Oui, l’Afghanistan est important !

En mars dernier, le président américain annonçait sa nouvelle stratégie pour l’Afghanistan : "Désorganiser, démanteler et vaincre al Qaida au Pakistan et en Afghanistan et empêcher leur retour dans l’un ou l’autre de ces pays à l’avenir". Une opinion de Thomas RENARD et Tanguy STRUYE de SWIELANDE.

Thomas RENARD et Tanguy STRUYE de SWIELANDE
Oui, l’Afghanistan est important !
©D.R.

En mars dernier, le président américain annonçait sa nouvelle stratégie pour l’Afghanistan : "Désorganiser, démanteler et vaincre al Qaida au Pakistan et en Afghanistan et empêcher leur retour dans l’un ou l’autre de ces pays à l’avenir. [ ] Nous ne sommes pas en Afghanistan pour contrôler ce pays ni pour dicter son avenir". Il s’agit avant tout de stabiliser l’Afghanistan (en évitant un retour des talibans au pouvoir, et en détruisant le réseau al Qaida) et non plus de démocratiser le pays. Les Etats-Unis s’engageront davantage militairement en Afghanistan. La présence militaire américaine devrait passer d’ici l’été 2009 de 32 000 à 60 000 hommes. Washington enverra également des centaines de coopérants civils (juristes, ingénieurs, enseignants ).

Le remplacement du général David McKiernan par le général Stanley McChrystal à la tête des forces de l’Otan en Afghanistan, annoncé le 11 mai dernier, confirmait le besoin de donner une nouvelle impulsion aux efforts contre-insurrectionnels en Asie du Sud. Il faut reconnaître que ceux-ci se sont révélés jusqu’à présent largement inefficaces, pour ne pas dire contre-productifs. La principale raison de cet échec tient dans l’absence totale de stratégie, tant du côté de l’alliance atlantique que du côté américain, et ce malgré la nouvelle "stratégie AfPak" (pour Afghanistan-Pakistan, un terme qui traduit bien la nature régionale, transnationale, du problème) du président Obama. Ce manque de stratégie est lié au profond désaccord qui divise les membres otaniens quant à la nature de la mission en Afghanistan. Pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, entre autres, il s’agit d’une question de sécurité nationale. Le souvenir des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, préparés depuis l’Afghanistan, ainsi que des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, préparés au Pakistan, est encore vivace et dicte la politique étrangère anglo-saxonne. Pour Londres et Washington, il est préférable de combattre la menace terroriste là-bas, plutôt qu’ici.

Pour une grande partie de l’Europe continentale, par contre, notamment la Belgique, la présence militaire en Afghanistan ne s’explique que par la volonté de sauvegarder l’apparence d’une solidarité transatlantique. Bien que plusieurs cellules terroristes étroitement liées au Pakistan et à l’Afghanistan (dont certaines étaient prêtes à passer à l’action) aient été démantelées en Belgique, en France, en Allemagne et ailleurs en Europe, la plupart des pays européens se contentent d’assurer le strict minimum afin de s’éviter les foudres alliées. En réalité, pour ces pays, la présence militaire en Afghanistan est vue davantage comme la cause du terrorisme islamiste radical en Europe que comme un remède à ce problème.

S’il est encore possible d’éviter que la mission en Afghanistan ne tourne au fiasco absolu, débouchant éventuellement sur le constat de l’obsolescence de l’Alliance tout comme l’échec afghan précipita la chute de l’Union soviétique, l’Otan et ses Etats membres doivent impérativement prendre deux mesures en urgence : développer une stratégie holistique digne de ce nom, c’est-à-dire, entre autres choses, déterminer les priorités et définir qui combattre et avec qui négocier, et s’assurer que cette stratégie soit cohérente avec les intérêts de l’Alliance et de ses membres, alors qu’aujourd’hui la plupart des membres ne voient pas l’intérêt d’être présents en Afghanistan. Lors de sa visite en Europe, début avril 2009, le président Obama attendait des Européens un plus grand engagement sur le terrain : "A nos partenaires et alliés de l’Otan, nous ne demandons pas seulement des troupes mais aussi des engagements clairement définis : soutenir les élections afghanes, entraîner les forces de sécurité afghanes et une action civile plus forte auprès de la population afghane". Pourtant le président Obama n’a pas obtenu grand-chose des Européens. Si les Européens se sont engagés à envoyer 5 000 militaires, il n’y aura aucune force combattante (confirmant que seuls quelques Etats sont prêts au risk sharing). Une partie entraînera et formera les forces afghanes (1 400 à 2 000), et une autre partie (3 000) ne sera présente sur le théâtre d’opérations que pour la durée des élections en août 2009.

Or, au-delà de la lutte contre al Qaida et de la propagation de l’islamisme radical, ou d’une certaine solidarité envers les Etats-Unis et/ou l’Otan, les enjeux dans une région traditionnellement volatile sont également géostratégiques, qu’on le veuille ou non, et concernent directement l’intérêt national européen. En effet, il s’agit en premier lieu par notre présence non seulement de stabiliser l’Afghanistan, mais bien plus encore le Pakistan, puissance nucléaire ayant des relations tendues avec l’Inde. En second lieu, il y a dans la région une lutte acharnée entre l’Inde, la Russie, la Chine, l’Union européenne et les Etats-Unis pour le contrôle du pétrole et du gaz de la Caspienne et les voies d’exportation. Un troisième enjeu est le développement de la nouvelle route (commerciale) de la soie allant de l’Union européenne vers la Chine. Un quatrième intérêt est la question de la prolifération de l’opium. La lutte traditionnelle pour la maîtrise du Rimland (région allant du Maroc à l’Asie centrale) forme une cinquième raison.

Il convient donc de lancer en urgence un débat au sein de chaque pays sur les intérêts stratégiques nationaux en Afghanistan. Ce débat doit être ouvert à l’opinion publique, et il revient aux politiques, aux militaires, aux journalistes et aux académiques d’exposer l’ensemble des options disponibles ainsi que les risques afférents. Si notre sécurité dépend de l’évolution de la situation en Asie du Sud, nous nous devons de renforcer nos efforts. Par contre, si le débat débouchait sur la conclusion opposée, à savoir que notre déploiement nuit plus qu’il ne profite à notre intérêt et à notre sécurité, alors le temps sera venu d’en faire part à nos alliés et de prendre les mesures logiques qui en découlent.


Thomas RENARD, chercheur à l'Institut Egmont et Tanguy STRUYE de SWIELANDE, professeur UCL-FUCAM-ERM

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