Pourquoi étudier ?

Une rhétoricienne généreuse et enthousiaste se désolait l'autre jour de ce qu'ayant envoyé de nombreuses lettres dans des pays du tiers-monde en vue de proposer ses services pendant ses vacances, elle ne reçut qu'une seule réponse, négative. Une opinion de Philippe DEMBOUR, père de famille et Administrateur délégué de Society focus.

Philippe DEMBOUR
Pourquoi étudier ?
©Jean-Luc Flémal

Une rhétoricienne généreuse et enthousiaste se désolait l'autre jour de ce qu'ayant envoyé de nombreuses lettres dans des pays du tiers-monde en vue de proposer ses services pendant ses vacances, elle ne reçut qu'une seule réponse, négative. Celle-ci lui décrivait leurs besoins de façon un peu brutale : non des bonnes volontés mais des têtes bien faites susceptibles de les aider à progresser. Dans ces contrées, la main-d'oeuvre est généralement surabondante. Ils souhaitaient dès lors des personnes dotées de compétences techniques (ingénieurs, enseignants, personnel soignant...). Cette réponse lui ouvrit les yeux et elle y puisa une nouvelle motivation pour poursuivre ses études et remettre son projet à plus tard.

Quelque temps plus tard, un jeune d'une famille fragilisée m'adressa cette question : "Pourquoi faire des efforts pour étudier ? De toute façon, je ne trouverai pas de travail plus tard !" Ce qui est sûr, c'est que si un diplôme ne donne pas l'assurance d'un métier, l'absence de tout diplôme renforce la probabilité de l'oisiveté professionnelle.

La poursuite des études devrait dès lors constituer un des objectifs principaux de nos adolescents. Dans cette quête du diplôme, il ne faut pas négliger les filières techniques lorsque celles-ci correspondent aux talents et aux désirs du jeune. Nombre de ceux-ci, échouant dans les filières dites "intellectuelles", vont grossir les rangs des frustrés de la vie alors qu'ils auraient excellé de leurs "mains". Un certain mépris ambiant pour ce qui n'est pas "oeuvre de l'esprit" ainsi qu'un certain rejet des travaux plus exigeants sur le plan physique, les auront éloignés parfois définitivement du marché de l'emploi. Alors que la fierté d'un métier et le sentiment de se rendre utiles leur auraient permis d'envisager la vie tout autrement ! Il est heureux que tout le monde ne soit pas destiné à devenir professeur de philosophie et quand on voit l'épanouissement de certains hommes de l'art maîtrisant parfaitement leurs techniques, on peut regretter que de nombreux jeunes ne se lancent pas dans une voie, certes exigeante, mais offrant des débouchés incontestables.

Les étudiants se plaignent parfois du peu d'intérêt que présente une matière donnée : "Pourquoi étudier le mode de reproduction des limaces ? De toute façon, cela ne me servira jamais plus tard !" Ce qu'ils ne perçoivent pas toujours, c'est que l'apprentissage sert souvent une double finalité : le savoir et l'ouverture de l'esprit à des connaissances générales, d'un côté, mais aussi l'aiguisement de la volonté, de la mémoire, du sens de l'effort... d'un autre côté. Oserait-on ajouter une troisième dimension : celle du plaisir qui transcende l'utilité immédiate ? Qui n'a jamais éprouvé de la satisfaction devant un texte latin révélant enfin son mystère à l'étudiant chargé de le percer ?

L'instruction poursuit donc plusieurs fins. Elle offre en premier lieu l'apprentissage de la connaissance et de la réflexion. N'aurions-nous pas tendance à affirmer que celui qui a appris à apprendre ne s'ennuiera jamais ? Par ailleurs, nous sommes imperceptiblement changés par ce que nous apprenons : nos réactions, nos idées, nos attitudes sont affinées par le fruit de nos lectures, de nos expériences et de nos apprentissages. Nous ne nous souvenons pas toujours de ce que nous avons appris mais nous ne serions pas le même homme si nous n'avions pas pu bénéficier des efforts de nos professeurs. L'individu qui a eu la chance d'avoir une formation solide réagira probablement différemment à une question délicate : s'il ne connaît pas immédiatement la réponse, il connaîtra probablement l'endroit où il pourra la trouver ou la personne susceptible de lui donner des indications. Pressentant le caractère sophistiqué de la question, il apportera beaucoup de nuance et de prudence et évitera de répondre de façon rigide, catégorique et définitive. L'enseignement permet ainsi d'aiguiser le jugement et de prendre des décisions plus réfléchies.

La quête du diplôme nourrit aussi d'autres préoccupations que le savoir. Elle répond notamment à la nécessité de se prouver à soi-même ainsi qu'aux autres la maîtrise d'aptitudes humaines fondamentales. Nombreuses sont les filières, même au niveau universitaire, qui ne nécessitent pas une intelligence supérieure pour réussir. La réussite requiert toutefois des qualités humaines évidentes comme le courage, la persévérance, la discipline, la volonté... Certains échouent, plus par l'absence de telles vertus que par inintelligence. Aux yeux du futur employeur, le diplômé est non pas tellement celui qui a pu amonceler un stock de connaissances mais celui qui par sa volonté a réussi à atteindre le but qu'il s'était fixé ! Or cette disposition peut être plus utile dans l'existence qu'une intelligence supérieure. Alors que celle-ci est généralement donnée par la nature, celle-là peut s'acquérir par le travail et l'effort.

En général, l'homme instruit parviendra aussi plus aisément à contenir son émotivité. Il lui sera plus facile de ne pas se laisser submerger par ses émotions et de trouver le juste équilibre entre l'usage de l'esprit et le trouble de ses émois. Il aura appris l'art de mesurer ses gestes et son langage. S'il est difficile d'entretenir des relations humaines avec un monstre froid ne laissant jamais rien transparaître de ses sentiments, il n'est guère plus aisé d'affronter les ondulations tumultueuses d'une émotivité impétueuse.

La formation de l'esprit permet également d'amender notre communication en améliorant nos capacités d'expression orale et écrite. Or, de nombreuses sources de conflits et de malentendus ne se trouvent-elles pas dans une communication déficiente ? Il semblerait aussi que le fait de pouvoir communiquer efficacement et agréablement avec les autres soit un facteur favorisant le sentiment de bien-être. La relation existe probablement dans les deux sens : se sentir bien facilite les relations sociales et des relations sociales harmonieuses servent le bien-être !

Faut-il y trouver l'explication du phénomène mis en lumière par certains chercheurs, suivant lequel la satisfaction vis-à-vis de la vie (le "score du bonheur") serait positivement liée à la hauteur du diplôme ? La corrélation pourrait toutefois trouver son origine dans d'autres éléments : la qualification donne généralement une confiance en soi plus affirmée, une situation financière plus aisée, une aptitude plus affinée à relativiser les choses ou à s'extirper d'une situation délicate...

Ceci dit, la réussite scolaire ne signifie pas nécessairement l'assurance de succès professionnels. Les facultés intellectuelles permettant la réussite dans les études ne sont pas toujours celles qui assurent les bonnes performances sur le plan professionnel. Celles-ci nécessitent plusieurs aptitudes qui ne sont pas enseignées à l'école : la capacité de résister au stress, de faire preuve de créativité, de traiter plusieurs problèmes en même temps, de communiquer avec ses collègues et de les enthousiasmer... De nombreux autodidactes, courageux et volontaires, sont à l'origine de la création d'entreprises.

Une des nombreuses fractures dont souffre notre société et qui n'épouse pas nécessairement les contours des clivages socio-économiques traditionnels réside dans cette répartition imparfaite de la faculté des parents à inculquer à leurs enfants ce sens de l'effort. Ceci n'implique pas nécessairement de faire de grandes choses mais d'exceller dans les domaines où nos talents et compétences nous portent.

A l'aube d'une nouvelle période de blocus, il nous semblait utile de renforcer la motivation de nos jeunes étudiants en leur rappelant quelques bienfaits liés à l'étude et à l'art de dompter la difficulté. L'effort... fait les forts ! Bon courage à tous !


Philippe DEMBOUR: Père de famille, Admin. délégué de Society Focus, Auteur de "Parents responsables" (Email philippe.dembour@skynet.be)

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