Quand des hackers inspirent l'État
La transparence taïwanaise, incarnée par sa ministre du Numérique Audrey Tang, fait bouger la démocratie.
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- Publié le 01-09-2022 à 12h08
- Mis à jour le 01-09-2022 à 16h29
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Une chronique d'Alice Dive, journaliste
C’était le mardi 2 août dernier lors de son arrivée à Taïwan. Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, mettait le monde au parfum par ces mots, partagés sur la twittosphère : « La solidarité de l’Amérique avec les 23 millions d’habitants de Taïwan est plus importante aujourd’hui que jamais, alors que le monde est confronté à un choix entre autocratie et démocratie ». Tandis que la zone cristallise - avec l’Ukraine - toutes les tensions géopolitiques, l’Amérique de Joe Biden entend ainsi manifester son soutien à « la démocratie dynamique de Taïwan » face à l’État communiste chinois dans l’hyper-surveillance des réseaux Internet.
Un visage en particulier incarne aujourd’hui le contraste radical entre ces deux modèles de société : celui d’Audrey Tang, ministre taïwanaise des Affaires numériques, véritable prodige du Web, par ailleurs premier membre d’un gouvernement au monde à s’être déclaré ouvertement transgenre. Depuis 2016, Taïwan a choisi de mettre l’accent sur des outils numériques capables de donner plus de contrôle à ses citoyens. La ministre Tang, qui se revendique volontiers comme une « anarchiste conservatrice » et qui défend une vision de l’Internet libre et égalitaire, ambitionne dès lors de réinventer la démocratie face au rouleau-compresseur chinois. En clair : faire de Taïwan un État numérique ouvert.
Une surdouée du web qui détourne des sites officiels
Audrey Tang, aujourd’hui âgée de 41 ans, était tout juste adolescente lorsque Internet a commencé à se développer. Elle a appris, dès l’âge de 8 ans, la programmation informatique… sans ordinateur ! Elle notait toutes les formules dans des carnets. Enfant surdouée, elle met le cap à seulement 14 ans sur la Californie, où l’industrie de la tech est alors en plein développement. C’est là qu’elle évoluera dans la « culture des hackers », un cercle de génies de l’informatique formés au très prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT). Elle s’imposera très vite auprès de ses pairs et développera même son propre moteur de recherche en mandarin. En 2014, alors qu’elle est âgée de 33 ans, elle apporte son soutien au « mouvement des tournesols », un mouvement protestataire d’occupation du parlement taïwanais. Les militants, majoritairement étudiants, luttent contre l’adoption de l’accord visant à faciliter le commerce entre la Chine et Taïwan et dénoncent l’intervention qu’ils jugent trop mineure du parlement dans l’examen du texte en question. Ce mouvement fut essentiel dans l’engagement politique de celle qui rejoindra ensuite gOv, un groupe de citoyens- hackers taïwanais dont l’objectif est de révolutionner la démocratie à Taïwan via l’utilisation du numérique. Les militants détournent des sites officiels en y ajoutant des données gouvernementales gardées secrètes et luttent en faveur d’une « transparence radicale ». Leur retentissement sera planétaire et leur impact à ce point conséquent à Taïwan qu’ils deviendront incontournables.
Talents de hacker contre virus mortel
Lorsqu’elle accède au ministère du numérique, en 2016, Audrey Tang innove en lançant une plateforme de délibération citoyenne dont le but est de permettre aux citoyens taïwanais d’échanger librement avec le gouvernement. Ce modèle de démocratie, qui inspire de par le monde, a notamment fait ses preuves lors de la pandémie de Covid-19. Tandis que son pays, peuplé de 23 millions d’habitants, a pris immédiatement au sérieux la menace du coronavirus, la ministre Tang mettra à profit ses talents de hacker en développant une application capable de dresser précisément l’inventaire des masques chirurgicaux. Le gouvernement a également autorisé le traçage des malades via la récupération des données sur leur téléphone portable, une méthode controversée. Alors interrogée sur l’usage d’un tel outil, fut-il pour lutter contre le virus, Audrey Tang avait répliqué ceci : « Le danger n’est pas dans la technologie elle-même mais dans la société, où existent des habitudes de discrimination ».
Les réformes de Taïwan démontrent en fait ce qu’il se passe - dans le meilleur des scénarios possibles - lorsque des techniciens chevronnés mettent la main sur le gouvernement. De quoi en faire méditer plus d'un.