La prostitution et l’image de la femme

Les campagnes contre la prostitution via la pénalisation des clients veulent préserver l'image de la femme, pas les femmes qui risquent de glisser dans la clandestinité. Une opinion de Tülay UMAY, sociologue.

La prostitution et l’image de la femme
©Benedicte Maindiaux

Le parti humaniste, par la voix de Céline Frémault, députée bruxelloise et présidente des femmes du CDH, a lancé une campagne contre la prostitution. Ce parti s’oppose d'abord à la création "d’Eros Centers". Le premier objectif, présenté par ce parti, est une diminution drastique de la prostitution grâce à des campagnes d’informations destinées à faire changer les mentalités. La sensibilisation des clients n’est qu’une étape transitoire, car après une période de trois ans, le parti veut s’attaquer à la prostitution par la pénalisation des clients.

Cette idée est dans l’air du temps. La criminalisation de l’achat de services sexuels existe en Suède depuis 1999. Un projet semblable se retrouve dans un rapport parlementaire français, disposant d’appuis importants au sein de l’Assemblée Nationale. Il est défendu par nombre de députés de la majorité gouvernementale et du parti socialiste. Ce rapport, intitulé "En finir avec le plus vieux métier du monde", propose de créer un nouveau délit de recours à la prostitution. Toute personne, faisant appel aux services d’une prostituée, deviendrait passible d’une peine de six mois de prison ferme, assortie d’une amende de 3 000 euros. Si la nouvelle loi, prévue pour 2012, est adoptée, son application ne pourra qu’être arbitraire. Quand l’infraction sera-t-elle établie ? Lors de l’acte ou du paiement qui ont lieu à huis clos ou plutôt lors d’une éventuelle négociation des tarifs ? Cette hypothèse est la plus vraisemblable. Dans ce dernier cas, il s’agirait d’un délit d’intention dépendant totalement de la capacité d’appréciation du policier, de déterminer qui est le simple passant, le curieux ou le futur client. Le texte indique bien "qu’il ne s’agit pas d’emprisonner la majorité des clients". La loi devrait surtout permettre de multiplier les interpellations, les gardes à vue et de développer le fichage. Le rapport parlementaire s’inscrit dans la foulée de la loi de 2003 et de l’incrimination de "racolage passif". Cette notion est un oxymore. Elle met ensemble deux termes qui s’excluent, l’action de séduire le client et la notion de passivité. Toute objectivité est ainsi annihilée. Le jugement porté par le policier ne peut qu’être subjectif et dépendre d’autres impératifs, comme, par exemple, celui de faire du chiffre.

La lutte contre la prostitution a pour objectif déclaré la défense de la dignité de la femme et de la personne humaine. Mme Frémault nous précise que "le CDH veut réaffirmer que le corps n’est pas une marchandise et que la prostitution n’est pas un métier comme un autre. Nous considérons qu’elle constitue une atteinte à la dignité humaine et que c’est aussi une violence de genre."(1)

Une première remarque s’impose : faire de la prostitution une question de genre est abusif, puisque, dans les grands centres urbains, 20% des personnes prostituées sont des hommes. Il s’agit là d’un premier déplacement du problème. Le second consiste dans la confusion faite entre prostitution volontaire et forcée.

En ce qui concerne la répression de la prostitution, on oppose la protection de la prostituée, présentée comme une victime, au droit de celle-ci de disposer de son propre corps. Pour ce faire, on oublie que ces femmes, que l’on prétend protéger, vont courir d’avantage de risques, suite aux mesures prises qui ne peuvent que renforcer la clandestinité. Les propositions, du CDH ou du rapport parlementaire français, nous indiquent que c’est bien l’image de la femme qu’il s’agit de préserver et non ces femmes mises en danger. Danielle Bousquet, députée française PS, présidente de la commission parlementaire sur la prostitution, nous le confirme à travers son soutien à la loi Sarkozy punissant le racolage passif : "cela n’a pas amélioré le sort des prostituées. Mais cela a montré qu’elles étaient victimes, pas délinquantes"(2). Ainsi, ce qui importe ce n’est pas l’amélioration du sort des prostituées, mais la possibilité de les traiter comme des victimes et non en tant que sujets, car "personne, de manière vraiment éclairée, ne peut décider en toute conscience d’effectuer un tel métier", insiste Mme Bousquet.

Cette opposition entre l’image de la femme et les femmes concrètes fait exister l’image de la dignité humaine aux côtés des individus réels. Cette procédure psychotique opère une dissociation du sujet de droit. La propriété de soi est démembrée en deux parties, l’usufruit et la nue-propriété, chacune appartenant à des entités juridiques disjointes. L’"usus", la jouissance de son corps reste aux mains de l’individu, mais à condition qu'il en fasse un bon usage. Il ne peut l’altérer, en "épuiser la substance". L’utilisation doit respecter les droits du nu propriétaire, être conforme à l’image de la dignité humaine, dont l’Etat et ses représentants seraient les dépositaires.

L’image de la dignité de la femme, que l’on retrouve dans les positions du CDH et dans les propositions du rapport de l’Assemblée Nationale française, consacre la dignité de la personne humaine comme un élément d’organisation du système social par l’éthique. La post-modernité renoue ainsi avec une conception jusnaturaliste du droit (NdlR en rapport avec le droit naturel), basée sur une conception chrétienne de l’homme créé à l’image de Dieu. Toute dégradation de la dignité humaine était un avilissement de l’image divine. La conception laïque de la dignité humaine n’existe plus comme rapport de l’homme à Dieu, mais comme "rapport de soi à soi" ou, plus précisément, comme rapport de l’homme à son image. Cependant, elle reste bien dans la dimension du sacré, puisqu’elle consacre ce principe comme un droit absolu, de nature transcendantale, inconciliable avec d’autres droits fondamentaux, dont le principe de liberté ou celui de disposer de son propre corps. Les propositions du parti humaniste, comme les positions laïques et républicaines des parlementaires français, nous placent ainsi au delà du politique, de la pluralité et de la confrontation des points de vue. Elles nous inscrivent directement dans l’unicité de l’image de l’Homme, dans le religieux.

(1)Annick Hovine, "Sanctionner les clients ?", interview de Céline Frémault, La Libre, le 10 mai 2011.

(2)"Faut-il pénaliser les clients des prostituées", La Libre, le 13 mai 2011.

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