Les coups de cœur de Guy Duplat: "Guerre et trauma", Roger Ballen, Philippe Boesmans, etc...
André Gide (le lit-on encore ?) disait que « l’importance est dans le regard, non dans la chose regardée ». Un regard se forme, s’éduque, se cajole. Un bon exercice est de varier l’angle du regard.
- Publié le 03-04-2014 à 07h07
- Mis à jour le 16-04-2014 à 14h14
André Gide (le lit-on encore ?) disait que « l’importance est dans le regard, non dans la chose regardée ». Un regard se forme, s’éduque, se cajole. Un bon exercice est de varier l’angle du regard. C’est notre « conseil » de la semaine. Au théâtre et surtout en danse, il est très différent de se retrouver devant, aux tout premiers rangs. On voit alors les danseurs comme s’ils nous touchaient, on sent leur souffle, leur culot. Etre au premier rang et « entrer » dans la danse, est parfois presque dangereux mais plus excitant que d’être caché au fond de la salle. Ce qu’on peut perdre en vue d’ensemble, on le regagne largement en s’imprégnant des mouvements et des corps.
Une belle occasion de tester ça est de voir à partir de jeudi au Singel, à Anvers, le nouveau solo de Jan Fabre, créé pour Cédric Charron, un des ses danseurs fétiches. Fabre a toujours eu la générosité d’offrir à ses danseurs des solos souvent merveilleux.
On peut aussi changer le regard avec de simples jumelles qui focalisent l’attention sur des détails.
Au cinéma aussi, on peut varier son point de vue. Si le public préfère les sièges à l’arrière, un ami cinéphile choisit pourtant, au contraire, d’être à l’avant. Et j’ai retrouvé un jour Luc Dardenne faisant la même chose : « C’est la meilleure manière, disait-il, d’être dans un film ».
Changer de lieu, changer de sujet, peut aussi modifier le regard comme on peut le vérifier en se rendant à Gand au beau musée du Dr Guislain. Un hôpital psychiatrique du XIXe siècle, encore habité de patients. Un monde un peu étrange et différent. On y présente deux excellentes expositions : « Guerre et trauma », la meilleure expo jusqu’ici, sur la guerre de 14. Des dizaines d’artistes expriment les blessures physiques et mentales que la guerre laisse, depuis le « shell shock » de 14-18, jusqu’aux bombardements en Syrie. Avec des œuvres émouvantes et fortes. Ce regard renouvelé sur l’Autre, choqué, se retrouve aussi au Dr Guislain, chez Roger Ballen, grand artiste sud-africain qui a photographié les marginaux afrikaners avant de construire d’étranges et mystérieuses images, des voyages aussi beaux que tourmentés, dans la psyché humaine.
Pour terminer ce mini-trip à Gand, « sa beauté est le secret le mieux gardé au monde » disait le National Geographic, très enthousiaste, faites un saut, au centre, sur la place Emile Braun, à côté du beffroi. Paul Robbrecht et Hilde Daem y ont construit une grande halle urbaine comme au Moyen Âge, mais très contemporaine, acclamée partout, mais qui reste fort discutée en ville. Question de regard ! Nous l’aimons beaucoup. Et vous ?
Un dernier conseil : ne manquez pas « Au monde » de Joël Pommerat et Philippe Boesmans à la Monnaie à Bruxelles. Une création, un opéra contemporain très accessible et plein d’émotion, avec la musique et les chants de Boesmans interprétés merveilleusement. On retrouve l’univers de Pommerat mais comme amplifié et magnifié par la musique de Boesmans. Un monde enfermé, qui se meurt, qui a peur des menaces qui pointent à l’extérieur, derrière ses murs. Une métaphore très forte de la situation de l’Europe. Une preuve que l’opéra reste un art bien vivant et actuel.
Des conseils de Guy Duplat.