A votre santé!

La grande messe de la Bande Dessinée a commencé hier à Sierre, dans le Valais suisse. Il fait beau, orageux. C'est le jour des vernissages des expositions et de la visite des officiels et des sponsors. Cela stresse toujours un peu ces choses-là surtout quand on est responsable d'une grande expo et qu'on a amené avec soi 22 jeunes dessinateurs belges et français issus de ce qu'on appelle communément les éditions indépendantes. En fait, une bande de fous furieux qui tentent l'expérience d'une «autre BD» axée essentiellement sur une recherche graphique et narrative qui tient de l'art et de l'essai. Il se passe d'autres choses dans le monde? Ah! Bon... Heureux de le savoir.

SAMEDI 16 JUIN

Les orages dans le Valais, c'est un peu comme un tremblement de terre et la pluie qui tombe est bienfaitrice pour nos cerveaux embrumés par abus d'alcool et de vin blanc. Parents! Attention, si votre enfant veut faire de la BD, sachez que ce métier à haut risque semble rendre alcooliques la plupart des pratiquants. Apparemment c'est une tout autre pluie qui s'abat sur quelques allumés brutaux et rageurs à Göteborg. La démocratie européenne utilise d'étranges formes de persuasion... Un petit débordement qui fait froid dans le dos et qui donne une idée très floue de ce qu'on nous propose. Une Europe sociale et ouverte dites-vous? Mais ne vous en faites pas, ici en Suisse, l'Europe: connais pas. Allez, encore un petit coup de blanc. À votre santé!

DIMANCHE 17 JUIN

Bulletin météo: il fait de nouveau beau. L'état de mes amis ne s'améliore guère. L'accueil suisse est beaucoup trop chaleureux pour ne pas s'en émouvoir et bouder les «javas» qui sont proposées. Le festival BD de Sierre, ce n'est certes pas celui d'Angoulême, mais c'est celui qui plaît. Ici, on ne se montre pas du doigt, on ne se prend pas pour ce qu'on n'est pas. C'est simple, on travaille un peu, on s'amuse beaucoup... Et la terre tourne toujours.

LUNDI 18 JUIN

La fête est finie. Les stands se démontent et c'est l'heure des adieux. Étrange mélange de soulagement mêlé d'une petite dose de mélancolie. La vie reprend doucement son cours normal. Le quotidien roman «24 Heures» relate les mésaventures de la Swissair entraînée dans un gouffre financier par sa filiale belge Sabena. Tiens, je me savais dans les Alpes, mais le son de cloche me paraît bien différent de chez nous. À propos de coup vache, la Swissair ne veut plus réinvestir dans notre belle compagnie aérienne nationale. Un atterrissage brutal qui risque fort de se terminer dans les champs... des vaches justement.

MARDI 19 JUIN

Je me remets et je cherche dans les alpages une bonne piste d'atterrissage pour qu'il n'y ait pas trop de casse pour mes compatriotes de la Sabena. Peine perdue, tout ici est bien trop en pente et ce serait bien dommage d'écraser tant de jolies petites fleurs. Faudra que l'État belge se secoue encore un peu pour éviter que des milliers de travailleurs ne se retrouvent à devoir brouter du foin. Décidément, on n'est bien servi que par soi-même.

MERCREDI 20 JUIN

Rien à signaler, je rentre au pays et bonne surprise, arrivée à la frontière, il ne pleut pas. C'est bien la première fois!

JEUDI 21 JUIN

C'est l'été et la belle saison des examens de fin d'année. Mon fils a réussi! C'est la fête à la maison. Je me retrouve membre du jury de fin d'année à l'École de Recherche graphique. Sept étudiants soucieux, inquiets devant nos regards scrutateurs penchés sur leurs travaux espèrent s'en tirer avec plus ou moins d'honneur. Ce sont des finalistes. L'année prochaine ils pourront se lancer dans la vie professionnelle. C'est étonnant comme dans Saint-Gilles on se cogne sans cesse à de jeunes gens portant cartons à dessins. Allez, on va quand même pas être trop dur aujourd'hui. C'est demain qu'ils vont en baver! Bruxelles est une pépinière de talents... Peut-être que certains d'entre eux iront à Sierre l'an prochain et rejoindront le bataillon des fêtards que nous sommes devenus l'espace de quelques jours.

VENDREDI 22 JUIN

Je découvre la presse belge de la semaine passée. Un peu tard pour écrire mon article pour «La Libre Belgique». J'apprends entre autres que Ariel Sharon se retrouve sous le coup d'une volée de plaintes internationales déposées à Bruxelles pour sa «responsabilité indirecte» dans les massacres de Sabra et Chatila en 1982. En voilà du sérieux, voilà un sujet à débattre avec intelligence. Mais l'article est fini et vous savez, je suis un homme d'images. Celles qui se dévoilent aux actualités sont souvent si horribles que je préfère m'en écarter. Je suis certain que de nombreux dessinateurs restitueront avec justesse et humanité leurs réflexions sur des sujets si scabreux.

Alors, je ferai mon travail: celui d'essayer de les faire connaître.

(*) Galerie Ziggourat, 34 rue Dejonker à 1060 Bruxelles. Tél: 02/538.40.37

© La Libre Belgique 2001