Je n'ai pas assassiné Woodward et Bernstein

A priori, je pars largement perdant dans ce débat. D’un côté, vous avez une “carte blanche” signée par d’éminents professeurs d’université et donc forcément impartiaux et détenant la vérité. Et puis, de l’autre côté, un directeur des magazines francophones de Roularta, accusé des pires maux de la terre, et donc forcément antipathique aux yeux de l’opinion publique. Une opinion de Amid Faljaoui, Directeur des magazines francophones du groupe Roularta

Amid Faljaoui
Je n'ai pas assassiné Woodward et Bernstein
©D.R.

A priori, je pars largement perdant dans ce débat. D’un côté, vous avez une “carte blanche” signée par d’éminents professeurs d’université et donc forcément impartiaux et détenant la vérité. Et puis, de l’autre côté, un directeur des magazines francophones de Roularta, accusé des pires maux de la terre, et donc forcément antipathique aux yeux de l’opinion publique. Et pour cause : il a eu l’outrecuidance de licencier une rédactrice en chef et trois journalistes, là aussi, forcément talentueux.

En clair, la messe est dite. Circulez, il n’y a rien à voir, l’assassin de la presse écrite est tout trouvé. La preuve, il est là, brandissant dans sa main ses C4 encore fumants !

Eh bien, non, au risque d’offusquer certains égos hypertrophiés, je n’ai pas l’impression d’avoir assassiné Woodward et Bernstein, les deux journalistes de talent qui ont dévoilé l’affaire du Watergate.

Plus prosaïquement, et je m’en excuse auprès de ceux et celles qui prennent le temps de lire ma prose, la réalité est plus triviale : si la direction du “Vif” a rompu le contrat de travail de ces quatre journalistes, c’est parce qu’elle était arrivée au constat que les ponts étaient définitivement coupés entre l’ancienne rédaction en chef et une majorité de la rédaction.

Sauf à vouloir vivre dans une ambiance de guerre de tranchées, préjudiciable à la qualité du magazine, il fallait mettre fin à cette “prise en otage éditoriale” du premier magazine d’information en communauté francophone.

Mon cœur n’est pas composé de granit et je sais qu’un licenciement est perçu comme une forme de violence sociale et qu’il ne faut y recourir qu’en dernier recours. Je le sais d’autant plus que je n’ai pas fermé l’œil les jours précédant l’annonce officielle de ces licenciements. Mais voilà, à chaque fois qu’un journaliste est licencié, il y a toujours de belles âmes – sensibles mais pas toujours documentées – prêtes à bondir et à prendre l’étendard de la révolte et dire que c’est “Mozart qu’on assassine !”.

En réalité, derrière la défense des grands principes du journalisme – auxquels je souscris à 1 000 pc – se cachent, parfois, des corporatismes, des attitudes conservatrices qui n’ont eu qu’un seul résultat jusqu’à présent : bloquer l’innovation éditoriale et accélérer encore plus le déclin de la presse écrite francophone. Et qu’on ne me dise pas que c’est la faute à Internet, car le déclin lui était bien antérieur. Il suffit de savoir lire un graphique pour s’en convaincre.

Tous les spécialistes le savent, le journalisme écrit ne s’en tirera que par le haut. En clair, par la qualité, la qualité et encore la qualité. C’est en quelque sorte un retour salvateur aux sources du journalisme.

Soyons clair, je conteste la carte blanche de nos amis professeurs d’université car un titre académique ne peut occulter la réalité. Ni faire oublier la première leçon de journalisme enseignée sur les bancs de première candidature en journalisme : à savoir vérifier ses sources et les recouper avant d’écrire sur un sujet. En résumé.

1. “Le Vif”, c’est la liberté de ton. La preuve ? Notre actionnaire flamand nous a laissé sortir – en pleine crise politique – une dizaine de couvertures pouvant être jugées anti-flamandes par d’autres lecteurs. A aucun moment, nous n’avons eu de rappel à l’ordre ou une suggestion pour mettre les revendications francophones en sourdine.

2. “Le Vif” est également indépendant, parce qu’il n’est pas subsidié. Il est libre, parce qu’il dépend financièrement de ses lecteurs et de ses annonceurs. Et uniquement d’eux. En clair, les politiques n’ont aucun moyen de pression sur nous. Et comme nos comptes sont bénéficiaires, et répartis 50/50 entre nos lecteurs et nos annonceurs, notre indépendance face aux forces de l’argent est également bétonnée. Et ça, Messieurs, c’est la plus belle garantie éditoriale qui soit. Pour le reste, je m’étonne que l’on s’étonne qu’un directeur de magazines puisse, lui aussi, adhérer aux critères les plus exigeants du journalisme et ose en tirer les conclusions lorsque ceux-ci sont en danger. En conclusion, je persiste à penser que le métier de professeur d’université est un beau métier. Pourquoi celui de directeur des magazines devrait-il être nécessairement assimilé à celui de marchand de soupe ?

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