Evitons de renforcer l’axe Moscou-Pekin
Une opinion de Thomas Renard, chercheur à l’Institut Egmont et membre du Groupe du vendredi.
- Publié le 27-03-2014 à 18h11
- Mis à jour le 28-03-2014 à 14h49
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Il y a de l’eau dans le gaz entre la Russie et l’Europe. Alors que Moscou finalise les formalités de l’annexion de la Crimée, aux dépens de l’Ukraine et à l’encontre du droit international, les Européens répondent par de nouvelles mesures coercitives en représailles. Dans un premier temps, ces mesures se limitaient essentiellement à des sanctions économiques contre l’entourage du président Vladimir Poutine. Désormais, les Européens veulent aller plus loin. Ils entendent se libérer de leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
Réunis à Bruxelles la semaine dernière, les chefs d’Etat européens ont annoncé qu’ils envisagent diverses solutions pour diminuer leurs importations de gaz et de pétrole russes dans les prochaines années. Un tiers des importations de gaz et de pétrole de l’Union européenne provient en effet de la Russie. Cette dépendance atteint même les 100 % dans certains pays, dont les Etats baltes. La main de Moscou sur les robinets des pipelines vers l’Europe, est une menace constante. Surtout lorsque les relations politiques se tendent, comme aujourd’hui autour du dossier ukrainien.
Par le passé, le Kremlin n’a pas hésité à utiliser l’"arme énergétique" à des fins politiques, en jouant sur les prix et les flux de ses exportations de ressources naturelles. L’objectif du plan européen est donc de mettre l’économie européenne à l’abri des pressions politico-énergétiques exercées par Moscou, d’une part, mais aussi de toucher la principale source de revenus de l’économie russe d’autre part. Et donc, de sanctionner et d’affaiblir le régime de Poutine.
La démarche européenne est légitime au vu des tensions actuelles. Plus fondamentalement, les Européens ont accumulé les frustrations suite au manque de progrès dans leurs relations avec Moscou depuis deux décennies. La Russie a toujours été perçue davantage comme un défi géostratégique que comme un partenaire stratégique. Mais il y avait néanmoins cet espoir que l’ancien empire soviétique puisse se moderniser progressivement, et qu’il finisse par s’intégrer complètement dans les structures internationales, institutionnelles et légales. Cet espoir semble aujourd’hui abandonné.
Pour légitime qu’il soit, le plan européen de diversification de ses importations énergétiques contient un certain nombre de faiblesses, voire de contradictions. Tout d’abord, aucune des alternatives aux ressources russes n’est particulièrement satisfaisante. L’approvisionnement en gaz, par exemple, pourrait provenir d’Algérie, du Qatar, du Nigéria, ou d’une combinaison des trois. Notons tout de même que, à bien des égards, ces pays ne sont pas beaucoup plus fréquentables que la Russie. En outre, ce gaz coûterait plus cher et donc aurait un impact négatif sur une économie européenne déjà affaiblie. Quant aux ressources intra-européennes disponibles (gaz de schiste et charbon, notamment), elles présentent un prix écologique difficilement conciliable avec les objectifs climatiques fixés par Bruxelles.
Deuxièmement, si les Européens dépendent des Russes, l’inverse est également vrai. Près de 80 % des exportations de gaz et de pétrole russes est destiné au marché européen. Une diminution de la demande européenne aurait donc un impact énorme sur l’économie russe mais, paradoxalement, cela pousserait la Russie à réorienter totalement ou partiellement ses pipelines en direction de l’Orient, vers le marché asiatique. Un projet de longue date, complexe, mais jamais réalisé faute d’argent et de volonté politique. Tout pourrait désormais changer.
La Chine en tête, suivie par d’autres économies asiatiques énergivores, convoite les richesses naturelles du voisin russe. La Russie a déjà investi massivement en Sibérie, dans l’est du pays, alors que les Chinois ont acquis des droits sur les projets pétrolifères russes dans l’Arctique. Au mois de mai, lorsque Poutine se rendra à Pékin pour une visite officielle, les deux pays pourraient signer un contrat énergétique majeur. Dans leur volonté de sanctionner la Russie, les Européens risquent de renforcer durablement l’axe Moscou-Pékin. Cet axe, aujourd’hui encore fragile, pourrait bien devenir un formidable contrepoids à l’alliance transatlantique.
Troisièmement, le lien énergétique entre la Russie et l’Europe a toujours été garant d’une certaine stabilité régionale. En relations internationales, une profonde interdépendance économique entre pays diminue significativement le risque de conflit, parce que les deux parties auraient trop à y perdre. En d’autres temps, l’annexion de la Crimée aurait suffi à déclencher une guerre. Aujourd’hui la diplomatie prévaut, même si elle devient coercitive. Demain, si le réseau gazier entre la Russie et l’Europe était démantelé, pourrait-on encore empêcher une escalade inévitable ?
La crise ukrainienne pousse les Européens à repenser leur politique extérieure, et plus particulièrement leur contribution à la sécurité régionale. D’un côté, le partenariat transatlantique sort renforcé de cette crise, comme le confirme la visite de Barack Obama à Bruxelles. D’un autre côté, les relations avec la Russie doivent inévitablement être revues, mais de préférence sans perdre le contact. La Russie reste un partenaire indispensable dans nombre de dossiers internationaux. Il faut également veiller à ne pas créer un nouvel axe Moscou-Pékin, hostile aux intérêts européens. La visite du président chinois Xi Jinping à Bruxelles, dans quelques jours, offrira l’opportunité de s’assurer que cela n’arrive pas.
(1) Titre et sous-titre sont de la rédaction