Le nazisme, les fours crématoires, le “bruit des bottes”… comment les politiques abusent du Point Godwin au total mépris de l’histoire
En début de semaine, une collaboratrice de l’ancienne secrétaire d’État à l’Égalité des chances Sarah Schlitz (Ecolo) a comparé le député N-VA Sander Loones à… “un nazi”. D’où vient cette dangereuse tendance à recourir au mépris de l’histoire à l'hitlérisme pour démonter son adversaire politique lorsque l’on se retrouve à court d’arguments ? Que dit de notre société cet usage excessif du Point Godwin ? Éclairage.
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Publié le 29-04-2023 à 07h04
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Les exemples du genre pullulent dans le débat politique belge. Le dernier en date remonte au début de cette semaine. Lisez plutôt. Tandis que la secrétaire d’État à l’Égalité des chances Sarah Schlitz (Écolo) tentait de se dépatouiller en vain – elle a démissionné de son poste mercredi – de l’affaire dite “du logo personnel” qui atteste qu’elle a utilisé de l’argent public au profit de sa propre communication, l’une de ses collaboratrices a posté sur son profil Instagram une “story” dans laquelle elle compare le parlementaire nationaliste flamand Sander Loones, à l’origine de la révélation de l’affaire, à un nazi. De quoi faire bondir les ténors de la N-VA, parmi lesquels l’ancien secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken. Face à cette nouvelle polémique, l’écologiste n’a eu d’autre choix que de s’excuser pour les propos tenus par sa collaboratrice mais cela n’a pas calmé le courroux de ses adversaires.
Le nazisme, l’hitlérisme, les fours crématoires, le “bruit des bottes”… d’où vient cette dangereuse tendance à recourir au mépris de l’histoire à ces termes pour démonter son adversaire politique lorsque l’on se retrouve à court d’arguments ? Que dit de notre société cet usage excessif du fameux Point Godwin (plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler se rapproche de 1. Celui qui s’en rend coupable gagne un Point Godwin, NdlR) ?
”Une dégradation générale du langage”, “de fausses analogies historiques”
“La racine du mal, c’est une dégradation générale du langage”, observe Olivier Mannoni, traducteur littéraire et auteur du brillant essai “Traduire Hitler” (Éditions Héloïse d’Ormesson). L’homme a passé huit années de sa vie à traduire “Mein Kampf”. On constate dans notre société cette incapacité d’utiliser un langage subtil et intelligent, avec de vrais raisonnements. Cette dégradation fait que l’on ne dispose plus des moyens de se communiquer les uns les autres ce que l’on veut vraiment se communiquer. Cela passe par le flou, l’insulte, par de fausses analogies historiques. C’est très inquiétant et pour changer la donne, il faudrait d’abord que la parole politique redevienne claire et non mensongère”.
En France, ce phénomène qui consiste à utiliser à mauvais escient et au mépris de l’histoire des termes faisant référence à l’Holocauste s’est intensifié au moment de la pandémie de coronavirus. Les soignants qui n’étaient pas vaccinés n’ont pas été réintégrés dans leurs fonctions (ce qui génère à juste titre un débat de fond). S’en est alors suivie une campagne délétère contre le gouvernement français que d’aucuns n’ont pas hésité à qualifier de “gouvernement nazi”. “C’est une assimilation invraisemblable de faits qui n’ont absolument aucun lien”, déplore Olivier Mannoni. Dans le même temps, on a vu rejaillir dans le grand mouvement complotiste qui a accompagné la crise sanitaire des éléments antisémites puissants : des pancartes arborant cette interrogation “Qui ?” pour désigner les responsables de l’épidémie ou “ceux qui veulent tuer tout le monde avec un vaccin”. La réponse, selon eux : les Juifs”. On retrouvait alors sur ces pancartes des personnalités telles que le financier américano-hongrois d’origine juive George Soros, l’écrivain et ancien conseiller spécial de Mitterand Jacques Attali ou encore le président Macron lui-même judaïsé pour l’occasion.
Mais ce n’est pas tout. Pour brouiller encore un peu plus le débat, d’autres ont choisi de se balader dans les rues de Paris avec l’étoile jaune flanquée du terme “non vacciné”. “C’est dramatique. C’est une bêtise sans nom”, s’offusque Olivier Mannoni. Et lorsque l’on rétorque à ces personnes que cela n’a absolument rien à voir, ils vous traitent immédiatement de “traître”, de “collabo”. Cela contribue à banaliser ce qu’il s’est passé entre 1933 et 1945 à Auschwitz. C’est extraordinairement dangereux et cela se passe aujourd’hui partout en Europe”.
Les “Ukronazis” selon Poutine, même phénomène
Pour illustrer son propos, l’intéressé se réfère notamment à la propagande que mène actuellement le président russe Vladimir Poutine contre les Ukrainiens qu’il qualifie “d’Ukronazis”. Via les canaux de communication officiels et les réseaux sociaux, il tente de faire passer l’idée selon laquelle la Russie symbolise la fin d’Hitler tandis que l’Ukraine regorge de collaborateurs. “Or, les chiffres attestent que l’armée soviétique était composée de 8 millions d’Ukrainiens et qu’il y avait face à cela 80 000 Ukrainiens qui ont collaboré avec les nazis”, objective-t-il. Taxer les Ukrainiens d’Ukronazis, cela procède du même phénomène décrit ci-dessus, à savoir que l’on récupère un événement historique qui a coûté la vie à six millions de Juifs (auxquels il faut ajouter des millions de morts de la Seconde guerre mondiale) pour noyer le poisson en exploitant la méconnaissance des gens”.
Toutefois, souligne l’intéressé, cet usage erratique du langage au mépris de l’histoire ne doit pas occulter une autre réalité également bien présente aujourd’hui : le retour avéré de généalogies au moins linguistiques et thématiques que l’on croyait disparues, aussi bien en Allemagne avec le parti d’extrême droite AfD qu’en France avec Eric Zemmour et son parti Reconquête !. “Dans ces deux cas, on peut clairement affirmer qu’il y a une résurgence d’éléments qui sont puisés dans la linguistique nazie. Je songe notamment à l’usage du terme “remigration” qui ne veut strictement rien dire en soi, si ce n’est de renvoyer les migrants chez eux sans savoir qui, quoi et comment. C’est un terme de camouflage, il y a là une volonté d’exclure, de détruire même si cela n’est pas formulé aussi clairement. C’est une autre réalité qu’il faut impérativement prendre en compte dans ce grand débat”, termine-t-il.