Le christianisme est un humanisme
" L'humain est la mesure et le but de toute chose»: cette conviction, commune aux diverses formes de l'humanisme tel qu'il s'exprime dans notre culture depuis la Renaissance, est battue en brèche par nombre de chrétiens. A les entendre, l'humanisme exprime une prétention insupportable: l'homme se mettrait à la place de Dieu, seul digne d'adoration!
- Publié le 10-10-2005 à 00h00
Equipe d'animation d'Agir en Chrétiens Informés (ACI)(1)
L' humain est la mesure et le but de toute chose»: cette conviction, commune aux diverses formes de l'humanisme tel qu'il s'exprime dans notre culture depuis la Renaissance, est battue en brèche par nombre de chrétiens. A les entendre, l'humanisme exprime une prétention insupportable: l'homme se mettrait à la place de Dieu, seul digne d'adoration! Les droits de l'être humain passeraient-ils donc avant ceux de Dieu? Dans cette ligne de pensée, humanisme et christianisme sont antagonistes. Une certaine laïcité tient d'ailleurs le même discours: la foi chrétienne serait, par nature, anti-humaniste.
Catholiques et protestants engagés dans la vie de nos Eglises, notre conviction est différente. Par-delà des siècles de polémiques, nous croyons qu'il est urgent de revenir aux fondements de la Tradition chrétienne et d'y reconnaître sa nature authentiquement humaniste. Depuis Jésus de Nazareth, en effet, il est clair que la cause de l'Homme et celle de Dieu sont indissociables. Les évangiles disent la pratique quotidienne de Jésus: ému par la détresse d'autrui, il guérit les malades, remet debout ceux qui n'en peuvent plus, fait rentrer les exclus dans le cercle de la société. Sans trier ceux qui seraient dignes et ceux qui ne le seraient pas, sans commencer par poser des conditions ni donner des leçons. Tous reçoivent la même attention, le même accueil, la même parole vraie. Etre humain parmi et avec les humains: voilà la pratique essentielle de Jésus, et c'est de cette manière-là qu'il commence à donner corps à ce qu'il appelle le «Règne de Dieu». En vue de cette tâche immense, il a rassemblé une petite équipe, d'où naîtra l'Eglise. A lire les évangiles, Jésus apparaît comme un grand humaniste et réalise enfin ce que le livre de la Genèse assignait déjà comme mission à l'humanité: être image ressemblante de Dieu. Ce Jésus-là, les chrétiens le proclament «Fils de Dieu», «vrai Dieu et vrai homme».
L'humain nous dépasse. «Plus est en l'homme», disait Emmanuel Mounier. Ne croyons pas trop vite en avoir percé le mystère! L'humain n'est pas un absolu replié sur lui-même. Il ne se réduit pas à l'individu isolé, et il appelle au respect de la nature. D'une certaine manière, l'humain doit encore être inventé pour atteindre sa pleine dimension. Nous croyons en une humanité relationnelle enracinée et ouverte à plus qu'elle-même. Dans une formule audacieuse, les Pères de l'Eglise disaient même que l'être humain est appelé à la divinisation!
Nous ne voulons pas opposer, mais associer Dieu et l'humain. Le mythe de Prométhée, qui doit voler aux dieux le feu pour que les humains en bénéficient, se trouve aux antipodes de la foi chrétienne. La lecture des Ecritures et l'exemple de grands témoins de la foi chrétienne nous font dire, au contraire, que:
- Aux yeux de Dieu, l'humain est sacré. Il le dote de liberté. Il lui donne la responsabilité du monde. Il le destine au bonheur et l'appelle à être sa propre image. Jésus et tous les prophètes le proclament haut et fort: toucher à l'homme, c'est toucher à Dieu. Chaque fois que nous donnons valeur absolue à ce qui n'est pas l'humain mais une de ses créations ou de ses fonctions (l'argent, le pouvoir, le sexe, la nation...), pour faire de lui un objet à utiliser, nous portons atteinte à la dignité humaine et à Dieu.
- Aux yeux de Dieu, tout être humain est sacré. Si les capacités personnelles et les dons de l'Esprit sont divers, nul ne peut s'arroger une place supérieure aux autres. Aucune personne. Aucun groupe. Toute forme de racisme ou de sexisme, toute discrimination ou toute forme d'esclavage porte atteinte à la dignité humaine et à Dieu.
- Aux yeux de Dieu, tout l'être humain est sacré. Son corps, son intelligence, sa liberté de conscience, sa capacité de relation. Celui qui humilie, ridiculise ou infantilise autrui porte atteinte à la dignité humaine et à Dieu. Il en va de même pour celui qui tue, mutile ou torture, physiquement ou mentalement. Et pour celui qui refuse à autrui ses droits élémentaires: manger à sa faim, avoir un toit, vivre en sécurité, recevoir des soins en cas de maladie ou d'accident, disposer librement de soi-même, prendre part aux décisions communes, être respecté inconditionnellement...
Cette vision est aussi un programme d'action, qui ne dispense jamais de réfléchir. Car il n'en va pas des grands principes, mais de l'humain en chair et en os, dans sa situation concrète. Dans la société en général et dans les Eglises chrétiennes en particulier, mobilisés par l'urgence, des personnes et des groupes s'y engagent, d'une manière souvent admirable. Pourtant l'inhumain est partout, et il reste tant à faire!
Les traditions humanistes sont diverses, et le christianisme ne peut en revendiquer le monopole. L'histoire et la réalité actuelle des Eglises obligent d'ailleurs à la modestie. A l'heure d'une mondialisation placée sous le signe de l'ultra-libéralisme, alors que bien des solidarités sont menacées, l'avenir de l'humain est en jeu, plus que jamais. La misère frappe des milliards de personnes, et les fondamentalismes se révèlent capables du pire. En même temps, l'Europe se sécularise, et une tentation menace les Eglises: susciter un front commun des religions contre la libre pensée et l'esprit de la modernité. Ce serait une erreur tragique! Avec d'autres humanistes, et notamment ceux qui se réclament de la laïcité, les chrétiens ont une cause commune, plus essentielle que tout ce qui peut les diviser: construire un monde plus humain pour tous.
L'équipe d'animation spirituelle de l'ACI (Agir en Chrétiens Informés) en Belgique. Rue du Marteau n°19 à 1000 Bruxelles. 02.218.54.47.
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