Quand la Nasa joue les Nostradamus
L’agence gouvernementale américaine se trompe et trompe les autres. Les ressources naturelles ne sont pas limitées. C’est leur accès qui l’est : il dépend du stade de développement technologique. Une opinion de Corentin de Salle, juriste et docteur en philosophie.
Publié le 25-03-2014 à 15h31 - Mis à jour le 26-03-2014 à 13h18
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L’agence gouvernementale américaine se trompe et trompe les autres. Les ressources naturelles ne sont pas limitées. C’est leur accès qui l’est : il dépend du stade de développement technologique. Une opinion de Corentin de Salle, juriste et docteur en philosophie.
Le Centre des vols spatiaux Goddard de la NASA vient de publier un rapport qui prédit « l’effondrement irréversible de la civilisation industrielle » d’ici une quinzaine d’années en raison de l’épuisement des ressources et de l’injuste répartition des richesses. La preuve ? Ils ont fait tourner un logiciel. D’ailleurs, poursuivent-ils, les Mayas et les Mésopotamiens ont également disparus alors que - pauvres fous - ils se pensaient indestructibles.
En soi, cette funeste prédiction est aussi vieille que la civilisation industrielle et les annonces de ce type ne font même plus hausser les épaules en raison de leur démenti systématique par l’histoire de ces trois derniers siècles. Il est pour le moins étonnant que cette agence, qui a propulsé l’humanité aux cimes du progrès technologique, mette à mal sa crédibilité scientifique en nous infligeant des analyses malthusiennes de bas étage. Il est triste de voir écorné un tel capital de légitimité par les spéculations fantaisistes d’une poignée de chercheurs. Il y a au moins trois raisons de douter de la crédibilité de ces prédictions.
Premièrement, ces chercheurs sortent allègrement de leur champ de compétence. Des spécialistes de vols spatiaux qui s’aventurent sur le terrain des prédictions économiques et politiques avec toute l’arrogance déterministe de scientifiques qui établissent des lois naturelles, c’est un peu près aussi grotesque qu’un économiste ou un politologue qui prétendrait énoncer des lois définitives en astrophysique. Il y a quelques années, la NASA avait publié une étude farfelues formulant diverses hypothèses sur le probable refus des extra-terrestres de communiquer avec nous. Curieuse démarche mais, du moins, on restait dans les étoiles. Plus ici.
Deuxièmement, ces chercheurs ne respectent pas la méthodologie dont ils se réclament. Ils se revendiquent des enseignements de l’histoire. Or, que nous dit l’histoire des ressources ? Qu’un accroissement de la population et un plus haut standard de vie génèrent- il est vrai - des pénuries dans le présent et dans le futur proche. Dès lors, les prix augmentent mais cette augmentation des prix attire les entrepreneurs à la recherche du profit et des inventeurs désireux de trouver de nouveaux moyens pour satisfaire les besoins (de nouveaux procédés d’exploitation, un meilleur rendement énergétique, une source de substitution, etc.). Après de multiples échecs, des solutions sont toujours trouvées dans une société libre. Finalement, le prix de la ressource menacée s’abaisse et la résolution du problème nous place dans une situation meilleure que celle qui prévalait avant la survenance du problème.
L’erreur de la NASA est typique. Les quelques ingénieurs qui se livrent à de pareilles estimations procèdent en l’occurrence comme le font des experts-comptables, c’est-à-dire qu’ils commettent une faute de raisonnement déjà dénoncée il y a trente ans par l’économiste Julian Simon qui, sur la question de l’estimation des ressources, confrontait deux modes de raisonnements archétypaux : celui de « l’ingénieur » et celui de « l’économiste ». A l’instar des ingénieurs du MIT, auteurs du rapport au Club de Rome en 1972, les ingénieurs de la NASA considèrent les ressources comme un stock fini qui s’épuise avec le temps. Ils en dressent l’inventaire et divisent ce stock par la quantité consommée chaque année pour obtenir ainsi le nombre d’années de réserves. Résultat ? Les estimations alarmistes de ce genre s’avèrent invariablement fausses. Ainsi, depuis le début du siècle passé, avant même l’invention du concept de « pic pétrolier », l’épuisement des ressources pétrolières est toujours annoncé comme devant inéluctablement survenir dans les 10 à 40 années ultérieures. L’ingénieur « expert-comptable » voit les stocks comme une baignoire remplie d’eau dont il mesure le niveau et dans laquelle les gens viennent puiser. Quand il revient, il ne comprend généralement pas pourquoi le niveau est resté le même ou a augmenté. Mais, il continuera imperturbablement à affirmer que la quantité d’eau est limitée. Précisons que cette confusion n’est pas généralisée chez les ingénieurs mais concerne seulement ceux qui rédigent ce genre d’études.
A contrario, l’économiste, lui, se renseigne correctement sur la production de ressources dans le temps (il remonte aussi loin en arrière qu’il dispose de données connues et fiables) et identifie la tendance passée comme étant représentative du futur, S’il n’y a pas de raison d’estimer que le futur sera différent du passé et s’il dispose d’une explication solide de la tendance (ou même s’il ne dispose pas d’explication solide mais que la tendance est écrasante), il projette cette dernière dans le futur. Il se dira que si la baignoire ne se vide pas, c’est qu’il y a une raison : peut-être parce qu’il y a des tuyaux d’arrivée d’eau ou alors parce qu’on y verse de l’eau recyclée ou encore que quelqu’un a trouvé un procédé pour fabriquer de l’eau, etc.
Ainsi, dans son rapport de 2009 (p.393), l’Agence Internationale de l’Energie estimait que nous disposions encore d’un stock mondial de gaz pour 58 ans. Dans son rapport de 2013 (World Energy Outlook 2013, p.107), elle évalue désormais ce stock à…235 ans !! C’est que la révolution du gaz de schiste - que personne n’avait prévue - a éclaté dans l’entre-temps. L’expert-comptable, qui s’est borné à compter le nombre de pots de confiture dans le placard, ne l’a pas vue venir. Réserves et ressources font partie d’un système dynamique et ne peuvent être inventoriées. Les découvertes, l’exploitation de nouvelles sources d’énergie, les progrès scientifiques et innovations technologiques (nouveaux procédés d’extraction, nouveaux modes de raffinage, nouvelles générations de réacteur nucléaire, etc.), l’augmentation de l’efficience énergétique, les exigences commerciales de l’économie, la variation des prix, etc. agissent constamment sur l’importance des réserves et des ressources.
Mais, dira-t-on, les ressources finiront bien par s’épuiser un jour ? Le pétrole, par exemple, n’est-il pas condamné à disparaître ? Non. Certes, le pétrole d’origine fossile est en quantité limitée mais on peut fabriquer un produit similaire assurant les mêmes fonctions. Imaginons qu’on ait exploité tous les gisements jusqu’à la dernière goutte : on peut encore convertir du charbon en pétrole. On peut aussi en produire indéfiniment à partir de plantes ou de micro-algues (biocarburants), etc. En soi, ce n’est pas très intéressant (la première génération est même écologiquement nocive) mais c’est possible. On préférera se tourner vers des substituts meilleur marché. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que les ressources naturelles ne sont pas limitées. C’est leur accès qui l’est : il dépend du stade de développement technologique. La période où l’homme a connu la pire situation de pénurie, c’est la préhistoire.
Troisième reproche à formuler contre ce rapport : non contents de s’égarer et d’égarer les autres, ces experts de la NASA sortent du champ même du savoir pour pénétrer dans celui de la politique et -abusant de leur crédibilité scientifique-formulent des recommandations politiques désastreuses (stopper la croissance, distribuer les ressources selon des méthodes collectivistes, etc.) qui, si on devait les appliquer, conduiraient effectivement à créer cette pénurie contre laquelle ils mettent en garde. C’est, en définitive, l’histoire d’Œdipe : c’est précisément parce qu’Œdipe fut écarté à la naissance par ses parents horrifiés par la prophétie monstrueuse que s’enclencha la chaîne d’évènements qui le conduisirent à assassiner son père et à épouser sa mère.