qui corresponde à son niveau. Je trouve insupportable qu’un musicien soit privé, faute de moyens financiers, d’avenir d’autant que William a besoin d’un instrument de qualité pour son examen de fin d’études et le démarrage de sa carrière. Comment pourrait-il passer des auditions pour entrer dans un orchestre ou obtenir ses premiers cachetons s’il n’a pas un excellent violon ?”, s’offusque Véronique Bogaerts, violoniste, professeur au Conservatoire royal de Bruxelles et à la Chapelle musicale Reine Elisabeth dont elle fut une brillante lauréate.
Spéculation sur le marché des instruments anciens
Si le Fonds ne prétend pas être la panacée, il pallie une évolution du marché des instruments de musique, comparable à celui de l’art. Véronique Bogaerts a observé, sur le marché des instruments anciens, l’envol de la courbe des prix. “Tout a commencé par le Japon, acheteur systématique d’instruments à cordes anciens, suivi de la Chine et de la Corée. Une avalanche d’enchères records pouvant atteindre le million d’euros pour un seul instrument ! D’achats en reventes, les prix ont flambé à tel point qu’ils ne représentent plus la valeur ou la qualité sonore réelle des instruments”. De la pure spéculation. Un marché aux mains des banques et, de manière plus anecdotique, de mécènes collectionneurs qui échappe totalement aux musiciens. “S’ils sont virtuoses et chanceux, ils pourront prétendre bénéficier en prêt d’un de ces instruments, certes sublimes musicalement mais achetés à prix d’or”.
Le mythe de la lutherie ancienne
Des allégations soutenues par Catherine Janssens, luthière à Bruxelles, attachée avec son collectif d’artisans Ekho à démentir le mythe selon lequel la lutherie ancienne, née dans le secret des ateliers de fabrication de Crémone ou Venise, serait la seule à posséder une sonorité magique. Prononcez Stradivarius ou Guarneri et vous susciter l’exaltation sinon l’appétence d’investisseurs prêts à délier inconditionnellement les cordons de leur bourse. Alors que, nous raconte Catherine Janssens, des tests en aveugle, rigoureusement menés, démontrent qu’il est parfois impossible de distinguer le son d’un violon du XVIIIe siècle de celui d’un violon contemporain. Et d’ajouter, “un soliste qui joue sur un stradivarius ancien a une crédibilité immédiate. Il faut une sacrée personnalité pour être considéré comme un artiste au plus haut niveau en imposant la lutherie contemporaine. C’est le cas de l’altiste allemande Tabea Zimmermann dont l’œuvre musicale a été maintes fois récompensée”. Certes Catherine Janssens plaide pour sa chapelle et de nombreux virtuoses témoignent du bonheur et du privilège de jouer sur des instruments de plus de deux cent cinquante ans même si ces derniers ne leur appartiendront jamais.
Lutherie et archeterie contemporaines belges de qualité
Il existe heureusement pour les étudiants des conservatoires une solution alternative grâce à l’existence d’une lutherie et archeterie contemporaines belges d’une indiscutable qualité. Et de citer Emilio Crabbé ou Thomas Bertrand dont le travail remarquable attire aujourd’hui de jeunes musiciens à la recherche d’un instrument au prix “plus” accessible et à la texture sonore irréprochable. C’est le cas de Mathilde Viane, lauréate 2021 du Fonds L’Instrument du Musicien qui s’est tournée sans hésitation vers la lutherie moderne pour acquérir un violoncelle fabriqué sur-mesure et adapté à sa morphologie. “Nous avons de la chance de compter sur des luthiers prêts à sortir du moule Stradivarius ou Montagnana pour fabriquer des instruments qui s’adaptent aux corps des instrumentistes leur permettant une plus grande aisance de jeu”, ajoute Marie Hallynck.
Que les jeunes musiciens acquièrent un instrument du début du XXe siècle ou optent pour un instrument neuf, dans les deux cas, les prix sont élevés. L’apport financier du Fonds L’Instrument du Musicien est donc une chance en mesure de changer le cours d’une carrière et d’une vie musicienne.
Titre et chapô sont de la rédaction