Comment renouer le dialogue ?
Des Flamands et des francophones ont participé durant un week-end à une expérience de dialogue constructif grâce à l'aide d'outils non-violents. Témoignages et ... portes ouvertes. Une opinion de Benoît THIRAN, formateur et accompagnateur à la relation non-violente au sein de l'ASBL "Sortir de la violence"
Publié le 14-11-2007 à 00h00
Travaillant quotidiennement à la recherche de relations non-violentes, nous nous sentons particulièrement concernés par ce que vit notre pays aujourd'hui. Notre association est dirigée conjointement par des belges néerlandophones et francophones. L'un d'entre nous a participé récemment lors d'un week-end à une expérience de dialogue constructif entre des Flamands et des francophones, grâce à l'aide d'outils non-violents. En deux jours, ils ont pu passer du blocage à une ouverture. Bien sûr, ils n'ont rien résolu... mais la porte s'est ouverte.
Pat Patfoort, une formatrice en non-violence, flamande et francophone de Bruges (1), qui fait entre autres des interventions dans des conflits interethniques (Hutus-Tutsis, Tchétchènes-Russes, Israéliens-Palestiniens...), voulait tenter quelque chose dans la situation actuelle de notre pays et a réuni des Flamands et des francophones. Le premier jour du week-end, cette anthropologue de formation nous a invités à élaborer une liste des arguments(2) que les francophones et les Flamands utilisent régulièrement les uns contre les autres. En général, ces arguments sont prononcés en l'absence de l'autre, surtout par le canal des médias.
Concernant la scission de BHV, en voici quelques exemples :
Flamands : - "Nous voulons la séparation de Bruxelles-Hal-Vilvorde."
- "L'arrêt de la Cour constitutionnelle doit être respecté."
- "Ils veulent réduire le territoire de la Flandre, pour obtenir plus de voix."
- "Nous payons pour les francophones !"
- "Vous, les francophones, vous ne voulez rien faire pour une grande réforme de l'Etat !"
- "Nous sommes exploités par vous depuis 1830, à cause de notre langue, et cela se passe encore aujourd'hui à Bruxelles !"
Francophones : - "Nous ne voulons pas la séparation de Bruxelles-Hal-Vilvorde."
- "Nous sommes nombreux à vivre dans BHV, selon les droits de l'homme, nous devrions être protégés comme minorité."
- "Vous voulez réduire Bruxelles à une peau de chagrin... L'étouffer pour la récupérer."
- "Vous voulez toujours plus. Vous ne faites que détruire et pas construire !"
- "Est-ce que vous accepteriez un Premier Ministre wallon ? Il n'y en a pas eu depuis 1973 !"
- "Vous êtes des égoïstes quand on pense à ce que l'on a fait pour vous sur le plan social et économique !"
Nous avons très vite senti comme un mur entre nous. Nos différences étaient exacerbées, nous allions droit au blocage ! Nous nous sentions perçus comme des ennemis et n'avions pas le sentiment de le mériter.
Le lendemain, nous avons laissé cela de côté pour approfondir les fondements de la position de chacun : "Pourquoi nous défendons cette position ?" Les fondements nous permettent de découvrir les besoins, les sentiments, les valeurs, les peurs, les habitudes, les objectifs, les intérêts des deux parties. Il est très important d'être conscient qu'il n'y a pas de bons ou de mauvais fondements ; on ne peut jamais les juger, les démolir, les réfuter ou s'en moquer puisqu'ils disent le vécu de chacun. Voici quelques fondements(3) pour la scission de BHV :
Fondements des Flamands : - "Nous voulons la séparation de BHV."
- "J'ai peur que les décisions juridiques ne soient pas respectées."
- "J'ai l'impression que les francophones veulent dominer."
- "Je ne me sens pas chez moi dans ma propre commune."
- "Je me sens désavantagé. Les francophones, eux, peuvent parler dans leur propre langue en territoire flamand".
- "J'ai l'impression que je dois toujours tenir compte des francophones. J'en suis fatiguée."
- "Nous nous sommes déjà sentis humiliés et nous avons le sentiment que cela se passe à nouveau."
Fondements des francophones : - "Nous ne voulons pas la séparation de BHV."
- "Nous, les Bruxellois francophones, avons besoin de continuer à être en lien avec les deux régions".
- "Je ne me sens pas wallon, je ressens mon identité comme "Belge-francophone", j'ai peur de tout ce qui menace l'existence de la Belgique."
- "Je me sens acculé à lâcher toujours plus sous la loi du plus fort."
- "Je me sens humilié, et pas respecté, d'être perçu comme un boulet."
- "Nous nous sentons mis en position d'infériorité depuis un certain nombre d'années."
- "Nous nous sentons exclus et attristés quand nous avons l'impression que les Flamands se sentent d'abord flamands avant d'être Belges."
Peut-être à leur lecture, pouvez-vous expérimenter un peu, comme nous durant ce week-end, l'ouverture que nous avons vécue... Ouverture à cette pâte humaine qui nous unit. Voici quelques commentaires des participants :
- "Je me rends compte combien je suis peu conscient de l'avis de l'autre partie."
- "J'ai le sentiment que l'autre est dans une prison similaire."
- "Les arguments sont superficiels, des généralités. Ils donnent une sensation de fatalité."
- "On ne voit plus ce qui est positif chez l'autre, ce qui nous manquerait s'il n'était plus là, parce qu'on est tellement marqués par les arguments".
- "Avec les arguments, chacun essaie désespérément d'exister contre l'autre, tandis qu'avec les fondements, chacun peut exister pour lui-même, pas contre l'autre."
- "Ce qui me frappe, c'est qu'avec les fondements, il est beaucoup question de peur des deux côtés, et pas du tout avec les arguments : nous devons donc être attentifs à ce dont les gens ont peur."
- "Dans les arguments les plus durs, on dit des choses terribles, tandis qu'avec les fondements, on exprime les mêmes choses mais sans blâmer l'autre."
- "En Belgique, en tout cas au niveau des médias, on ne parle presque jamais à ce niveau-là."
- "Ce week-end a été très libérateur : après les arguments, j'étais très fâché. Les fondements sont très difficiles, mais ils mettent en évidence la courte vue de mon esprit (dont j'étais surpris d'ailleurs), ceci a élargi ma vision."
Bien sûr, nous n'avons rien résolu...
Non seulement nous n'avons pas eu le temps de rechercher des solutions à partir de là, mais surtout, les arguments et les fondements développés n'engagent que notre petit groupe restreint et notre perception de nos communautés linguistiques respectives. Ils sont sûrement incomplets... Cependant, ils montrent un chemin possible : nous l'avons expérimenté ! A partir de là, tous nous avons senti que nous pourrions construire quelque chose de positif et pas seulement nous disputer sur la question "faut-il se séparer ou pas ?"
Je suis sorti de ce week-end avec l'espoir et la conviction qu'une relation qui respecte chacun dans sa différence est possible aujourd'hui en Belgique...
(1)Anthropologue, auteur, conférencière et formatrice dans le domaine de la transformation des conflits et la gestion non-violente des conflits. Cofondatrice et présidente de l'asbl "De Vuurbloem" (La Fleur de Feu) à Bruges. site www.patpatfoort.be
(2)Vous trouverez la liste complète des arguments, pour la scission de BHV et pour les transferts d'argent, sur le site www.sortirdelaviolence.org. Ils se trouvent au point 3, pages 1 à 3 du rapport de ce week-end.
(3) L'ensemble des fondements est au point 5, pages 5 à 7 du même document.