"Je voudrais connaître la moitié de mon identité génétique qui m’est refusée"
Que raconte votre famille ? Vous a-t-on tout dit à son sujet ? Des lecteurs de La Libre nous ont confié leur plus grand secret de famille. Aujourd’hui, Althea, 44 ans, raconte comment elle a découvert qu’elle était issue d’un don de gamètes et ce que cela a changé à sa vie. Le professeur Mauricio Garcia, psychanalyste, a accepté de commenter ce témoignage et de revenir sur la problématique de la filiation anonyme en Belgique.
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Publié le 10-05-2023 à 13h00 - Mis à jour le 10-05-2023 à 19h17
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Le témoignage d’Althea, 44 ans
”J’ai découvert que mon père n’est pas mon père biologique, que je suis issue d’une PMA (procréation médicalement assistée, NdlR).
Qu’est-ce que cela a changé pour moi ? Tout et rien à la fois. Ma relation avec mon père n’a pas changé, je l’ai trouvé courageux mais en même temps la moitié de mon identité génétique m’est refusée.
Y a-t-il eu un avant et un après dans ma vie personnelle et intime ? Oui certainement, même si ça n’a pas totalement changé ma vie personnelle, j’ai mieux compris mon parcours.
J’ai partagé ce secret avec mon mari et mes amis proches. J’en parle volontiers excepté à mes oncles, cousines, bref à ma famille car mes parents ne le désirent pas.
Enfin, je voudrais faire un test génétique pour connaître l’identité qui m’est refusée, mais je ne suis pas certaine que cela m’apportera de vraies réponses”.
L’analyse du professeur Mauricio Garcia, psychanalyste
Mauricio Garcia, psychanalyste (EBP), professeur de psychologie à l’Université Saint-Louis et professeur invité à l’UCLouvain, est notre expert dans cette chronique. Il analyse les propos d’Althea.
”Ce témoignage soulève d’abord l’interrogation suivante : pourquoi certaines personnes issues d’un don de gamètes se questionnent-elles plus que d’autres sur leur identité génétique ?
Certaines peuvent vivre sans avoir besoin de savoir qui est leur “géniteur” dès le moment où c’est leur “père social” qui les a élevées. Cela s’installe comme une évidence, ce n’est pas un problème. Cela ne soulève pas de secousses émotionnelles ni de questions de filiation. Pour elles, la filiation est d’emblée comprise comme un processus psychologique et social et non comme une réalité biologique. Il y a d’ailleurs des cultures qui cultivent cet état d’esprit. Je songe notamment aux pays d’Afrique où l’on appelle “frère” une multitude de personnes qui ne partagent pas entre elles le même patrimoine génétique mais qui ont scellé entre elles des alliances sociales.
D’autres comme Althea s’interrogent sur la partie de gènes qui vit en elles et ont une lecture plus orientée sur la réalité biologique. Dans son témoignage, Althea dit s’interroger sur une partie de son information biologique, celle qu’elle tient d’un homme inconnu et sans cette information, dit-elle, elle ne sait pas vraiment qui elle est. Il y a donc quelque chose de sa filiation qu’elle ignore. Nous, Cliniciens, constatons donc que les êtres humains vivent différemment ce phénomène selon ce paramètre : le fait de valoriser ou non la dimension sociale, émotionnelle et psychique du lien au père.
Ensuite, observez le terme qu’Althea emploie lorsqu’elle écrit : “La moitié de mon identité génétique m’est refusée”. Cette phrase est très forte. Par là, elle ne dit pas seulement qu’elle ignore une partie de son information génétique, elle vise aussi et surtout le “refus” non seulement de son géniteur et de son père social mais aussi celui du système médical, du système juridique qui consacre le fait de conserver anonyme l’identité du donneur de sperme. C’est donc tout le système qu’elle vise ici.
Dans son témoignage, Althea montre par ailleurs beaucoup de lucidité puisqu’elle dit avoir envie de faire un test génétique pour connaître l’identité de son géniteur mais en même temps admet qu’elle n’est pas certaine que cela lui apportera de vraies réponses. Elle laisse entendre qu’elle a déjà perçu que la vraie question n’est pas là, que cela ne va pas résoudre la question de la filiation. La filiation est une réalité humaine beaucoup plus complexe que la seule connaissance des antécédents génétiques.
Enfin, il faut souligner qu’une relation de filiation est par définition bilatérale. Ce qui se passe là n’est pas anodin non plus pour le “père social” qui n’a pas forcément envie – même si ce n’est pas dit – qu’on le renvoie au fait qu’il n’a pas donné ses informations génétiques à sa fille. Cela peut peser, pas toujours mais cela peut arriver. Ceci explique peut-être pourquoi les parents d’Althea ne souhaitent pas qu’elle raconte aux oncles et cousines, à la famille, qu’elle est issue d’un don de gamètes. Comme pour beaucoup de choses dans la vie, nous sommes des êtres ambivalents. Cela peut s’entendre, je ne dis pas qu’ils ont tort, les parents d’Althea sont lucides et anticipent une réaction familiale et sociale qui n’est pas complètement délirante ni fantasmatique”.