"À la mort de notre oncle Roger, le dégoût l’emporta. Aujourd’hui, le mystère continue de planer”
Que raconte votre famille ? Vous a-t-on tout dit à son sujet ? Des internautes de “La Libre” nous ont confié leur plus grand secret familial. Aujourd’hui, Pierre Guilbert raconte l’histoire de son oncle Roger, rexiste et collaborateur durant la Seconde Guerre qui laisse derrière lui plusieurs mystères. La chercheuse et psychologue Aline Cordonnier a analysé pour nous ce récit. “Les mémoires collectives liées à la collaboration sont très différentes entre la Flandre et la Wallonie”, affirme-t-elle.
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Publié le 22-05-2023 à 11h59 - Mis à jour le 22-05-2023 à 12h51
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Peut-on écrire sur quelqu’un qu’on n’a pas aimé et qui est mort depuis belle lurette ? Il ne peut pas se défendre, ni répliquer. Ni se justifier. Dès lors, est-ce un bien ou un mal de relater cette vie qui aura laissé – si peu si peu, reconnaissons-le – des traces dans la mienne ? Je dirais pour ma part que c’est légitime. Tant pis pour lui, c’est aussi ma vie.
Je dirais en outre que c’est aussi un bien pour lui. En effet, chaque fois que ça m’arrive de penser à lui – très rarement et jamais en bien – je me dis que personne d’autre que moi n’y pense. À part sans doute, tout aussi rarement et jamais non plus en bien, mes frères et sœurs. D’autres ? Deux cousines peut-être. Mais personne d’autre. Il est vraiment tombé dans l’oubli. Donc, d’une certaine manière, je lui fais hommage à penser à lui-même en mal. Non ?
Alors ? J’en parle ? Je le sors de l’oubli ?
J’en parle !
Deux frères très différents
Né en 1920, Roger était notre seul oncle côté paternel.
Aîné d’une famille de quatre, il aura connu une enfance triste et bouleversée. Malheureuse. Sa sœur Paulette, née deux ans après lui, mourra à dix-huit mois, de même que son deuxième frère, Michel, qui mourut avant son premier anniversaire.
Ils ne seront que deux dès lors, deux frères très différents, à vivre avec l’extrême tristesse de notre grand-mère, l’adorable Mamita qui nous aimera enfants, et de notre grand-père, notre honorable Papy qui, lui, nous offrira sa calme et paisible bienveillance bercée d’une admiration sans faille pour tous ses petits-enfants. Mais cela, ce sera pour plus tard, dans leur costume de grands-parents aux yeux doux et souriants. Dans les années 20 et 30, ils n’étaient que simples parents par deux fois désenfantés. Tous les dimanches, ils allaient au cimetière, fleurir les deux petites tombes innocentes. La larme à l’œil, mais la force de faire front au ventre.
Une enfance triste donc qui aura débouché sur deux destins diamétralement opposés : d’un côté, mon père, appelé Paul (par coquetterie, il orthographia son prénom Pol), être aimé et aimant, généreux et charismatique, artiste de la blague, qui se paya une petite notoriété locale au même titre qu’une belle réussite industrielle, à la tête d’une imprimerie. Et de l’autre, son frère aîné, Roger, être égocentrique d’extrême droite. Un frustré de la vie, sans couple ni enfant, marié avec la bière arrogante et le mépris enfumé. Deux exemples qui s’offraient à nos yeux d’enfants, et qui nous rendaient fiers d’être les enfants du plus jeune sans pour autant, tellement il était caricatural, nous fourguer la honte d’être les neveux de l’aîné.
Neveux ? Pire : j’en fus, moi, le filleul ! Et, vous l’aurez compris, je ne l’aimais pas.
Le bruit des bottes
Nos grands-parents étaient ouvriers. Papy, imprimeur à Lille, traversait la frontière à vélo tous les jours. Et Mamita travaillait comme manutentionnaire en usine. C’étaient des gens simples, d’un charme et d’une gentillesse communicantes.
Fin des années 30, un des frères de Papy proposa à son neveu Roger, grand adolescent, de l’accompagner à un meeting de l’homme politique qui montait à l’époque, un gars qui galvanisait son public à force de diatribes et d’envolées lyriques, conjuguant catholicisme conservateur et attaques antisémites, Léon Degrelle, le tribun de l’extrême droite fasciste de Belgique. Le fondateur de Rex. Roger en revint fasciné. Et même converti. Il s’engagea dans le rexisme, au grand désespoir de ses parents, d’obédience davantage socialiste, voire syndicaliste, voire encore proches plus tard de la résistance.
Le bruit des bottes s’amplifia. Roger, lui, salivait. Hitler, Mussolini et Degrelle étaient la solution. Sa sympathie envers ce régime de rêve l’amena à, évidemment, collaborer.
Ce qu’il fit pendant la guerre, nous ne l’avons jamais su. Mais à la fin du conflit, il fut arrêté, emprisonné. Et Papy aussi, parce que père de collabo. Pol se démena comme un diable pour sortir son père de prison. Il n’était encore qu’un tout jeune gars de 18 ans, sans relations ni origine sociale à même de, mais pourtant il remua ciel – l’évêque – et terre – des juges, le bourgmestre – pour faire entendre la voix de la raison. Et entre deux antichambres, il allait voir père et frère à la prison, rapportant des nouvelles à Mamita qui, après avoir perdu deux bébés, voyait son fils aîné menacé, et son si gentil mari noyé dans l’opprobre du déshonneur.
Un jour, Pol put enfin annoncer l’excellente nouvelle : Papy était libre ! Ce fut alors la fête dans le quartier, tant ces gens-là aimaient celui qui allait devenir notre grand-père.
Quant à Roger, il fut condamné à mort, oui oui. Mais il ne fut pas exécuté. Trop de têtes à couper, nous dira-t-on plus tard. Et il fut libéré, lui aussi, après quelque temps.
La générosité de mon père
Entretemps, le nom de Guilbert était devenu honni à Tournai. Une marque d’infamie, un branding de honte. L’imprimerie Guilbert, créée par notre père, en souffrit bien évidemment. Des clients se rétractèrent. Quasi tous. Pire : de fausses commandes furent passées. Pol imprimait tout un lot de cartes de visite, qu’il allait livrer fissa, pour découvrir alors qu’il s’agissait d’une fausse adresse avec un faux nom. Aussi changea-t-il la dénomination de son entreprise en “Imprimerie Artistic”, un nom qui, tranchant avec la pratique de l’époque qui consistait à se contenter d’accoler son patronyme à sa raison sociale, faisait du coup moderne. Peu après, décidément peu rancunier, notre père eut la générosité de confier la direction de l’atelier à son frère après sa sortie de prison.
Lorsque, dans les années 50 et 60, nos parents eurent leur flopée d’enfants, on nous dit d’emblée ce qui s’était passé avec notre oncle si peu recommandable. Il avait été “incivique”, un mot qui figura immédiatement dans notre vocabulaire, bien avant que nous n’ayons l’âge de savoir véritablement ce que cela voulait dire.
Ce ne fut donc pas un secret de famille, vu qu’on nous dit tout, sans toutefois nous expliquer quoi que ce soit. Nous avons grandi avec cette vérité, que nous n’avons cependant jamais cherché à établir précisément. D’une part, nous ne pensions pas à ça. Il faut dire qu’à l’époque nous ignorions quasi-tout de la deuxième guerre mondiale. Les seuls mots que nous pouvions y accoler étaient Hitler, Boches, exode, La grande Vadrouille et incivique, mot qui devait à nos yeux s’apparenter à mal poli ou pas gentil. La Shoah ? Je ne pense pas que nous en ayons entendu parler. Et le terme Juif restait totalement anodin, comme on dirait écossais, roux ou boulanger. D’autre part, nous n’avions jamais envie d’engager la conversation avec cet oncle antipathique.
C’était toujours lui qui gueulait le plus fort
Notre enfance s’est déroulée avec ces deux modèles aux antipodes l’un de l’autre. Pol, notre père, aimé et aimant, drôle et charismatique, entouré d’amis, qui avait réussi couple, famille, carrière et engagement politique ; et Roger l’incivique honni, qui avait divorcé – parce que Tante Raymonde, nous avait-on dit, préférait vivre à Bruxelles – et tout raté. Ses rares amis, c’était dans les bistrots, et c’était toujours lui qui gueulait le plus fort.
Un jour, le Sarma du centre-ville de Tournai brûla. Quelles étaient les causes de l’incendie, je n’en sais rien. Mais pour notre oncle Roger, le crime était signé : c’était un coup des maoïstes !
Plus tard, nous apprîmes que notre père avait mis fin à la collaboration avec Roger. Il avait donc viré son propre frère, qu’il aida toutefois à trouver une autre place d’imprimeur. À Arlon, c’est-à-dire au bout du monde pour nous. Nous ne l’avons pas pleuré. Et, bien sûr, n’avons jamais été le voir là-bas.
Pourquoi avait-il été viré ? On ne le sut que bien plus tard : parce qu’il continuait à défendre mordicus ses idées d’extrême droite à force d’exclamations durant lesquelles il se prenait pour Degrelle, qu’il appelait “Le Chef”, sans bien sûr avoir quoi que ce soit qui puisse rivaliser avec un tribun populiste. La prison et la honte ne l’avaient pas amené à changer, ni même à assouplir son propos, et cela commençait, à nouveau, à endommager l’image de l’entreprise familiale. Notre père devait régulièrement aller le chercher, ivre, dans ses bistrots préférés, où les piliers connaissaient par cœur sa grande fidélité à l’égard de son ami le grand Léon Degrelle.
”Le Pen, c’est un mec bien”
Bien plus tard, lorsque je travaillais, milieu des années 80, je discutais avec un commerçant bien bien libéral, bien bien à droite, qui venait de découvrir que j’étais un neveu de Roger.
– C’est terrible, me dit-il, ce qu’il n’a pas compris que le monde a changé ! Il garde son discours du temps de la guerre, ça ne va pas…
– Oui, répondis-je, et surtout maintenant, quand on voit ce qui se passe en France.
– Que veux-tu dire ? me demande-t-il.
– Ben, je parle de la montée du Front national, de Le Pen.
– Ah non, je ne suis pas d’accord ! Le Pen, c’est un mec bien ! Il va faire enfin du bien à la France.
C’est ce jour-là que je découvrais que mon parrain était à la droite de la droite de Le Pen !
Le “destin” des Guilbert
C’est à peu près à la même époque qu’un cadre du PS local déboula dans mon bureau, la mine grave et affolée, m’intimant les yeux dans les yeux de lui dire la vérité, toute la vérité. Je ne comprenais ni son émoi ni bien sûr les raisons de celui-ci.
– Pierre, me dit-il, dis-moi si c’est vrai que tu fais partie du Front de la Jeunesse ?
– Pardon ? (Le Front de la Jeunesse était le mouvement jeune de l’extrême droite, un rassemblement de fieffés connards rasés encore plus fachos que leurs aînés, et dont les biceps avaient à l’évidence puisé tellement d’énergie qu’il n’y en avait plus eu assez pour irriguer le cerveau.)
Je niais évidemment de toutes mes forces, jurant sur la tête de tous mes enfants à venir que c’était faux, archi-faux. J’étais alors nettement plus à gauche que ce socialiste endimanché. Le gars restait circonspect face à mes dénégations. Tu penses : c’était le patron du PS de Tournai himself qui lui avait révélé l’histoire. Et la preuve irréfutable que cet apparatchik mordant avançait, c’était, bien sûr, Roger. Avec un oncle collabo, notre destin à tous les sept Guilbert, c’était évidemment de militer à l’extrême droite !
D’autres de mes frères vécurent la même expérience : un prof de secondaires de l’un d’eux, début des années 70, c’est-à-dire 25 ans après la fin de la guerre, dit à toute la classe qu’un des élèves ici appartient à une famille d’extrême droite… Dégueulasse.
L’odeur du vieux facho
Mon oncle termina sa vie dans un appartement social de Tournai, couperosé et affublé de l’énorme pif rouge des poivrots assumés.
Je ne crois pas avoir été à son enterrement. Je ne m’en souviens pas en tout cas.
Certains de mes frères et sœurs eurent la pénible tâche de vider son appart. Ils me racontèrent que ça sentait mauvais. L’odeur du vieux facho. Et on sentait la solitude triste à chaque ouverture de tiroir, me dira une de mes sœurs. Ils trouvèrent des photos d’Hitler, de Franco, de Degrelle. Une grande photo notamment où Roger et le Chef se tenaient fraternellement côte à côte. Un exemplaire de Mein Kampf aussi, je crois. Le dégoût l’emporta et toutes ces reliques nauséabondes finirent dans des sacs-poubelles. Comme le souvenir de notre oncle. Et ce fut tout. Une vie moche s’était arrêtée, une vie inutile, toxique, qui n’aura amené strictement aucune valeur ajoutée.
”Pourquoi m’avez-vous choisi ce gars comme parrain ?”
Début des années 2000, Pol entra, lentement mais sûrement, dans un Alzheimer qui conditionna radicalement les huit années qui lui restaient alors à vivre. Passé le choc de l’annonce de la maladie, je lui proposai de passer du temps avec lui, pour le questionner sur sa vie, son enfance et son adolescence notamment. Ce furent des moments tout autant passionnants qu’émouvants. Mon père était encore totalement lucide, mais il savait que ce ne serait plus pour longtemps. Il y avait donc urgence à transmettre.
C’est comme ça que j’appris qu’il avait eu une enfance peu joyeuse.
– Pourquoi m’avez-vous choisi ce gars comme parrain ? Un parrain, c’est quand même un modèle, non ? Du moins aux yeux de celui qui le choisit.
– Oh mais non, pas du tout, c’était comme ça. Ton frère avait eu Papy comme parrain, Nadette Mamita comme marraine. Tu étais le troisième, et donc c’était normal que Roger soit ton parrain. Autrement, il aurait été vexé…
C’était une autre époque. Et à celle de ma naissance – 1956 –, on n’était finalement pas si loin que ça de la fin de la guerre, une guerre au terme de laquelle celui qui allait devenir mon parrain fut emprisonné et condamné à mort pour des faits qui n’avaient rien de la seule impolitesse qu’enfants nous lui avions prêtée. J’osai alors cette question qui ne nous avait pas traversé l’esprit lors des petits matins de notre enfance : Roger a-t-il été torturé en prison ? Un silence suivit ma question tandis que le regard de mon père s’envolait dans les airs de la pièce.
– Ce n’était pas beau, me répondit-il. Une réponse tout aussi vague qu’éloquente. Par deux fois je lui reposai la question ; par deux fois, il me fit la même réponse. Et je n’en saurai pas plus.
Le mystère de l’oncle Roger
De très nombreuses années plus tard, dans les années 2010, une de mes sœurs rencontra par hasard une dame, petite-fille d’un ami de notre grand-père paternel. Tu es une Guilbert ? lui demanda-t-elle. Alors, j’ai un document qui t’intéressera.
Et elle lui fit parvenir un document, surprenant.
Le 9 novembre 1951, notre Papy fut auditionné par la police de Tournai et reconnut les faits suivants : pendant l’occupation allemande, une de ses connaissances cherchait à sauver des enfants juifs. Connaissant le métier de notre grand-père, ce vénérable Juste lui demanda s’il pouvait lui imprimer de faux certificats de baptême. Travaillant en France, Papy n’avait pas accès à des machines ; il demanda alors à son fils Roger de le faire à sa place, ce qui sauva au moins quatre enfants.
Que penser de cela ? Notre ébahissement fut évidemment total. Roger le rexiste aurait-il effectivement sauvé des enfants juifs ? Sans doute ne le saurons-nous jamais.
Trois hypothèses se présentent à nous :
- Ce serait une invention de notre grand-père pour laver l’honneur de son fils et partant de sa famille. Et en réalité, ce serait lui-même qui aurait imprimé lesdits certificats. Ou son fils Pol, notre père, lequel avait une presse à la maison.
- Roger aurait obtempéré pour, ensuite, dénoncer l’ami de son père.
- Roger l’incivique patenté aurait effectivement aidé à sauver des enfants juifs.
Cent ans après sa naissance, alors que plus personne n’a encore de pensées à son égard, que penser donc de ce Roger que nous n’avons jamais ni aimé ni respecté ? C’est le mystère de l’oncle Roger.
L’analyse d’Aline Cordonnier
Chercheuse à l’UCLouvain en psychologie cognitive, Aline Cordonnier travaille avec des collègues historiens et politologues dans le cadre du projet RE-Member. Ce projet cherche à mieux comprendre la manière dont les différentes générations gèrent et transmettent leur passé familial lié à la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale. L’équipe est toujours à la recherche de participants, en particulier des familles avec lesquelles elle pourrait parler à trois générations différentes dont le parent/grand-parent/arrière-grand-parent a été jugé pour collaboration à la fin de la guerre. Vous pouvez contacter les chercheurs via le site : https://re-member.be/ou par email : re-member@uclouvain.be
“Cela fait maintenant plus de 5 ans que nous effectuons des recherches sur la transmission des souvenirs au sein des familles d’anciens collaborateurs et nous avons relevé de manière assez générale un silence et une absence de transmission au sein des familles que nous rencontrons. Il convient cependant d’apporter quelques nuances à ce constat.
Notons d’abord des différences entre la Wallonie de la Flandre. Les mémoires collectives liées à la collaboration sont très différentes dans ces deux régions. Mes collègues flamands n’ont jamais eu de difficultés à trouver des familles avec trois générations qui acceptaient de parler de leur passé familial. En Wallonie, après 5 ans de recherche, il n’y a qu’une seule famille avec laquelle j’ai pu parler de ce passé avec trois générations différentes. De plus en Flandre, il y eut plusieurs demandes d’amnistie envers les anciens collaborateurs, chose qu’ont toujours refusée les partis politiques francophones. Il semble que le débat autour de la collaboration soit plus ouvert en Flandre. La collaboration y est également davantage associée dans la mémoire collective à la lutte en faveur de l’identité flamande (qu’aurait favorisée un régime germanique) qu’à l’idéologie nazie.
Notons aussi que le silence autour de la collaboration diffère selon les générations. Pour les enfants de collaborateurs, dans la majorité des cas, le silence a été d’abord de mise, mais a été ensuite levé à un moment spécifique. Certains enfants de collaborateurs nous expliquent le moment où ils ont appris ce passé familial, parfois par hasard, en découvrant une photo, un vieil uniforme, une coupure de presse (caché dans la table de chevet ou au grenier), et aussi parfois de manière délibérée, parce qu’on a décidé qu’ils étaient assez grands pour l’entendre. Mais généralement, si on dit les choses, on ne les explique pas, ou très peu. On confirme le fait : “papa ou grand-père a collaboré”, mais on ne va pas plus loin. On retrouve ce cas dans l’histoire de Mr Guilbert, très bien résumé par l’auteur qui dit : “On nous dit tout, sans toutefois nous expliquer quoi que ce soit”.
Le deuxième silence important que l’on retrouve est intergénérationnel, c’est-à-dire que si les enfants de la personne ayant collaboré le savent, les générations suivantes ne sont pas mises au courant. Probablement dû à une honte et une peur du stigma, la non-transmission est délibérée, le sujet devient tabou, comme pour ignorer et mettre une fin à cette histoire.
Finalement, nous avons parfois des familles où la transmission s’est faite, mais ce que nous remarquons, c’est qu’elle se fait souvent sous forme de justification.
Enfin, bien que les faits remontent désormais à 80 ans, il me semble encore très important d’évoquer la collaboration car, au sein des familles touchées par elle, les stigmates demeurent importants. Le silence a parfois un impact très long et dommageable. Il est donc important de poser des mots, de casser les non-dits de comprendre – sans justifier pour autant – les raisons (idéologiques, économiques, miliaires…) qui ont pu engager cette collaboration. Cela d’autant plus que, pour les jeunes générations, la Seconde Guerre mondiale se voit principalement sous la perspective de la Shoah. Quand on pense à la collaboration, on imagine un papy Nazi dénonçant des juifs. ”