Mgr Léonard, une Église désavouée

Ce n’est pas un hasard si l’archevêque de Malines-Bruxelles ne fait pas partie des candidats cardinaux. Ses divergences avec le pape François ne se limitent pas à la morale. Opinion.

Une opinion de Louis Mathoux
Mgr Léonard, une Église désavouée

Une opinion de Louis Mathoux, historien et journaliste, secrétaire général des Scriptores christiani.

Cela faisait plusieurs mois que les spéculations allaient bon train sur les noms des heureux élus qui feraient partie de la première "fournée" de prélats appelés à la pourpre cardinalice par le pape François. Longtemps entretenu, le suspense a finalement été levé ce dimanche 12 janvier avec la liste de 19 nouveaux "princes de l’Eglise" dévoilée au balcon de Saint-Pierre par le souverain pontife. Et la surprise (?) a été de taille pour un certain nombre d’observateurs belges : Mgr André-Joseph Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles et primat de Belgique depuis 2010, ne fait pas partie des candidats retenus.

Interrogé le jour même par les journalistes de la RTBF, le père Tommy Scholtès, porte-parole de la Conférence épiscopale de Belgique, se faisait aussitôt un devoir de voler au secours de son "patron". Et d’expliquer qu’il ne s’agissait là que d’un simple "rééquilibrage géographique" (sic), le premier pape américain de l’histoire ayant choisi de privilégier les "dynamiques" contrées d’évangélisation que constituent actuellement l’Afrique et l’Amérique du Sud, au détriment d’une vieille nation catholique comme la Belgique, soumise depuis plusieurs décennies à un processus de déchristianisation qui paraît irréversible.

Monseigneur Léonard et le "Panzerkardinal"

Libre aux partisans des explications simplistes d’adhérer à une telle lecture de la récente décision pontificale. Pour les esprits mieux (in) formés, la vérité paraîtra quelque peu différente. Il n’est en effet un secret pour personne que peu d’affinités existent entre le primat de Belgique et l’actuel pasteur de l’Eglise universelle. Tout comme les similitudes de fond ou de forme ne sont pas légion entre l’actuel pape argentin et le "Panzerkardinal" pour le moins conservateur qui l’a précédé sur le trône de Saint-Pierre. Or l’on sait à quel point Mgr André-Joseph Léonard était proche de ce dernier… et en attendait dès lors la récompense de sa fidélité.

Ce n’est sans doute pas un hasard si l’annonce de la non-accession de l’archevêque de Malines-Bruxelles au port de la barrette rouge est intervenue le jour même où le pape François, peu avare de décisions novatrices depuis le début de son pontificat, posait deux nouveaux actes révélateurs de sa volonté de changement, à savoir le baptême de l’enfant d’un couple civilement marié d’une part, et celui du fils d’une mère célibataire d’autre part. Deux gestes a priori peu compatibles avec la rigidité éthique à laquelle nous a habitué le primat de Belgique depuis que le grand public a appris à le connaître par plateaux de télé interposés…

Rigidité éthique, certes. Mais entre l’archevêque de Malines-Bruxelles et le successeur de Pierre, les divergences se limitent-elles au domaine de la morale, ou recouvrent-elles au contraire des différences nettement plus fondamentales - et donc inconciliables - dans le domaine des conceptions ecclésiologiques ? Pour qui s’avère un tant soit peu familier des discours et écrits d’André-Joseph Léonard, il paraît évident que poser une telle question revient à y répondre.

Le principe de sexuation

En effet, la seule lecture des œuvres de l’ex-futur cardinal belge laisse transparaître une conception de l’Eglise profondément marquée par le principe de sexuation. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de la part d’un prélat dont le psychisme semble profondément imprégné d’assexualité, et qui ne posséderait par conséquent de la dimension sexuelle de l’existence qu’une connaissance purement théorique et désincarnée. Mais venons-en à la vision pour le moins fantasmatique qu’entretient de la communauté ecclésiale l’actuel chef des catholiques belges.

Pour Mgr Léonard, loin de constituer l’assemblée universelle des disciples - hommes et femmes - de Jésus-Christ, l’Eglise s’apparente plutôt à un concept théologique qu’il définit comme étant "l’épouse du Christ". Cette expression est littéralement martelée de façon obsessionnelle au fil de ses écrits et de ses sermons. Le philosophe-théologien croit devoir en déduire la nature intrinsèquement "féminine" de la vénérable institution romaine, Jésus incarnant par conséquent, non le Dieu qui s’humanise, mais plutôt le principe masculin du monde. "Epoux de l’humanité" (sic), ce dernier se révélerait être également, par association d’idées, "époux de l’Eglise". Pareille conception du réel repose, on l’aura deviné, sur une dichotomie masculin-féminin qui fonde tant la vision du cosmos que les rapports entre la créature et son principe originel.

L’analyste pourrait a priori ne voir là qu’une simple construction théorique émanant d’un penseur certes brillant, mais néanmoins déconnecté des réalités concrètes de l’existence. Toutefois cette vision "sexuée" de l’Eglise s’avère en réalité beaucoup moins innocente qu’il n’y paraît au premier abord. Car elle sert de justification intellectuelle à la perpétuation de traditions aussi rigides qu’ouvertement patriarcales. Ainsi le prêtre, symbolisant le Christ marié à l’humanité, constituerait l’Epoux par procuration de la communauté ecclésiale - d’où l’interdiction qui lui est faite de se marier sous peine de se montrer infidèle à son "épouse" naturelle. Plus grave : le prêtre représentant un Sauveur intrinsèquement masculin ne saurait en aucune matière être incarné par une personne de l’autre sexe, ce qui entraîne de facto l’exclusion des femmes de la fonction presbytérale.

Un obstacle aux réformes

Nombre d’observateurs jugeront sans doute cette construction intellectuelle plus proche de l’élucubration théologique abstraite que d’une saine approche de la réalité ecclésiale. D’autres verront probablement dans l’antagonisme masculin-féminin qui la sous-tend une forme de dualisme inconciliable tant avec l’unité de la communauté catholique qu’avec l’unicité de Dieu. Ce qui s’avère en tout cas incontestable, c’est que cette conception d’une Eglise "sexuée" constitue un obstacle théorique de poids aux réformes que le pape François entend apporter au fonctionnement de la vieille institution romaine - que ce soit dans l’abandon progressif du célibat obligatoire des prêtres, ou peut-être demain, dans l’ordination de femmes…

Gageons dès lors qu’en écartant André-Joseph Léonard de l’accession à la pourpre cardinalice, le pape François a moins songé à favoriser un quelconque "rééquilibrage Nord-Sud" qu’à exprimer son désaveu vis-à-vis d’une conception de l’Eglise marquée au coin d’un conservatisme dépassé. Et qu’en prenant cette décision, il a à nouveau posé un geste prophétique en faveur d’une institution ecclésiale plus ouverte sur le monde et enfin réconciliée avec la modernité…


Louis MATHOUX
Historien&journaliste
Secrétaire général des Scriptores christiani Auteur du livre "Monseigneur Léonard. Entretiens avec Louis Mathoux" (Ed. Mols, 2006)

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