Espionnage américain : (fausse) indignation européenne

La réaction outragée des responsables politiques européens à propos des programmes de surveillance des Etats-Unis est difficile à prendre au sérieux pour tout observateur averti. Une opinion de Damien Van Puyvelde, Docteur en Politique Internationale.

Une opinion de Damien Van Puyvelde
Espionnage américain : (fausse) indignation européenne
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La réaction outragée des responsables politiques européens à propos des programmes de surveillance des Etats-Unis, notamment mis en place par l’Agence de Sécurité Nationale américaine, la NSA, est difficile à prendre au sérieux pour tout observateur averti. Le fait que des alliés s’espionnent est, en effet, établi depuis des années. La coopération internationale au niveau des politiques économiques, scientifiques ou même de défense n’a jamais eu vocation à s’appliquer dans tous les domaines. Il en va de même au niveau des renseignements : la coopération internationale dans le domaine du contre-terrorisme n’implique pas, ipso facto, une coopération dans d’autres domaines comme le renseignement économique ou militaire.

Ce moralisme des chefs d’Etats européens n’est pas sans rappeler celui d’Henry Stimson, Secrétaire d’Etat Américain sous l’administration Hoover qui décida de fermer le Bureau du Chiffre américain en 1929, un organe de recueil de renseignement. Une décision qu’il justifiera plus tard dans ses mémoires sous le prétexte que « les gentlemen ne lisent pas le courrier des autres ». Cette aversion américaine envers la collecte de renseignement d’origine électromagnétique est communément reconnue comme étant un des facteurs menant à la faillite du renseignement américain de prévenir l’attaque surprise de la base de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.

Plus récemment, principalement dans les années 1990, des réactions similaires d’indignation se sont manifestées lorsque le système ECHELON a été dévoilé par le journaliste Duncan Campbell puis Nicky Hager. A l’époque le Parlement européen avait même été jusqu’à publier un rapport sur ce système qui permet aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie de partager du renseignement d’origine électromagnétique. Il est donc difficile de croire qu’un chef d’Etat puisse être véritablement surpris et choqué. Par ailleurs, tout haut fonctionnaire ou responsable politique est dûment prévenu, dès qu’il accède à un poste important : toutes ses conversations sont susceptibles d’être écoutées et enregistrées. C’est une réalité qui, en France, s’est établie déjà sous la monarchie, donc bien avant la naissance des Etats-Unis. Le président François Hollande ou les services de renseignement français qui l’informent se priveraient-ils de prendre connaissance des conversations du Président américain, s’ils y avaient accès ?

Certains décideurs politiques, comme le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, comparent les écoutes opérées par les Etats-Unis à celles auxquelles se livraient les régimes totalitaires qui ont ravagé l’Europe au cours du vingtième siècle. Les activités, et par extension le rôle, de la NSA seraient donc comparables à celles de la Stasi qui sévissait en Allemagne de l’Est. Or, la surveillance des citoyens menée par la police politique est-allemande ne saurait être comparée à celle des chefs d’Etats menée par l’agence américaine en charge de la collecte de renseignement d’origine électromagnétique. En effet, les chefs d’Etats ne sont pas des citoyens lambda. Lorsque le Président Hollande ou la Chancelière Merkel sont mis sur écoute, toute la France et l’Allemagne ne sont pas visées. Par ailleurs, il est tout aussi maladroit de comparer les programmes de surveillance américains, qui visent un nombre beaucoup plus important d’individus à travers le monde - que ce soit via internet ou via les conversations téléphoniques - à ceux mis en place par des régimes totalitaires. Peu importe la quantité d’information collectée, la différence fondamentale entre une démocratie et un régime totalitaire est l’usage qui est fait des informations qui ont été recueillies.

Or, les Etats-Unis n’écoutent pas les conversations des citoyens français ou européens afin de leur interdire de penser différemment ou même de critiquer la toute-puissance américaine. En réalité, la plupart des informations recueillies par la NSA sont tout simplement écartées. Il est communément admis que la NSA s’intéresse à moins de 2% de l’information qu’elle recueille. Des procédures de sélection permettent ainsi aux services spécialisés dans la collecte de renseignement d’origine électromagnétique (une partie desquels est constituée de communications et donc potentiellement de nos texto et autres conversations) de se concentrer sur des informations jugées essentielles pour la sécurité nationale, c’est-à-dire ces informations qui contribueront à informer utilement les responsables politiques. On peut spéculer, sans trop prendre de risque, que nos conversations de tous les jours ne font pas partie de ces 2%. Mais celles de terroristes, ou autres criminels avérés ou suspectés, mais aussi celles de nos chefs d’Etat en font partie puisqu’elles sont à même d’informer les décideurs politiques en charge de la sécurité nationale.

Une opinion de Damien Van Puyvelde, Docteur en Politique Internationale, et Visiting Assistant Professor au sein du programme d’études du renseignement et de la sécurité nationale, à l’Université du Texas à El Paso

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