La Belgique, avec l’UE, doit sortir du Traité sur la charte de l’énergie

Ce TCE anachronique, est un obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique. Favorisant les plaintes en arbitrage venant de multinationales et de fonds d’investissement, il dissuade les États de prendre des mesures d’intérêt public en matière d’énergie renouvelable.

La Belgique, avec l’UE, doit sortir du Traité sur la charte de l’énergie

Par Renaud Vivien (coordinateur du Service politique d’Entraide et Fraternité) et Sophie Wintgens (chargée de recherche sur le commerce international au CNCD-11.11.11)

On pensait le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) en état de mort clinique, après le refus du Conseil de l’UE de valider sa version “modernisée” et l’annonce faite par huit États européens d’en sortir. Mais les partisans du TCE tentent de le maintenir en vie, bien qu’il constitue un obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique et la précarité énergétique. Appelée à se positionner prochainement sur l’avenir de ce traité, la Belgique devrait décider d’en sortir.

Un traité anachronique

Le TCE est un accord de commerce et d’investissement dans le secteur de l’énergie auquel la Belgique est liée. Signé en 1994 dans le contexte de la fin de la Guerre froide, son objectif était de protéger les investissements des entreprises européennes dans les États de l’ex-bloc soviétique. Comment ? en leur donnant le droit, grâce à une clause d’arbitrage inscrite dans le TCE, d’attaquer les États devant des arbitres privés pour contester aussi bien des expropriations directes, c’est-à-dire des nationalisations arbitraires, que des expropriations “indirectes”, c’est-à-dire toute législation qui risquerait d’entraîner une réduction des profits escomptés par le secteur privé au moment d’investir.

Alors que l’urgence climatique et sociale impose de prendre des mesures fortes pour décarboner le secteur de l’énergie et réglementer le prix de l’électricité et du gaz, le TCE entrave ce pouvoir réglementaire des États. On assiste même ces dernières années à une augmentation du nombre de plaintes déposées sur base du TCE, au point qu’il est le traité qui génère le plus de plaintes en arbitrage, tout secteur confondu.

Résultat : plus de 50 milliards d’euros ont déjà été payés par les contribuables aux multinationales et aux fonds d’investissement ayant utilisé le TCE. Le dernier exemple est celui de l’Italie condamnée par des arbitres privés à dédommager une entreprise pétrolière anglaise, à la suite d’un moratoire décrété par le Parlement italien sur tous les projets pétroliers situés près de ses côtes. L’autre conséquence est que le TCE dissuade les États de prendre des mesures d’intérêt public, à l’image de la France qui a fait marche arrière en 2017 sur son projet de loi sur les hydrocarbures, après qu’une entreprise a menacé de recourir au TCE pour l’attaquer.

Un traité inutile pour développer les énergies renouvelables

Contrairement à ce qu’affirment ses partisans, le TCE est inutile pour attirer les investissements dans les énergies renouvelables, comme vient de le rappeler la Commission européenne. Le fait que plusieurs plaintes aient été déposées dans ce secteur ne permet pas de contredire cette affirmation. En effet, l’écrasante majorité d’entre elles visent un seul pays : l’Espagne, après qu’elle a modifié son régime de soutien aux investissements dans l’énergie solaire, suite aux politiques d’austérité mises en place après la crise de 2008. De plus, dans ces affaires, 89 % des plaignants ne sont pas des entreprises d’énergie renouvelable mais des fonds d’investissement spéculatifs, dont la moitié investit aussi dans des énergies fossiles. Certains sont même des “fonds vautours” qui n’ont aucun lien avec l’investissement d’origine. C’est le cas du fonds Blasket qui tente de saisir les locaux londoniens d’un centre culturel espagnol, après qu’il a racheté à une autre entreprise une sentence arbitrale condamnant l’Espagne.

L’échec de la modernisation du TCE

Le TCE est tellement incompatible avec les engagements climatiques des États qu’il a fait l’objet d’une renégociation pendant plus de deux ans. La version modernisée du TCE qui en est sortie a été présentée en 2022. Bien qu’elle contienne certaines avancées, celles-ci sont largement insuffisantes pour assurer le respect des échéances de décarbonation du secteur de l’énergie. En effet, la protection des investissements existants dans les énergies fossiles sera maintenue pendant dix ans après l’entrée en vigueur du TCE modernisé. Or, dans le meilleur des cas, le TCE modernisé n’entrerait en vigueur que dans 15 ans !

L’échec de la modernisation est tel que la Commission européenne n’a pas réussi à obtenir la majorité qualifiée des États membres de l’UE nécessaire pour valider la version révisée du TCE. De même, le Parlement européen considère que la version révisée de ce traité reste en contradiction avec l’Accord de Paris et la loi européenne sur le climat. Cerise sur le gâteau : huit États ont déjà annoncé leur décision de se retirer du TCE, dont les pays voisins de la Belgique : France, Allemagne, Pays-Bas et Luxembourg.

Un compromis bancal

Malgré l’échec de sa modernisation, certains États européens tentent de le maintenir en vie. C’est le cas de la Suède, qui assure actuellement la présidence de l’UE et qui vient de proposer le compromis suivant : les États membres de l’UE votent pour une sortie du TCE par l’UE en tant qu’organisation régionale mais valident dans le même temps la version modernisée du TCE afin de permettre aux États qui le souhaitent de rester dans le TCE.

Cette proposition ne tient pas la route pour au moins trois raisons. Primo, elle bafoue à la fois le principe de coopération loyale entre l’UE et les États membres inscrit à l’article 4.3 du Traité sur l’UE mais aussi la résolution du Parlement européen qui leur demande d’agir de manière coordonnée pour sortir du TCE. Secundo, ce scenario où certains États membres restent partis contractantes du TCE tandis que d’autres se retirent nuirait à la cohésion de l’UE à la fois sur la scène internationale et en son sein. L’application au sein de l’UE de deux versions différentes du TCE créerait en outre une grande insécurité juridique. Tertio, tous les efforts diplomatiques pour assurer l’adoption de la version modernisée du TCE incomberaient désormais aux seuls États qui, comme la Belgique, n’ont pas encore décidé de sortir du traité. Ils devraient, en plus, continuer à financer et à assurer le fonctionnement du Secrétariat du TCE sans bénéficier du soutien des autres grands pays de l’UE qui s’en sont retirés. En restant dans le TCE, la Belgique aurait donc tout à perdre.

Pour une sortie coordonnée de l’UE et des États membres

L’option la plus efficace pour l’UE et ses États membres consiste à sortir de manière coordonnée du TCE. C’est d’ailleurs ce scénario que les services de la Commission européenne considèrent comme le plus adéquat. Pour être pleinement efficace, un tel retrait devrait s’accompagner de la conclusion d’un accord entre les parties sortantes pour neutraliser immédiatement la clause d’arbitrage.

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