Fiche Phlio: Vie VS Mort

Présenté par Luc de Brabandere et Stanislas Deprez. Actuelle, concrète et accessible,cette série philo “binôme” confronte deux mots utilisés au quotidien. Retrouvons les concepts fondamentaux pour mieux penser l’actualité.

Fiche Phlio: Vie VS Mort
©KANAR

Cela semble aller de soi : quand on vit, on n’est pas mort, et quand on est mort, c’est qu’on ne vit plus. Un des critères permettant de définir l’espèce humaine est d’ailleurs la pratique des rites funéraires, ce qui suppose que l’on sait déterminer quand quelqu’un est mort. Certes, mais jusqu’où cette détermination est-elle possible ? A quel moment précis la vie laisse-t-elle la place à la mort ? Est-ce quand le cœur s’arrête de battre ? Mais on sait qu’un cerveau peut tenir quelques minutes sans oxygène, en se dégradant certes, mais sans mourir. Et puis, les progrès de la médecine ont permis l’invention des cœurs et poumons artificiels, qui assurent l’oxygénation du corps. Il est aussi facile de nourrir un corps dont le système digestif ne fonctionne pas, en injectant des éléments nutritifs dans le système sanguin. La mort surviendrait-elle lorsque le cerveau s’arrête ? Cependant, outre le fait qu’un tel arrêt ne se produit pas en un instant précis, les cas ne sont pas rares de patients comateux qui survivent en hôpital. Il n’est donc pas absurde d’imaginer un patient anencéphale ou souffrant de graves lésions cérébrales, qui soit maintenu en vie grâce à des appareillages. Bien entendu, on peut douter de la qualité de vie de patients ainsi “machinisés”. Mais on ne peut nier qu’ils vivent.

Autre question : quand la vie surgit-elle ? Au niveau de l’individu humain, on peut sans doute avancer que la vie ne commence pas, puisque l’ovule et le spermatozoïde sont vivants. Mais la question rebondit au niveau des espèces : comment distinguer l’inerte du vivant ? Pas moins de sept critères sont nécessaires pour cela, répondent les biologistes. Premièrement, il faut une organisation cellulaire, c’est-à-dire qu’un vivant est nécessairement composé d’une ou de plusieurs cellules. C’est pourquoi les virus ne sont pas vivants, même s’ils se reproduisent par l’intermédiaire de leurs cellules hôtes.

Mais cela ne suffit pas, car une cellule est un composé chimique, pas fondamentalement différent – hormis la complexité – d’autres composés chimiques. Et puis, il y a des cellules mortes, donc le fait d’être une ou plusieurs cellules ne suffit pas à définir la vie. Un deuxième critère est l’ordre : les vivants s’organisent d’une manière non aléatoire. Toutefois, un robot (même ménager) est doté d’une organisation complexe et pourtant il ne vit pas. Un troisième critère est la sensibilité. Les vivants répondent à des stimuli : les chiens de Pavlov salivent en entendant le son d’une clochette, et votre petit frère (ou enfant, c’est selon) salive en entendant la musique du glacier. Un autre point important est le fait que les vivants consomment de l’énergie, en mangeant, buvant et respirant. Cinquième point : les vivants croissent et se reproduisent. La reproduction sexuée est le processus par lequel des organismes produisent des descendants, qui possèdent certaines des caractéristiques génétiques de leurs parents. Chez les vivants qui se reproduisent par division cellulaire, il n’y a ni parents ni enfants.p> C’est pourquoi les psychanalystes n’ont pas encore pu découvrir de complexe d’Œdipe chez les amibes. Sixième critère: l’adaptation évolutive. Les vivants interagissent avec leur environnement pour assurer leur persistance, à la différence par exemple d’une pierre qui ne se soucie pas de sa survie. Pour cela, septième critère, les vivants cherchent à maintenir constant leur milieu interne, qui est différent du milieu externe, en modulant certains paramètres comme la température ou le taux d’oxygène dans le sang. On appelle ce processus l’homéostasie. Les pierres ne le connaissent pas. Mais un système constitué d’un thermostat et d’un radiateur, si ! C’est pourquoi la définition du vivant comporte ses sept critères ensemble.

< Cependant, même pris ensemble, ces critères sont discutés. Des roboticiens et biologistes ont fabriqué des robots qui imitent le comportement de cafards (allez savoir ce qui se passe dans les cerveaux enfiévrés de ces chercheurs, et dans ceux de leurs bailleurs de fonds). Comme leurs homologues insectes, ces charmants robots se déplacent à la recherche de nourriture (c’est-à-dire, de source d’énergie) et fuient la lumière. Ils sont donc constitués de “cellules”, sont ordonnés et réagissent à des stimuli, utilisent de l’énergie et assurent leur homéostasie. Et si l’on considère l’apprentissage de nouveaux comportements comme une adaptation, on peut dire qu’ils connaissent une forme d’évolution. Heureusement – pour notre définition de la vie, et pour notre tranquillité – ils ne se reproduisent pas. Mais il y a des formes d’organismes non vivants qui se reproduisent, comme les virus informatiques. Il n’est donc pas impossible qu’un jour un bio-roboticien invente un robot auto-reproducteur (un nano-robot ? un super-virus informatique ? une méga-blatte ?).

La vie semble tenir à sept fils. Un véritable écheveau. Mais la mort paraît elle aussi inextricable pour qui veut la penser. Parce qu’on ne sait pas bien quand elle commence. Et car on ne sait pas au juste ce qu’elle est. Les sciences naturelles nous disent que la mort est le retour du vivant à l’état inerte. Est-ce si sûr ? Les religions offrent d’autres pistes sur cette question. Les trois monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – professent une résurrection de l’être humain et voient la mort comme un passage. L’hindouisme envisage une transmigration de l’âme à travers des millions d’existences (ce qui relativise tout de même quelque peu la mort, à défaut de la rendre sympa). Quant au bouddhisme, il déclare que la vie comme la mort sont des “illusions”, ou plus exactement des processus impermanents.

On peut encore envisager la vie par-delà la mort d’une autre manière. D’un certain point de vue, les parents survivent dans leurs enfants. En tout cas, chaque enfant comporte 50 % des gènes de chacun de ses parents. Ce qui est la manière naturelle de survivre à sa propre mort. Il y a aussi une manière culturelle, défendue notamment par le grand spécialiste de la communication Gregory Bateson. Notre corps se détruit irrémédiablement et il n’y a pas d’âme, explique-t-il. Mais nous sommes plus que notre corps et notre âme. Nous existons aussi dans les traces que nous laissons (articles de journaux, blogs sur Internet, listes de courses...) et dans les idées que nous transmettons à d’autres. Quand quelqu’un pense à nous, ou même à une de nos idées, nous vivons dans sa mémoire.

Bateson est aujourd’hui décédé. Le fait que nous l’évoquions dans ces pages n’est-il pas une bonne indication de la pertinence de sa conception de la vie dans la mort ?


POUR ALLER PLUS LOINDr Laurent Alexandre, “La mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité”, JC Lattès, 2011. Delphine Saulière et Rémi Saillard, “Le Petit Livre de la Mort et de la Vie”, Bayard, 2005. Pour en parler aux enfants. www.mon-poeme.fr/citations-vie-mort/, 65 citations pour méditer ou briller en société. http://agora.qc.ca/thematiques/mort.nsf/Accueil/fr, Une encyclopédie de la mort.

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