Quand une Simone en cache une autre
Lors de réunions de famille, dans le débat public, Simone Veil avec un “V” et Simone Weil avec un “W” sont fréquemment confondues. À tel point que la femme politique a occulté la philosophe. Pourtant, la pensée et l’engagement de cette dernière méritent une pleine reconnaissance.
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Publié le 13-05-2023 à 20h16 - Mis à jour le 13-05-2023 à 23h26
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Cela s’est encore produit l’autre soir, lors d’une réunion de famille. La scène, presque comique, pourrait se résumer en ces quelques échanges : “C’est une citation de Simone Veil, dis-tu ? Je ne la resitue pas. – Oui je t’assure, elle appartient bien à Simone Weil. – Mais d’où est-elle tirée ? Dans quel contexte la femme politique l’a-t-elle prononcée ? – La femme politique ? Mais pardi, je te parle de la philosophe !”
Bien sûr on pourrait longtemps débattre de la manière dont il s’agit de prononcer le “V” et le “W”, mais force de constater qu’à l’oral Simone Veil et Simone Weil sont de parfaits homonymes. Cette confusion récurrente est regrettable car elle a pour effet d’occulter injustement celle dont la pensée et l’engagement furent déterminants au XXe siècle et bien au-delà. Réhabilitons Simone Weil avec un “W” !
L’une panthéonisée, l’autre pas

Pour faire clair, Simone Veil avec un “V” est la femme politique, ancienne ministre française de la Santé qui a fait voter la loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle a connu les horreurs de la Shoah durant la Seconde guerre mondiale et est rescapée du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. En 2018, elle est entrée au Panthéon et est devenue par là la cinquième femme à intégrer ce Monument dédié aux grands personnages de la République française. À cette occasion, l’opinion publique s’était d’ailleurs interrogée sur l’opportunité de voir “l’autre Simone” lui emboîter le pas mais Weil, elle, n’avait finalement pas été panthéonisée. Pas encore ?
Simone Weil avec un “W” est une philosophe française née en 1909 et morte en 1943, à l’âge de 34 ans seulement. Elle est aujourd’hui considérée comme l’une des plus grandes penseuses du XXe siècle. Pour tenter de décrire la pensée multiforme de celle-ci, la philosophe et actuelle directrice de France Inter Adèle Van Reeth avait un jour déclaré dans son émission “Les Chemins de la Philosophie” : “Sa maîtrise de la philosophie de Platon n’a d’égale que celle de la pensée de Trotski, qui elle-même n’a d’égale que sa maîtrise de la mystique chrétienne, qui elle-même n’a d’égale que celle de la science grecque”. Cela vous donne une petite idée du personnage…
Ouvrière à la chaîne, rédactrice pour la France libre
Par où commencer ? Née dans une famille juive non pratiquante, Simone Weil est une enfant précoce qui défend les plus fragiles. C’est son combat. À l’École normale supérieure où elle est reçue à une époque où on ne recevait pas les filles (sauf dérogations pour les plus exceptionnelles), elle est surnommée “la Vierge rouge”. Après de brillantes études de philosophie, elle se tourne vers l’engagement politique d’extrême gauche et le militantisme syndical. Comme elle ne fait jamais les choses à moitié, elle décide en 1936 de tout quitter pour aller travailler à l’usine comme ouvrière à la chaîne afin de connaître la condition des plus pauvres. Le travail est extrêmement rude, elle le décrira dans un livre intitulé “Journal d’usine”, une sorte de carnet intime de son expérience à l’usine dans lequel elle mêle des réflexions politiques et un récit de son corps souffrant et abruti par les conditions de travail.
Simone Weil veut être là où les choses se passent. Ainsi, elle rallie l’Espagne lorsque se déclenche la guerre civile espagnole puis, plus tard en 1942 après avoir rejoint les États-Unis avec ses parents, elle quitte tout une fois encore pour se rapprocher de la catastrophe et rejoindre Londres et les résistants. Elle travaille comme rédactrice dans les services de la France libre et rédige son célèbre ouvrage “L’Enracinement ou Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain” qui soulève l’admiration d’Albert Camus. Dans cette œuvre, Simone Weil livre une méditation sur le sens de l’enracinement qu’elle considère comme “le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine”. Sa pensée sera aussi dédiée à son goût pour l’absolu qu’elle expose avec brio dans “La pesanteur et la grâce”.
”Le Christ est descendu et m’a prise”
À la fin de sa – courte – vie, elle sera profondément attirée par le christianisme. Elle ira même jusqu’à raconter sa rencontre avec le Christ lui-même en écrivant : “Le Christ est descendu et m’a prise”. Sans intermédiaire donc. Plusieurs expériences d’ordre mystique la conduiront à emprunter un parcours spirituel remarquable dans lequel le souci de l’autre demeure au premier plan. Ses écrits se placent désormais aux côtés de ceux de Saint François d’Assise et de Saint Jean de la Croix.
À l’été 1943, Simone Weil est atteinte de tuberculose et succombe à la maladie… quelques mois avant la déportation de Simone Veil à Auschwitz. Sa pensée, à la fois fine et radicale, philosophique et mystique, fait d’elle un modèle d’exigence morale, intellectuelle et d’engagement. Pour toutes ces raisons, elle mérite une pleine reconnaissance.