La solidarité politique, question vitale pour la démocratie
Nous n'acceptons pas que la raison démocratique triomphe partout en Europe, mais pas en Belgique. Nous n'exigeons ni territoire, ni argent, ni pouvoir, mais plus de démocratie. Une opinion d'Etienne VERMEERSCH, Vice-recteur de l'université de Gand.
Publié le 07-07-2008 à 00h00
:focal(99x81:109x71)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/Z3ICHXND5ZHB7KEQYGDEKWK5BM.jpg)
Vice-recteur de l'université de Gand.
La Belgique souffre d'un manque cruel de solidarité politique. Encore récemment, certains événements en ont fourni la preuve. Une partie de la classe politique francophone belge a de nouveau discrédité le Parlement et le gouvernement flamands, démocratiquement élus, auprès du Conseil de l'Europe. Elle a également tenté d'impliquer les Nations Unies dans cette logique dénonciatrice. Ces démarches sont très inquiétantes. Des exigences, somme toute très raisonnables et équitables de la part de la Flandre, sont sans cesse associées à l'extrême droite. Ce raisonnement facile est en train de créer un climat d'intolérance qui pèse sur tous les Flamands.
En Belgique, certains francophones se réjouissent déjà qu'en Europe, "La Flandre est de but en blanc raciste". Comme si un tel énoncé n'était pas raciste. L'entente entre Flamands et francophones se détériore en conséquence.
Une application plus stricte des principes européens en Belgique serait de nature à appuyer la thèse flamande. Dans l'Europe d'aujourd'hui, une frontière n'est plus considérée comme un mur, ni le territoire comme un champ de bataille. Les frontières internes de l'U.E. fonctionnent plutôt comme des règles de jeu. En partant de Liège pour Aix-la-Chapelle, ou de Courtrai pour Paris, tout en passant par les anciennes frontières, on arrive dans une autre culture et dans une autre langue - mais pas dans un autre monde ou une autre Europe, heureusement. Aujourd'hui, les Français ont certains droits en Allemagne. Ils y jouissent, comme tous les habitants de l'U.E., de la protection des lois et des traités européens. Ils y habitent, y travaillent, ils y font leurs études; ils y vivent. Mais en même temps, ils y ont certains devoirs. Ils sont censés respecter la langue en la culture du pays qui les accueille. Il y a des règles de jeu : à chaque fois qu'on passe l'ancienne frontière, c'est comme si on arrivait dans un nouveau stade du jeu, sur une nouvelle case.
Les signataires de ce texte partagent leur confiance, conditionnelle, mais solide, dans l'irréversibilité de l'unification européenne. Certes, notre Europe n'est pas encore idéale. Toutefois elle n'est plus un simple jouet dans les mains d'un Bismarck, ou d'un Napoléon. Mais si l'Etat-nation du XIXe siècle a vécu, cela vaut aussi pour la Belgique. Tout ce que nous demandons, c'est que les règles de jeu européennes, et donc internationales, soient respectées en Belgique. Le principe de territorialité fait partie de ces règles, en tant que fondement politique d'une société paisible, dans un espace fédéral. Le respect pour la majorité politique en fait partie également, tout comme la responsabilité des gouvernants concernant la gestion des affaires publiques (" No Taxation Without Representation").
Nous souhaitons que les francophones du Royaume de Belgique cessent, une fois pour toutes, de vouloir régler les problèmes de façon nationaliste. Qu'une partie de la gauche flamande ne reconnaisse pas cette logique démocratique et européenne, fait partie du problème. Défendre la nation belge, tout en traitant tous les autres de "nationalistes", nous semble peu sérieux. Faire la critique du déficit démocratique en Belgique ne constitue pas un "repli sur soi".
Plus on regarde les pays voisins, plus on se rend compte que les principes fondamentaux d'un fédéralisme démocratique moderne ne sont pas appliqués en Belgique. L'un de ses principes est la solidarité politique. Dans un texte antérieur nous avons dit que la solidarité commence là où on réussit à dépasser l'égoïsme. La solidarité politique signifie alors, entre autres, que les responsables politiques d'une région ne portent pas atteinte volontairement aux intérêts d'une autre région. On voit trop souvent un tel comportement en Belgique.
Par exemple, dans le dossier dit du "Rhin de Fer". Le gouvernement flamand a longtemps et difficilement négocié avec la Hollande pour obtenir un lien direct entre Anvers et la Ruhr allemande par chemin de fer. Le trajet ne contenait pas un mètre carré de territoire wallon et ne coûtait pas un euro au comptable francophone. Mais le Premier ministre du gouvernement wallon de l'époque, Elio di Rupo, écrivait à la province de Maastricht qualifiant le projet de dépense inutile. Les socialistes flamands estimaient, à juste titre, qu'une telle démarche était "insensée, intolérable et stupide". En bafouant de la sorte les principes élémentaires de la solidarité politique, on jette le trouble dans la société de l'état fédéral belge.
Depuis plus d'un demi-siècle, l'avènement de la démocratie en Belgique semble avoir été saboté. Actuellement, il fait beau jeu de ne pas respecter le principe majoritaire. Les francophones se disent scandalisés lorsque les Flamands utilisent leur majorité dans la Chambre des Représentants pour modifier la loi électorale, alors que ceux-ci en ont parfaitement le droit selon la Constitution. En revanche, les francophones exigent qu'une majorité communale puisse décider de l'attachement des communes à facilités à Bruxelles, alors qu'il n'existe, pour un tel processus, aucune base constitutionnelle. On se donne un mal terrible pour que la politique démocratique d'intégration du gouvernement flamand, le fameux "wooncode", soit présentée comme une entrave à la liberté de la part d'une autorité raciste.
Tout cela nous plonge dans une crise de la démocratie sans précédent. La majorité ne peut plus réaliser ses projets démocratiques pour l'avenir, parce qu'elle en est empêchée par une minorité, qui cependant jouit d'une large protection de la loi. La séparation des pouvoirs n'y est plus, puisqu'il n'y a plus de pouvoir; il ne reste qu'un vide toujours plus préoccupant. Mettre en question un tel état nous semble un acte de résistance démocratique.
La lourde tâche de l'actuel gouvernement, ne sera pas tant d'en venir à une "bonne gestion" du pays, mais ce sera tout d'abord la restauration de la démocratie. Sa réussite dépend entièrement du respect retrouvé d'un certain nombre de règles fondamentales. D'abord, la reconnaissance du principe de territorialité. Secundo, l'appréciation, et de bonne foi, des règles de jeu démocratiques dans l'univers politique belge. Tertio, le respect pour le principe majoritaire. Finalement, la responsabilité de toute autorité publique pour sa propre gestion, ce qui doit mener à davantage d'autonomie fiscale.
Quiconque voudrait encore croire à l'avenir du fédéralisme belge, devra souscrire sans ambiguïté à une pacification institutionnelle, dont l'évidente scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde forme la pierre angulaire. Si la minorité veut vraiment que le pays, dont partout elle hisse le drapeau, soit finalement respecté par la majorité, il va falloir que, de son côté, elle se voue au respect de cette majorité. Faire sortir le pouvoir de son vide, et la démocratie de sa crise, exigera bien plus que "cinq minutes de courage politique". Cela demande, de la part des responsables, une vision, fondée dans la nécessité de la solidarité politique. Cela exige en outre une très grande force de conviction. Car, sans la solidarité politique, vivre démocratiquement ensemble dans la paix devient impossible, chez les gouvernants comme chez les gouvernés. Seule la solidarité politique pourra sortir le pays du vide actuel.
Les signataires de ce texte souhaitent que l'interminable crise belge soit traitée dans une approche européenne, démocratique et rationnelle. Nous n'acceptons pas que la raison démocratique triomphe partout en Europe, mais pas en Belgique. Nous n'exigeons ni territoire, ni argent, ni pouvoir. Nous défendons seulement les principes qui doivent nous guider vers plus de démocratie. www.gravensteengroep.org
Etienne Vermeersch (philosophe, vice-recteur hon. Université de Gand), Jan Verheyen (réalisateur), Frans-Jos Verdoodt (historien, prof. ém. Université d'Utrecht, prof. Université d'Anvers), Tuur Van Wallendael (ancien journaliste, sp.a), Piet van Eeckhaut (ancien président du conseil provincial Flandre Oriental, sp.a), Jan Van Duppen (ancien sénateur, médecin généraliste), Luc Van Doorslaer (journaliste, Lessius, K.U.Leuven), Jef Turf, (ancien vice-président PCB), Johan Swinnen (philosophe, VUB, HA Anvers, Sorbonne), Bart Staes (membre du Parlement Européen, Groen !), Brigitte Raskin (écrivain), Jean-Pierre Rondas (producteur, Klara, VRT), Yves Panneels (conseiller de communication), Chris Michel (journaliste), Bart Maddens (politologue, K.U.Leuven), Karel Gacoms (militant ABVV/FGTB), Paul Ghijsels (ancien journaliste et fonctionnaire), Peter Hoogland (chef d'entreprise), Pierre Darge (journaliste), Paul De Ridder (dr. en histoire médiévale, collaborateur TV Brussel), Dirk Denoyelle (humoriste, imitateur), Peter De Graeve (philosophe, Université d'Anvers), Eric Defoort (historien, prof. ém. Université Catholique de Bruxelles), Jo Decaluwe (metteur en scène, artiste), Willy Courteaux (ancien journaliste), Jan Bosmans (médecin, écrivain), Tinneke Beeckman (philosophe, VUB), Ludo Abicht (ancien professeur de l'Université de Berkeley). www.gravensteengroep.org