Les adolescents dé-bloguent-ils?
Les blogues, simples défouloirs? Certes les dérives existent. Mais il serait dommage d'ignorer l'intérêt des jeunes pour les blogues. D'autant que ceux-ci ne sont pas sans applications pédagogiques
Publié le 20-04-2005 à 00h00
André ROMBAUTS, Professeur de français et d'informatique à l'Athénée royal d'Alleur, animateur de l'apreTIC (1)
Beaucoup d'enseignants trouvent significatif que les blogues d'adolescents se sont fait connaître du grand public par les dérives qu'ont générées quelques-uns d'entre eux dans le milieu scolaire.
Si les premiers blogues francophones, ceux des «pionniers», remontent à début 2001, c'est pendant l'année scolaire 2003-2004 que l'on a assisté à l'explosion du phénomène. L'apreTIC a relayé dans son forum les problèmes auxquels ont dû faire face direction et enseignants dans plusieurs établissements (2) : violence verbale à l'égard de condisciples, de professeurs, publication de photos à l'insu de ceux-ci.
Même si des situations se rencontrent encore, il s'agit en très grande majorité de faits ponctuels et aux conséquences marginales, comme si, passée l'excitation et plus ou moins conscients des risques encourus, les ados s'étaient «assagis»... Les dérives, malgré le caractère grave de certaines, ont toujours été des épi-phénomènes. En fait, avec les blogues les ados ne font que reproduire ce que leurs aînés ont toujours fait: affirmer leur identité, exprimer leur refus de l'autorité, leur révolte. Ne vous êtes-vous jamais moqué d'un professeur? N'avez-vous jamais fait circuler une caricature?...
Certes, mais les ados disposent maintenant d'outils qui facilitent la diffusion: GSM avec caméra intégrée, système de gestion de contenus permettant une publication quasi immédiate. Le succès est tel que la plate-forme la plus fréquemment utilisée, Skyblog, recense plus d'un million et demi de blogues. Tout enseignement efficace doit partir du vécu des élèves. Il serait donc dommage d'ignorer l'intérêt des jeunes pour les blogues, d'autant que ceux-ci ne sont pas sans applications pédagogiques.
Chez nous, les expériences menées conjointement par professeurs et élèves sont rares. A l'étranger - et pas uniquement dans les pays anglo-saxons - elles sont essentiellement le fait de professeurs de langues qui, après le «clavardage» (tchat) et le courriel, supports idéaux pour les échanges linguistiques (3), se sont tournés vers les blogues.
Il n'empêche qu'il faut faire nettement la distinction entre les activités «privées» et celles exécutées en clas-se, nécessairement encadrées. En milieu scolaire, il est hors de question d'accéder aux plates-formes préférées des ados, ne serait-ce que pour éviter que la mise à jour d'un blogue ne soit source permanente de distraction. A l'Athénée royal d'Alleur, l'accès à Skynet et Skyrock a été bloqué. Mais des solutions dédiées aux usages scolaires existent et, bien que pas évident à mettre en oeuvre, il est toujours possible d'installer, par exemple dans le cadre d'un projet d'échanges européens, un système de blogues réservé aux seuls participants du projet (4).
Pourquoi aura-t-il fallu attendre «si longtemps» pour que les jeunes prennent possession du Net? Les «prophètes de l'Internet» nous prédisaient un avenir radieux, mais composer rapidement une page web attractive et mettre à jour un site quotidiennement n'était pas à la portée de tous nos élèves, eux qui vivent dans la civilisation de l'immédiat. Le Web a mûri et offre à présent un outil qui «colle» à leurs besoins et à leur mode de vie.
Guidés à l'école, on ne peut qu'espérer voir fleurir des blogues privés exploités à bon escient. On ne peut d'ailleurs que se réjouir de voir ceux-ci amener les jeunes à s'exprimer autrement que par les monosyllabes et autres codes imposés par le «langage des GSM»... Sans nul doute, la conduite de projets scolaires les aidera à prendre conscience que, contrairement au clavardage, les blogues laissent une trace sur le Net, que les moteurs de recherche enregistrent dans leur mémoire même après la disparition des pages... Ceux qui comptaient réserver leurs sentiments intimes au petit groupe des copains sont souvent surpris de voir leur vie familiale révélée...
Face aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'école a bien un rôle à jouer pour faire de nos élèves des citoyens responsables. Ce ne sont pas les gestionnaires des plates-formes de diffusion qui les éduqueront...
(1) apreTIC (Association des professeurs exploitant les TIC en Belgique francophone) : E-mailinfo@apretic.be; Webhttp://www.apretic.be.
(2) Fil de discussion sur les blogues du forum de l'apreTIC: http://www.apretic.be/index.php?action=forum& subaction=message&id_sujet=341&id_chambre=102
(3) Quelques exemples d'utilisation pédagogique des blogues: http://members.tripod.com/the_english_dept/blogues /blog00.htm
http://flenet.rediris.es/blog/carnetweb.html
http://cyberportfolio.st-joseph.qc.ca/
(4) Webzinemaker propose un système de création de blogues entièrement gérable, soit pour un usage individuel: http://www.wmaker.net; soit pour un usage institutionnel: http://www.wmaker.net/?action=creation&etape=education
Bien que s'écartant des blogues proprement dits, le portail efrançais proposera prochainement un système de publication automatisée de travaux d'élèves http://www.restode.cfwb.be/francais/ANNUNTIO/__WEB/Index.htm
© La Libre Belgique 2005
Un espace qui lui ressemble Florence, 16 ans, élève dans un collège luxembourgeois, a ouvert son blog il y a un an et demi. « Au départ, pour pouvoir dire aux autres ce que je pensais de mon école », dont l'image lui paraissait faussée et pas toujours en phase avec la réalité. Au hasard d'une recherche sur Internet, le directeur de l'établissement tombe sur le site de la jeune fille, et la convoque pour la prier d'ôter les propos qu'elle y tenait pouvant porter atteinte à l'école. Pas de chance? « Peut-être qu'inconsciemment, je voulais que le directeur aille le lire parce que je ne suis pas la seule à penser ce que j'ai écrit sur mon blog», précise-t-elle, consciente qu'une fois diffusé sur Internet ses écrits n'appartiennent plus à la sphère privée, mais entrent alors dans le domaine public. « Bien sûr que je sais que tout le monde peut y aller. Ca ne me dérange pas et je dirais même que mon blog est fait pour que les autres aillent le voir ». Après la remontrance directoriale, le site de Florence change de cap: plutôt que de disserter sur le fonctionnement de l'école, il évoque le déroulement de ses journées. Toujours sous le regard des profs: « Je sais que certains y vont régulièrement et apprécient que je parle d'eux. Avant de publier des photos, je leur demande toujours l'autorisation. Si je devais m'arrêter au fait que les profs me surveillent, je n'écrirais plus rien. Ca ne me dérange pas.» Outil de socialisation, son blog lui a ainsi permis de faire des connaissances « hors de l'école, surtout ». Qu'il puisse être consulté par des personnes mal intentionnées ne l'inquiète pas outre mesure: « C'est comme sur les messageries instantanées: on parle à des gens qu'on ne connaît pas et, au fur et à mesure, on en arrive à se dévoiler de plus en plus. Pareillement, sur mon blog, je ne veux pas cacher qui je suis.» A cela s'ajoute la fierté d'avoir construit un produit bien à elle: «J'ai mis des heures à le construire. Le fermer? Non. Je suis contente de ce que j'ai fait et comme pas mal de personnes m'en parlent, ou viennent le voir, je vois que je n'ai pas fait ça pour rien», conclut-elle. Même si, officiellement du moins, ses parents ne sont pas au courant de son activité sur le Net...