Et la recherche… bordel ?

Le décret Marcourt va réorganiser le paysage de l’enseignement supérieur francophone. La recherche pourrait en souffrir si le marché du travail n’accueille pas les profils précédemment absorbés par les universités. Une opinion de Jacques Wels, sociologue à l’ULB.

Contribution externe
Et la recherche… bordel ?
©Johanna de Tessières

Une opinion de Jacques Wels, sociologue à l’ULB.

Le décret Marcourt va réorganiser le paysage de l’enseignement supérieur francophone. La recherche pourrait en souffrir si le marché du travail n’accueille pas les profils précédemment absorbés par les universités.

Le paysage de l’enseignement supérieur belge francophone va se transformer dès cette année, notamment avec la mise en place de la réforme Marcourt. Mais si les modalités d’enseignement changent sur certains points essentiels (abaissement de la moyenne de réussite, possibilité d’anticiper des cours, etc.), c’est, de manière plus tamisée, le paysage de la recherche scientifique qui tend à se modifier. De façon plus ténue, les collaborations entre universités (nationales ou internationales) et entre écoles supérieures, appelées des vœux du Ministre, ont pour vocation, dans un avenir proche, de développer de réels pôles de recherche et, dans le même temps, feront croître le nombre de chercheurs et de porteurs de thèses. C’est une bonne chose à l’unique condition que la société se prépare à accueillir sur le marché du travail des profils qui, jusqu’alors, étaient absorbés par les universités.

A titre indicatif, le nombre de porteurs d’un diplôme de troisième cycle a largement augmenté ces dernières années. En 1996, le Conseil des Recteurs francophones recensait 557 doctorants avec thèse (24 % de femmes) dans les universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En 2010, ce total atteignait 4466 (43 % de femmes) (lien). Le nombre de docteurs a donc été multiplié par huit en 14 ans. Dans le même temps, le nombre d’étudiants inscrits en premier cycle à l’université a été multiplié par 6,8. Il est donc assez évident que le nombre de docteurs a augmenté de façon plus importante que le nombre d’étudiants.

On a par ailleurs assisté au cours de la période à une internationalisation de la recherche. Aujourd’hui, pour travailler en tant que professeur dans une université francophone, il est clairement demandé aux chercheurs de prendre part à des activités de recherches menées dans un cadre international voire, dans le meilleur des cas, d’effectuer une partie de son cursus à l’étranger. Une telle injonction pose trois problèmes. D’une part, en l’état actuel des choses, les moyens sont insuffisants pour permettre de tels déplacements, qui s’effectuent parfois sur fonds propres. D’autre part, ce type de perspective tend progressivement à harmoniser les sujets de recherche, mettant à l’écart des profils plus atypiques, indispensables pour l’invention scientifique et la qualité de l’enseignement. Enfin, il est nécessaire dans un tel contexte de voir les chercheurs investir l’échelon local ou régional : celui-ci n’est actuellement pas valorisé à la même hauteur.

Devant un tel constat, deux solutions s’imposent : la première est institutionnelle, la seconde est politique. Premièrement, il convient de repenser les carrières à l’université à la lumière de cette nouvelle configuration. Dans un contexte d’inflation du nombre de docteurs et de stabilisation du nombre de postes définitifs à pourvoir, il est nécessaire de combattre au sein même des universités une concurrence exacerbée - et déloyale - entre les chercheurs, qui ne bénéficie ni aux étudiants, ni aux universités, ni aux chercheurs eux-mêmes. Une précarité croissante des statuts s’installe qui, à terme, nuira au rayonnement des universités.

Deuxièmement, alors même que les entités du pays font face à des restrictions budgétaires, l’investissement dans la recherche et dans l’enseignement doit être une prérogative. En juin dernier, les recteurs des universités francophones ont ardemment demandé aux autorités compétentes une augmentation des budgets destinés à l’enseignement. Il va sans dire que recherche et enseignement - dans les universités et, bientôt, dans les hautes écoles - sont intrinsèquement liés. Cette augmentation n’est pas seulement nécessaire, elle est indispensable pour favoriser et promouvoir la qualité et l’innovation. Elle viendrait répondre à un impératif d’encadrement des étudiants en même temps qu’à un impératif de création de postes non temporaires destinés aux nouveaux docteurs. Les laisser fuir à l’étranger ou gaspiller leurs talents dans des emplois non adaptés serait une grave erreur qui ne bénéficierait ni à l’économie belge ni au bon fonctionnement de la société civile.

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