Face à Mohamed Morsi dans l’ascenseur

Si nous humilions davantage celui qui est déjà terrassé, nous savons bien que nous n’obtiendrons qu’un surcroît de violence lorsqu’il se relèvera. Une opinion de P. Dominique Janthial, curé à Louvain-la-Neuve.

Contribution externe
Face à Mohamed Morsi dans l’ascenseur
©AFP

Mardi dernier au Caire, ma journée avait bien commencé : je prends l’ascenseur du sixième étage où j’avais passé une nuit de couvre-feu animée de discussions enflammées sur le rôle des militaires, des Frères musulmans et sur le caractère légitime ou non de la répression. Au cinquième étage, la porte s’ouvre et je me retrouve face à Mohamed Morsi… bon, ce n’était évidemment que son sosie. Quoi qu’il en soit, son apparence extérieure ne laissait aucun doute sur son appartenance idéologique. De même que la croix que je porte au poignet ne laissait aucun doute sur la mienne. " Il monte ou il descend ?" me demande-t-il ou plus exactement avec cet amour de la langue égyptienne pour le pléonasme : "Il monte d’en bas ou il descend d’en haut ?"" Descend…"lui répondis-je, laconique sous l’effet de la surprise. "Morsi" entre alors dans l’ascenseur.

P. Dominique Janthial
curé à Louvain-la-Neuve
Je regarde mes chaussures. Et je suis retraversé par le témoignage d’Amir, cet ami urgentiste à l’hôpital de Qasr El-Ayni au centre-ville d’où il venait d’être relevé après cinq jours de travail intensif. Il avait tout vu : les rangées de policiers de "Amn ed-Daoula" (anti-émeute) ouvrir le feu sous les fenêtres de l’hôpital sur une manifestation pacifique durant le "vendredi de la colère". Puis le hall de l’hôpital se remplir de blessés (au thorax et à la tête) sans que les médecins présents sachent qui secourir tant il y en avait. Il a été particulièrement ému par un jeune confrère, médecin et Frère musulman qui lui a parlé avant de mourir.

Me reviennent alors les paroles du cantique que je viens de prier aux Laudes : "Nous voici, Seigneur, le moins nombreux de tous les peuples, humiliés aujourd’hui sur toute la terre, à cause de nos fautes…" Humiliation des Frères qui, ayant accédé au pouvoir après 80 ans de répression n’ont pas été capables de le garder plus d’un an… "à cause de leurs fautes". Terrible ! L’ascenseur est maintenant au rez-de-chaussée et "Morsi" me fait signe de passer le premier. " Tfadhal Hadretak ! : Je vous en prie, Monsieur ! " lui dis-je avec le plus de respect possible dans ma voix. Surpris, il me rétorque " Tfadhal Hadretak ! " mais cette fois-ci son visage fermé est transformé par l’esquisse d’un sourire, il refuse ma politesse mais je lui ai donné l’occasion de m’offrir la sienne.

Vous allez me dire : "Tout ça pour ça !" Oui c’est vrai, c’est peu de chose. Mais la "porte étroite" c’est cela aussi. Pas seulement celle de l’ascenseur, mais celle du discernement. C’est si facile d’hurler avec les loups. D’humilier un peu plus ceux qui le sont déjà tellement, de faire chorus avec la presse et les médias pour achever le nouveau bouc émissaire à la mode… Comme il est dur de faire entendre une voix discordante au sein d’une communauté lorsque la version officielle va dans le sens de ses intérêts… mais le salut du monde n’est-il pas à ce prix ? En fait, plutôt que de répondre à la question "Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ?", Jésus préfère nous encourager à être "sauveur" de nos frères en passant par cette "porte étroite" du discernement. Discerner en chaque être humain sa dignité profonde qui est d’être enfant de Dieu et contribuer ainsi à le lui faire redécouvrir.

"Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places." Il vous répondra : "Je ne sais pas d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal." Il faut pouvoir écouter cette parole dans toute sa force. L’écoute de l’évangile du Christ et le partage de son repas eucharistique ne nous donne pas d’autre droit que celui d’aller et de faire comme lui. Si nous humilions davantage celui qui est déjà terrassé, nous savons bien que nous n’obtiendrons qu’un surcroît de violence lorsqu’il se relèvera. Pour qu’il puisse accueillir l’épreuve non comme une humiliation mais comme une correction paternelle, ainsi qu’y invite S. Paul dans la deuxième lecture (Héb, 12, 5ss), il est nécessaire que l’être humilié "à cause de ses fautes" reçoive ce regard de respect qui lui révèle sa nature profonde de fils de Dieu, et la miséricorde…

"C’est la miséricorde que je veux, dit Jésus, et non les sacrifices !" Puisque nous aussi avons été tant de fois relevés et restaurés dans notre dignité, puissions-nous passer "par la porte étroite" en reprenant, dans cette eucharistie dominicale, en notre nom et au nom de tous les humiliés sur la face de la terre, les paroles du psalmiste : "Nos cœurs brisés, nos esprits humiliés, reçois-les, comme un holocauste de béliers, de taureaux, d’agneaux gras par milliers. Que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi, car il n’est pas de honte pour qui espère en toi !"

Une opinion de P. Dominique Janthial, curé à Louvain-la-Neuve.

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