BHV, l'exigence du respect des minorités
La question de BHV devrait avoir valeur de dernier test quant au respect par la Belgique des critères de maintien dans l'Union européenne.
- Publié le 05-09-2007 à 00h00
Il y a lieu d'être inquiet pour notre démocratie lorsqu'on constate de la part des dirigeants politiques du Nord du pays à la fois le mépris des résolutions européennes (par exemple la fameuse Résolution 1301 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en matière de protection des minorités) et le refus du gouvernement flamand de nommer quatre bourgmestres francophones des communes à facilités 10 mois après les élections communales.
C'est pourquoi il nous semble que la question de BHV devrait avoir valeur de dernier test quant au respect par la Belgique des critères d'entrée - et de maintien - dans l'Union européenne, critères dits "de Copenhague" englobant l'exigence du respect des minorités et de leur protection.
Rares sont les médias qui ont expliqué le véritable enjeu de l'exigence des hommes politiques flamands de scinder BHV, scission qui, il faut le rappeler, n'est nullement réclamée par la Cour constitutionnelle.
Cet enjeu c'est la possibilité, s'il y avait scission de BHV sur base des demandes flamandes, pour la Flandre de commettre un véritable hold-up sur la périphérie bruxelloise en cas de partition du pays, partition qui, aujourd'hui, n'est plus une fiction (sauf pour ceux qui refusent de voir la réalité en face) mais bien le but avoué d'un nombre significatif de parlementaires flamands... et le but inavoué d'un nombre plus important encore.
Il faut, en effet, savoir que suivant la tendance actuelle du droit international, en cas de partition d'un Etat (comme en tout autre cas d'établissement d'un nouvel Etat ou de modification du territoire national), c'est le principe "uti possidetis ita possideatis" ("comme vous possédiez, ainsi vous posséderez") qui s'appliquerait vraisemblablement, principe selon lequel les limites administratives internes acquièrent le caractère de frontières d'Etat protégées par le droit international. On peut ne pas apprécier ce principe - et préférer celui du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes - mais on ne peut pas ne pas en tenir compte. Certains spécialistes du droit européen et du droit international soulignent que la position de l'Union européenne dans le cadre de la crise yougoslave rendrait opposable cette règle si, le cas échéant, un Etat membre de l'Union européenne devait à son tour connaître les affres de la dissolution.
Présentement, l'application de ce principe ne placerait pas la périphérie bruxelloise dans le territoire d'une Flandre indépendante car dans la situation actuelle les limites administratives sont multiples : régionales certes mais aussi judiciaires, électorales et pour les six communes à facilités, linguistiques. Les limites en question ne sont donc pas établies de manière définitive et univoque. Elles chevauchent et donc contredisent celles des trois régions. Ces limites fluctuantes confortent le non-sens de limiter la Région de Bruxelles-Capitale à ses 19 communes actuelles au mépris de la réalité socio-économique. Voilà l'explication de la précipitation flamande à vouloir tout de suite, sans dialogue, la scission de BHV. Aussi faut-il en revenir à la seule solution démocratique.
Les discussions actuelles comportent une erreur de terminologie : ce qui est demandé par les partis politiques flamands n'est pas en réalité la scission de BHV. Scission signifie division d'une entité en plusieurs parties. Or, la demande flamande n'est pas la scission de BHV en deux circonscriptions électorales et deux arrondissements judiciaires mais bien l'amputation de la circonscription et de l'arrondissement actuels de 30 des 49 communes qu'ils contiennent pour rattacher ces communes à une circonscription et à un arrondissement flamands, ceux de Louvain-Brabant flamand, et de réaliser ainsi une amputation de territoires unis depuis 1830, ainsi que d'élargir le territoire électoral flamand et le territoire judiciaire flamand par l'inclusion dans ces territoires de 30 communes actuellement dans BHV. Il y aurait donc bien élargissements flamands et non scission.
De leur côté les francophones souhaitent légitimement l'inclusion dans la région de Bruxelles de celles de ces communes ou quartiers de communes dont un vote démocratique en exprimerait la volonté. Les résultats tant des élections communales de 2006 que des élections fédérales de 2007 confirment bien clairement la justification de cette demande. Il s'agit ici également d'élargissement, en l'espèce régional bruxellois.
L'enjeu devrait donc être déterminé de manière démocratique par un recours au vote des citoyens concernés. Ceux-ci seraient appelés à se prononcer, par communes ou quartiers de communes (là où la situation le suggère), en faveur soit du rattachement aux territoires électoral et judiciaire de la Flandre avec maintien de l'appartenance au territoire régional de la Flandre, soit du rattachement au territoire régional de Bruxelles avec maintien de l'appartenance aux territoires électoral et judiciaire de Bruxelles.
Il est à prévoir que la grande majorité des 30 communes ou des quartiers interrogés se prononceront pour un rattachement aux territoires électoral et judiciaire de la Flandre et le maintien de l'appartenance au territoire régional de la Flandre, une minorité souhaitant maintenir l'appartenance aux territoires électoral et judiciaire de Bruxelles et obtenir le rattachement à son territoire régional.
Il y aurait donc double élargissement : élargissement des territoires électoral et judiciaire flamands et élargissement du territoire régional bruxellois (permettant d'ailleurs de renforcer la présence flamande à Bruxelles), simplification des limites et homogénéisation des territoires institutionnels, obtenus dans un cadre et par un processus démocratiques et, conformément aux demandes des partis flamands, suppression de BHV.
Vu la symétrie des enjeux, il n'y aurait ni d'un côté ni de l'autre, lieu de parler d'impossibilité, de refus absolu, d'" onbespreekbaar", mais bien une nécessité d'adopter une solution efficace conduisant à un apaisement communautaire et à un mieux-être social dans l'intérêt des habitants concernés (de nature, par exemple, à mettre fin à des discriminations comme l'absence d'informations en français sur la politique de dépistage du cancer du sein ou la formation obligatoire en néerlandais pour les gardiennes d'enfants agréées).
Certains objecteront qu'une telle consultation heurterait la Constitution et notre système représentatif (la section de législation du Conseil d'Etat a effectivement déjà émis des avis en ce sens). Nous répondrons qu'un système représentatif peut s'accompagner d'éléments de démocratie directe ainsi que le montrent divers exemples récents et ce même en l'absence de tout texte constitutionnel. Il appartient ici à nos hommes politiques de faire preuve d'imagination au départ, par exemple, de l'utilisation des dispositions figurant dans la loi communale et autorisant une consultation populaire dans les matières d'intérêt communal. Or, il est évident que la problématique en cause concerne aussi, en partie, l'intérêt communal.
Philippe DUVIEUSART, Emmanuel DE BOCK, Philippe FLAMME, Christophe GASIA, respectivement licencié en Sciences économiques UCL, licencié en sciences politiques, chargé de cours à l'ULB, avocat