Özdemir, Kir & Co : l’échec de l’intégration pose la question de la double nationalité

Au premier abord, ils sont des modèles d'intégration, mais entre le pays d'origine et le pays qu'on représente, parfois il faut choisir. Une opinion d'Alain Destexhe, sénateur MR.

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Özdemir, Kir & Co : l’échec de l’intégration pose la question de la double nationalité
©Montage LaLibre

Une opinion d'Alain Destexhe, sénateur MR et co-auteur de la résolution du Sénat belge sur la reconnaissance du génocide arménien (1998).

La récente polémique autour d’Emir Kir et de Mahinur Özdemir dans le cadre de la reconnaissance du génocide des Arméniens pose la question de la double nationalité dont ils bénéficient.

Au premier abord, nos deux élus sont des exemples parfaits d’intégration réussie et même de « sucess stories ». Tous deux nés en Belgique, issus donc de la seconde génération d’immigrés, ils y ont grandi, étudié et s’expriment parfaitement en français. Dans le très compétitif monde politique, ils ont réussi l’un à devenir ministre et premier bourgmestre d’origine étrangère de Bruxelles et l’autre députée bruxelloise. J’ajouterais qu’Emir Kir a aussi le profil du gendre idéal, toujours très poli, bien élevé et affable.

Au premier abord, un modèle d’intégration…

Au premier abord donc, un beau parcours et un modèle pour tous nos compatriotes "d’origine allochtone", cette expression que la ministre Milquet voudrait bannir du discours public. Sauf que l’intégration, la participation politique, l’appartenance à une communauté c’est aussi l’adhésion à des valeurs communes, c’est-à-dire à un ensemble de concepts, de coutumes, de modes de vie que les habitants partagent et à travers lesquels ils se reconnaissent. C’est ce qui fait que nous sommes plus proches d’un autre Belge que d’un Néerlandais ou d’un Français, a fortiori d’un Turc ou d’un Chinois.

Pour des raisons liées à la mémoire de la Shoah et sans doute aussi au génocide plus récent des Tutsis au Rwanda, les Belges (ou l’immense majorité d’entre eux) admettent que les massacres perpétrés contre les Arméniens constituent un génocide. Les Turcs (ou l’immense majorité d’entre eux) ne l’acceptent pas.

..mais entre le pays d’origine et le pays qu’on représente, parfois il faut choisir.

Entre ces deux points de vue, celui de leur pays d’origine dans lequel ils n’ont pourtant jamais vécu et celui de leur pays de naissance et d’adoption, à savoir celui dans lequel ils ont été éduqués et formés intellectuellement et qui leur a permis d’accéder à de hautes fonctions politiques, Emir Kir et Mahinur Özdemir ont tranché. Par ce choix, ils ont montré qu’ils se sentent davantage turcs que belges et pour moi, et des millions de Belges, c’est inacceptable. Et non, monsieur Magnette, il n’y a rien de choquant à mettre la pression sur les élus d'origine étrangère car il s’agit précisément de savoir si on peut les considérer comme les autres sans les soupçonner de faire le jeu d’un autre pays.

La dérive islamiste et autoritaire de la Turquie

La plupart de ceux qui suivent la politique turque s’inquiètent de la dérive islamiste et autoritaire du régime du Président Erdogan. Depuis qu’il est parvenu au pouvoir, ce dernier a progressivement jeté aux orties le brillant héritage laïc de Mustafa Kemal Atatürk. Les islamistes ont été encouragés dans tous les secteurs de la vie publique et privée. En Syrie, Erdogan a soutenu des djihadistes contre le régime du Président Assad.

En matière de liberté, la Turquie est le pays au monde qui compte le plus de journalistes emprisonnés. Reporters sans frontières la classe 149ème sur 180 pour la liberté d’expression. Pas moins de 105 personnes ont été inculpées pour insultes au chef de l’Etat ! Ce week-end encore, le quotidien Cumhuriyet qui révélait la livraison d’armes destinées aux rebelles syriens a été accusé de « terrorisme ».

En théorie, on attendrait d’élus belges d’origine turque qu'ils soient les premiers à dénoncer ces dérives. Ne sont-ils pas les mieux placés pour regretter cette évolution et pour mettre en garde nos compatriotes belgo-turcs contre l’influence des idées d'Erdogan dans la communauté turque de Belgique ? Et pour les faire pencher du côté de la défense des libertés et, sinon de la laïcité, de la neutralité de l’Etat ?

En pratique, c’est l’inverse qui se produit. Une grande partie des Turcs de Belgique sont influencés par les idées d’Erdogan. Mahinur Özdemir, mariée à un proche du président turc (qui était présent à leur mariage) est devenue la championne du double discours, l’un à usage des Turcs (son compte Twitter en turc comptait 27 000 abonnés contre seulement 1 200 en français) et l’autre vis-à-vis des médias belges où elle met en avant ses questions parlementaires sur…la STIB ! Quant à Emir Kir, pourtant socialiste et probablement bien plus proche de l’héritage d’Atatürk que d’un parti islamiste mais très libéral en économie comme l’AKP d’Erdogan, il se tait … dans toutes les langues pour éviter de déplaire à son électorat, lui aussi sensible au charme d’Erdogan.

Récemment, ce dernier a réussi à rassembler 14 000 personnes pour un meeting électoral à … Hasselt. Le plus grand meeting d’un parti belge au cours des 20 dernières années en a réuni 4 000 (la N-VA à Anvers). Ces Belgo-Turcs venus applaudir Erdogan peuvent-ils, aussi, adhérer aux valeurs des Belges et de la Belgique ? Probablement pas.

90% des mariages entre Turcs

La majorité des Turcs de la troisième génération de migrants, ceux dont les grands parents sont venus chez nous s’identifient encore davantage à la Turquie qu’à la Belgique ! Un jeune Belgo-Turc sur trois n’a aucun ami non-turc. Selon la Fondation Roi Baudouin, 90% des mariages se font dans le même groupe ethnique. Les Belgo-Turcs soutiennent les équipes turques de football plutôt que les belges. L’adhésion aux valeurs d’un pays se joue aussi au niveau des symboles et de l’émotionnel.

Plus inquiétant, alors que le voile n’avait jamais été porté par les femmes turques en Belgique (et était absent des grandes villes turques), elles sont désormais 37% à s’en vêtir et, parmi elles, 88% « tout le temps », même sur leur lieu de travail. 80% des Turcs belges vont à la mosquée et 50% ont vu leur foi se fortifier au cours des dix dernières années (10% affaiblies). On le voit, la communauté turque de Belgique suit plutôt le sens de l’évolution de la Turquie que celui d’une Belgique de plus en plus sécularisée et fréquentant de moins en moins les lieux de culte.

Dans ces conditions, on comprend que madame Özdemir, monsieur Kir et d’autres qui ont bâti leur carrière politique sur le communautarisme cherchent à coller à leur groupe d’origine. Mais si la Turquie des héritiers d’Atatürk pouvait faire pencher la balance vers des valeurs partagées avec les Européens, ce n’est plus le cas de la Turquie d’aujourd’hui. Entre la Turquie d’Erdogan et la Belgique, il faut choisir. La polémique autour du génocide des Arméniens n’est qu’un des aspects de ce conflit d’allégeance. Dans le cas turc, et sans doute dans d’autres, la double nationalité nuit à l’intégration. A l’avenir, il faut y renoncer.

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