"Le savoir-faire belge du chocolat devrait être élevé au rang de patrimoine culturel immatériel de l’Unesco"
Parler de “chocolat belge” ? Une ineptie selon Pierre Marcolini. En 40 ans de métier, le chocolatier de renom a eu beau arpenter notre territoire, il n’y a pas trouvé un seul cacaoyer si ce n’est peut-être un, s’amuse-t-il, dans les serres de Laeken. En revanche, le savoir-faire que notre pays a acquis en matière de fabrication du chocolat doit être consacré, estime-t-il.
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- Publié le 24-08-2023 à 11h49
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En Flandre, historiens, politiques et intellectuels sont en train d’établir un “canon” : une liste de références culturelles et historiques qui forgent la culture flamande. Après avoir interrogé dans nos pages la légitimité et l’utilité d’une telle initiative, nous avons souhaité demander à cinq personnalités, issues de cinq secteurs différents, d’évoquer une personnalité et/ou un évènement connu ou méconnu, en rapport avec leur secteur d’activité, qu’elles aimeraient voir mis à l’honneur si, demain, il devait y avoir un canon belge.
Ce jeudi, pour le domaine de la gastronomie, voici l’avis du chocolatier Pierre Marcolini.
Entretien
Il n’en a pas dormi pendant deux jours. Preuve, s’il en fallait une, que Pierre Marcolini ne fait jamais les choses à moitié. Le chocolatier belge de renom a accepté, lui aussi, de relever le défi que La Libre lui a lancé cet été : choisir et consacrer une personnalité ou un évènement qui porte haut les couleurs de la Belgique dans son domaine, en l’occurrence celui de la gastronomie. “Pendant un temps, confie l’intéressé, j’ai souhaité rendre hommage à des personnes qui ont marqué leur époque : je songe à Pierre Wynants du Comme chez Soi, à Jean-Pierre Bruneau qui a été une véritable révolution dans les années 80 car c’est lui qui a amené le côté Terre et Mer au niveau de la gastronomie – ce qui était totalement incongru jusque là – je pense aussi à Marcel Kreusch de la Villa Lorraine qui, on l’oublie souvent, a été le premier restaurant trois étoiles en dehors de la France”.
Mais il ne s’arrête pas là, et est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer des personnalités qui mériteraient à son estime d’entrer au Panthéon belge, si du moins il en existait un : “Quand je reviens du côté de la pâtisserie, il y a bien évidemment la Maison Nihoul, il y a la Maison Wittamer qui a été une grande maison à l’époque mais qui a été reprise par des Français, puis il y a des Maisons que les Bruxellois ont sans doute oubliées : la Maison Marchal du côté du Square Montgomery, la Maison Jacobs du côté de Molenbeek… nous avions énormément de grands noms de la pâtisserie”.
“Enfin, poursuit-il, quand je regarde dans le monde du chocolat et ce qui a fait ses grandes révolutions, je vois de grandes Maisons comme Godiva avec Joseph Draps qui a été le premier à la fin des années 60/début des années 70 à ouvrir une boutique à Paris, il est même allé jusqu’à New York. Je pense bien évidemment aussi à la Maison Neuhaus qui a inventé cette coque en chocolat qui a donné la praline, ou encore à la Maison Côte d’Or avec la famille Michiels qui a créé le Chokotoff et ce marketing absolument incroyable en faisant visiter l’atelier à des écoles primaires rue Bara à Anderlecht. On sortait de là avec son sachet de Chokotoff, on était déjà embarqué dans l’expérience, tout le monde a été bercé par cela”. Autant de personnalités, donc, que Pierre Marcolini aurait pu consacrer dans un hypothétique “canon belge”.
Un mantra : “de la fève à la tablette” et une nation chocolat
Toutefois, l’homme a mûrement réfléchi : s’il ne fallait garder qu’une seule Chose de son domaine et la consacrer comme il se doit, c’est le savoir-faire belge du chocolat qui décrocherait la timbale. “Comprenez-moi bien, cadre-t-il, je parle bien du savoir-faire et non du chocolat lui-même. Je fais ce métier depuis plus de 40 ans et je ne sais toujours pas définir ce qu’est le chocolat belge. Je vous défie d’ailleurs de trouver quelqu’un qui vous donne une définition de celui-ci. De la bière ou du fromage belge, on comprend aisément qu’il y a au départ les champs, les vaches, la culture de céréales, il y a une histoire qui part du sol et qui arrive au produit final. A contrario, il y a une ineptie dans le mot 'chocolat belge' : j’ai eu beau arpenter la Belgique de fond en large, il n’ y a pas un seul cacaoyer qui y a poussé, à l’exception peut-être d’un seul dans les serres royales de Laeken. Le chocolat belge, c’est un produit que l’on achète en Amérique du Sud et en Afrique (cfr le pays planteurs sur la bien nommée “ceinture de cacao”, NdlR).
”Mais puisque les cacaoyers ne poussent pas en Belgique, comment se fait-il que nous ayons une telle réputation ? C’est là, précisément, que notre savoir-faire entre en scène, expose Pierre Marcolini. La Belgique de 1830 a hérité d’écoles d’ingénieurs extraordinaires qui se sont mises au service de la corporation des chocolatiers. Au début du XXe siècle, on a mis au point un procédé, une technique qui permet d’écraser les fèves de cacao. Le savoir-faire belge réside dans le fait que nous avons été les premiers en Europe et même au monde à avoir des chocolats bien plus fins sur le plan aromatique. Et sur base d’un chocolat plus raffiné et onctueux, la profession a explosé, plus de 150 chocolateries ont proliféré en Belgique. Au départ de ces fèves de cacao, notre pays a développé sa technique, un savoir-faire, un réseau d’enseignement et des créateurs, bref une nation du savoir-faire du chocolat. Le chocolatier, pour moi, c’est celui qui fabrique son chocolat, ce n’est pas celui qui travaille du chocolat. Et si nous souhaitons avoir un chocolat d’auteur, qui soit différent des autres, il faut faire notre métier de bout en bout”, martèle-t-il.
L’intéressé plaide ainsi bec et ongles pour la tendance “bean-to-bar”, littéralement en français “de la fève à la tablette de chocolat”. “Il faut revenir à notre métier de base : au plus un artisan va partir en amont, au plus il va créer de la valeur ajoutée. J’ose affirmer que le savoir-faire belge était mieux loti au début du XXe siècle qu’il ne l’est aujourd’hui. Il faut revenir à cette invention, au génie, à la diversité, à la créativité qui caractérisent notre nation, et la mettre au panthéon belge. Je soumets l’idée à nos décideurs politiques. Poussons même la réflexion plus loin encore : le savoir-faire belge du chocolat devrait être élevé au rang de patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Ce serait l’une des plus belles reconnaissances qui soient”, termine Pierre Marcolini. C’est du moins le vœu qu’il formule.

Pour vous, qui sont les grands belges ?
Tout cet été sur La Libre lance un grand sondage : quels Belges, ou quelles Belges, placeriez-vous en haut du podium ? Quels sont ceux ou celles qui, par leurs talents, leur audace, leur travail, leur dévouement ont marqué l’histoire du pays et l’ont fait briller à l’international ?
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