Fiche Philo: Mondialisation VS Globalisation

Présenté par Luc de Brabandere et Stanislas Deprez. Actuelle, concrète et accessible, cette série philo “binôme” confronte deux mots utilisés au quotidien. Retrouvons les concepts fondamentaux pour mieux penser l’actualité.

Fiche Philo: Mondialisation VS Globalisation
©D.R.

Le mot “mondialisation” est d’un usage récent. Il traduit l’anglais “globalization”, introduit en 1983 par Theodor Levitt pour désigner l’extension d’un processus à l’échelle mondiale. Globalisation semble donc un parfait synonyme de mondialisation. Et pourtant, ne serait-il pas utile de distinguer les deux termes ? La mondialisation ne date pas d’hier. Les empires romain ou chinois, par exemple, sont déjà des formes de mondialisation. Le christianisme, l’islam, le bouddhisme et même le judaïsme, religions universelles, relèvent aussi du processus de mondialisation. La colonisation du monde par l’Europe est un autre exemple de globalisation, qui relie les grandes économies-mondes, pour parler comme l’historien Fernand Braudel. On sait aujourd’hui que cette mondialisation a commencé en Asie, avec d’importants contacts économiques et culturels entre la Chine et l’Inde, les premières puissances jusqu’au XIXe siècle (et qui tendent à le redevenir, faisant parler certains historiens d’“asiatisation” du monde).

Néanmoins, si elle trouve ses racines dans les siècles précédents, la mondialisation, au sens strict de déploiement d’échanges et d’enjeux planétaires, ne prend son essor qu’au XXe siècle. Le phénomène est multiple : technique, politique, économique et culturel. Pour que des régions du monde aussi éloignées que la Belgique et le Congo, ou les Etats-Unis d’Amérique et la Chine, puissent interagir en échangeant des biens, des hommes et des informations, il est évidemment nécessaire de disposer de moyens techniques efficaces. Sans l’invention et la mise en œuvre des trains, des bateaux à moteur, puis de la voiture et de l’avion, la mondialisation telle que nous la connaissons eût été impossible. De même, grâce au développement des nouveaux médias – téléphone, radio, télévision, et aujourd’hui Internet, GSM, GPS, toutes inventions rendues possibles ou fortement améliorées par la mise au point des satellites – l’information peut atteindre à peu près n’importe quel point du globe presque au moment où elle est produite.

Ces bouleversements technologiques ont un impact politique énorme, dans la mesure où ils relativisent l’importance des frontières. CNN ou Al Jazeera diffusent sur l’ensemble de la planète des informations et des visions du monde parfois à l’opposé des pays où elles sont captées. Internet permet l’organisation de réseaux innombrables, sans se soucier des identités nationales. Et si les gouvernements ne sont pas sans moyens de résistance – ainsi la Chine fait-elle pression sur Google pour interdire aux internautes chinois de se connecter sur des sites sensibles : Tibet, Falun Gong… – la vague de fond tend plutôt à réduire les frontières. D’autant que les Etats-Nations se trouvent eux aussi amenés, pour des raisons politiques et économiques, à s’inscrire dans des ensembles plus vastes : Union européenne, Onu, Alena, G20…

Le mouvement tend même à s’accélérer depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, donnant l’impression que la planète entière est unie sous les lois du marché. A ce propos, on peut se demander : la vraie raison de la fin du communisme n’est-elle pas l’impossibilité de garder le secret de Tchernobyl ? La dimension économique est en effet la plus remarquée de la mondialisation, au point de faire parfois oublier les autres. Et c’est ici que la distinction entre mondialisation et globalisation se révèle intéressante. Certes, la grande masse des entreprises restent nationales, régionales ou locales, et l’affaire Dexia a douloureusement rappelé à la Belgique les difficultés de la transnationalité. Toutefois, même le café du coin, PME on ne peut plus locale, propose du vin sud-africain ou de la bière mexicaine, et peut vous servir une spécialité de croquettes de crevettes fabriquées en Thaïlande. Ce qui veut dire que le local ne peut fonctionner sans le global. Aujourd’hui, il peut être plus intéressant, pour un éditeur belge, d’employer un metteur en page français et d’imprimer en Italie, voire en Corée. Et il est plus rentable d’importer un porte-clés Manneken-Pis “made in China”, plutôt que de le fabriquer en Belgique.

Un pas de plus dans la globalisation est franchi avec les grandes entreprises qui travaillent dans plusieurs pays et parfois sur plusieurs continents. Leur envergure et la différence des marchés où elles sont implantées les forcent à s’adapter aux cultures autochtones. Néanmoins, ces firmes gardent un ancrage national fort. D’autres entreprises sont globales : elles ont des succursales aux quatre coins de la Terre mais elles ne sont pas unifiées, par exemple parce qu’elles fonctionnent avec des franchisés. Au contraire, les entreprises vraiment mondiales se caractérisent par leur homogénéité – leur cohérence – qui les fait considérer le monde entier comme un même pays. La taille de la société est un facteur moins déterminant que les liens qui unissent ses membres, quelles que soient leur nationalité et leur culture. Au fond, la différence est là : une entreprise globale peut être active en de nombreux coins du globe, une entreprise mondiale considère la Terre comme un village.


POUR ALLER PLUS LOINPierre-Noël Giraud, “La mondialisation. Emergences et fragmentations”, Sciences Humaines, 2008. Un livre récent, et critique, sur la dimension économique de la mondialisation. Jean-Pierre Warnier, “La mondialisation de la culture”, La Découverte, 2008. Une analyse nuancée de la mondialisation, vue par sa face culturelle. www.mondialisation.ca. Le site d’un centre de recherche canadien sur la mondialisation. Plutôt altermondialiste. http://www.canalacademie.com/ida268-Quelle-mondialisation-economique-pour-le-XXIe-siecle.html. Une interview audio de Pierre Bauchet.

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