L'exception économique
Exception tabagique pour la Formule I à Francorchamps. Opposition au numerus clausus imposé aux Facultés de Médecine. Point commun? Des dysfonctionnements affligeants. Une opinion signée Pierre Pestieau, professeur d'économie à l'Université de Liège
Publié le 16-11-2002 à 00h00
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Pierre Pestieau, Professeur d'économie Université de Liège
L'actualité matinale a parfois le don de vous gâcher le reste de la journée. En l'occurrence, il s'agissait de deux informations indépendantes et somme toute anodines. La première concernait l'exception tabagique accordée au grand prix de Formule I à Francorchamps; la seconde avait trait au numerus clausus imposé aux Facultés de Médecine et qui serait rejeté par la majorité du monde politique. Ces deux sujets n'ont à première vue rien de commun et pourtant, comme tant d'autres, ils relèvent de cette exception économique dont se réclame la Belgique francophone.
Par exception économique, je veux dire que très souvent, nous pensons échapper aux règles auxquelles sont soumises les autres sociétés. Ces règles sont pourtant des règles de bon sens. Parmi ces règles, il y a celle selon laquelle on ne peut avoir tout, des études de médecine fortement subventionnées et une consommation médicale elle aussi fortement subventionnée, sans contraintes quantitatives sur le nombre d'étudiants et le nombre de praticiens. La loi de l'offre et de la demande ne s'applique en effet pas dans un contexte de gratuité. Il y a aussi l'idée fondamentale que si l'on s'engage fermement à lutter contre le tabagisme, chez les jeunes en particulier, un grand prix de Formule1 dont les retombées économiques sont d'ailleurs incertaines ne justifie pas d'exception.
D'autres exemples viennent à l'esprit. Comment peut-on continuer de soutenir une politique qui conduit les Belges à arrêter de travailler à 57 ans alors que leur longévité ne cesse d'augmenter, politique qui donne à la Belgique le taux de non-emploi le plus bas de l'ensemble des pays membres de l'OCDE? Serions-nous des `supermen´ de la productivité pour pouvoir vivre confortablement en consacrant nettement moins de la moitié de notre existence à produire la richesse nationale?
Comment est-il possible de se plaindre de la pénurie de professeurs dans le secondaire alors que la Communauté française a un des taux d'encadrement les plus élevés? Plus généralement, comment peut-on continuer de penser que les problèmes se résolvent nécessairement par des dépenses supplémentaires et pas par une meilleure allocation des ressources existantes?
Comment est-il possible de continuer à avoir autant de ministres pour une communauté et une région qui font au mieux quatre millions d'habitants et de garder l'institution provinciale dont on se passerait sans trop de peine?
Il est temps d'arrêter cette énumération. Il existe d'autres exemples de dysfonctionnements; notre propos n'est pas de les citer tous, mais de voir ce qu'ils révèlent.
A l'évidence, ils sont affligeants. Au moment où l'Etat providence est remis en cause parce que précisément d'aucuns le trouvent trop coûteux et trop inefficace, il serait bon que ses prétendus défenseurs reconnaissent que la voie du salut passe par l'éradication de ces dysfonctionnements.
Mais ce que je trouve encore plus affligeant, c'est la manière dont les responsables politiques les abordent, la manière dont les médias traditionnels les traitent, la manière dont le citoyen les perçoit. Il est trop facile de dire que l'on a les hommes politiques et les journalistes que l'on mérite. Il est temps de comprendre que la Belgique francophone ne dispose pas de potion magique et qu'elle n'échappe pas aux règles de bon sens. Il y a peut-être une exception culturelle. Il n'y a pas d'exception économique.
© La Libre Belgique 2002