Refuser la tyrannie des sondages
Un édito de Philippe Paquet.
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Publié le 26-10-2021 à 06h35
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C'est un geste fort et inhabituel que pose le quotidien régional Ouest-France. Parce que "l'obsession sondagière […] nous berce d'illusions et nous aveugle", parce que "le temps passé à commenter les sondages détourne les personnalités politiques et les médias de l'essentiel", son rédacteur en chef, François-Xavier Lefranc, annonce que le journal ne "réalisera aucun sondage" sur la présidentielle française avant le scrutin. En toute logique, il ignorera aussi ceux des autres et l'avertissement ne compte pas pour rien : avec plus de 600 000 exemplaires, Ouest-France est le plus gros tirage de la presse quotidienne payante dans l'Hexagone.
Cela fait longtemps que la crédibilité des sondages est mise en cause, partout. En France, au moins depuis l’élection de 2002, quand ils annoncèrent à tort un duel Chirac - Jospin au second tour. Aux États-Unis, en 2016, ils n’ont pas vu venir Donald Trump. C’est, toutefois, un mal nouveau qui motive la sortie du journal rennais : une sacralisation des sondages bientôt synonyme de tyrannie. N’a-t-on pas vu des partis, à gauche comme à droite, songer à désigner leur candidat pour 2022 en fonction de sa position dans les sondages, plutôt qu’en raison de ses idées et de son programme ?
Qu’on ne se méprenne pas ! La démocratie, par définition, requiert des gouvernants qu’ils prennent le pouls de la population : un "baromètre" périodique ou un sondage ponctuel sont des moyens - parmi d’autres - de le faire. Cela ne signifie pas qu’ils doivent pour autant se laisser dicter leur conduite par les sondages, au risque de s’interdire toute décision nécessaire pour peu qu’elle soit impopulaire. Gouverner ne saurait se réduire à rechercher les faveurs du public, et caracoler en tête des sondages ne peut devenir une fin en soi. Pour qu’il n’en aille pas ainsi, il est urgent de remettre les sondages à leur place, en récusant pour commencer leur omniprésence et leur toute-puissance.