Il y a déficit et déficit
Madame Merkel ne cédera pas : chaque Etat de la zone euro doit rétablir ses finances publiques. L’équilibre budgétaire devient constitutionnel en Allemagne, il est à craindre que Mme Merkel ne l’exige également de chaque pays membre de la zone euro. Une opinion de Philippe Cayla, Président du directoire d’Euronews
Publié le 18-06-2010 à 04h15 - Mis à jour le 18-06-2010 à 09h36
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Madame Merkel ne cédera pas : chaque Etat de la zone euro doit rétablir ses finances publiques. L’équilibre budgétaire devient constitutionnel en Allemagne, il est à craindre que Mme Merkel ne l’exige également de chaque pays membre de la zone euro. L’exportation de la vertu allemande sur les finances publiques européennes n’est pas conjoncturelle.
A l’occasion de la crise grecque ressortent toutes les frustrations venues de l’incapacité à faire appliquer le défunt pacte de stabilité, et la raideur allemande, enfin victorieuse, surcompense ces frustrations par un excès manifeste d’exigence. En face, que peuvent les PIGS ? Mis sur le banc des accusés pour tricherie, inertie et mollesse, les voici qui promettent une rigueur pour eux toute nouvelle. Qui peut croire que ce sera sans conséquences politiques ?
Si la droite comme la gauche ne savent plus appliquer en Europe qu’une même politique de déflation, de baisse des revenus et de la consommation, donc de chômage, il est clair que le système va exploser. Après les manifestations de rue viendront les grèves, les émeutes, les combats de rue, les morts. Puis viendront les élections, et dans tous ces pays, inéluctablement, arrivera démocratiquement au pouvoir une droite extrême, ultranationaliste, anti-européenne, qui conduira chaque pays concerné à sortir de l’euro et de l’Europe. Est-ce à cela que l’Allemagne veut arriver ?
Aveuglée par une fausse analyse de l’hyperinflation de 1923, provoquée délibérément par la République de Weimar pour dévaluer les réparations, et nullement pour relancer l’économie, l’Allemagne a une phobie maladive et aveugle de l’inflation. Pourtant, l’inflation "acceptable" dont on parle à la BCE n’excède pas 2% par an et n’a rien à voir avec l’hyperinflation. Mais cette phobie détermine toute la pensée économique allemande, et on peut redouter son extension irréversible à la BCE elle-même quand Axel Weber en sera devenu le président.
Malheureusement, l’Allemagne est en situation d’imposer ses conditions. Ceux qui veulent rester dans la zone euro devront équilibrer leurs finances publiques. Ceux qui en sortiront serviront de repoussoir : en revenant à leurs monnaies nationales ils ne pourront que rentrer dans une spirale négative de dévaluations massives et d’emprunts à des taux d’usure. Mais pour ceux qui feront l’effort de la vertu, quelles perspectives de croissance leur offrir pour éviter la catastrophe sociale ?
Pour éviter la récession européenne, on parle de "gouvernance économique". Quelle gouvernance s’il n’y a aucune marge de manœuvre ? On parle de budget européen. Avec quelles ressources, quels impôts nouveaux ? Il est clair qu’il faudra au moins dix ans pour créer un impôt européen. En attendant que fait-on ? On regarde passer les émeutes ?
Face au déficit d’Europe, la seule marge de manœuvre consiste à créer un déficit européen. Il est en effet pour le moins paradoxal qu’on autorise la Commission européenne à emprunter 40 milliards d’euros pour prêter à des Etats membres, mais rien pour financer des investissements européens. Or la Commission est certainement le meilleur emprunteur d’Europe, celui qui peut obtenir les taux les plus bas sur le marché, plus bas même que ceux de l’Allemagne. Quel est le déficit acceptable ? Prenons les pères-la-rigueur au mot : 3% nous suffisent largement. Le budget européen s’élève à 140 milliards d’euros, soit 1% du PIB européen. Autoriser un déficit de 3% signifie multiplier les ressources par quatre, lever 420 milliards d’euros supplémentaires, soit 14 fois le "grand emprunt" français, et ceci chaque année.
Que faire de 420 milliards d’euros par an ? Evidemment des investissements, pas des dépenses de fonctionnement. Investissements dans les infrastructures : enfin un TGV européen qui relierait toutes les capitales européennes et désenclaverait le sud de l’Europe. Investissements dans la voiture électrique avec la mise en place d’un réseau paneuropéen de stations-service électriques, permettant de réduire écologiquement notre dépendance au pétrole importé. Investissements dans la création d’un réseau européen internet à haut débit, par fibre optique et par satellite, étendu jusqu’aux régions les plus reculées d’Europe. Investissements dans l’éducation et la recherche, avec des pôles de recherche bien répartis entre le nord et le sud de l’Europe.
Ces investissements, outre leur effet multiplicateur "keynésien" (bien oublié par ces temps monétaristes), auraient un effet structurant sur l’offre et permettraient de rentabiliser de nombreuses initiatives d’entrepreneurs individuels, notamment du sud de l’Europe. Ils permettraient d’améliorer la mobilité des travailleurs, aujourd’hui très faible, des étudiants, actuellement en baisse, et de réaliser ce fameux "grand marché" qui n’est aujourd’hui qu’un leurre à bien des égards.
Avec un déficit européen limité à 3% du PIB, s’ajoutant aux 3% de chaque Etat-nation, le déficit global de la zone euro resterait stable à 6%, taux actuel moyen des déficits nationaux. La réduction des déficits nationaux de 6% à 3% n’aurait donc plus l’effet déflationniste redouté, et au contraire on peut penser que l’allocation de la moitié du déficit global à des projets européens structurants en augmenterait l’efficacité globale. Ainsi, la crise européenne pourrait-elle être enrayée, la dynamique relancée. Le déficit d’Europe aurait vécu.