"Le resto est vide depuis le premier jour du piétonnier"
"Très vite, la réalité bruxelloise nous rattrape. On repasse devant ces cafés et ces commerces vides. Même la célèbre "rue des pittas" fait la gueule. Bon Dieu Bruxelles que t’arrive-t-il ? Réveille-toi !" Une opinion de Philippe Limbourg, Directeur de GaultMillau Benelux
Publié le 08-04-2016 à 08h40 - Mis à jour le 09-04-2016 à 10h26
Une opinion de Philippe Limbourg, Directeur de GaultMillau Benelux
Ce soir, j’ai mal à ma Bruxelles.
Ce midi, entre deux rendez-vous "à la capitale", je profitai d’un "petit creux" pour emmener ma ch'tite maman manger un bout chez Cécila. Piétonnier oblige, on ne se gare plus facilement "en bas" de ce quartier de la Grand-Place. On se rabat donc sur l’une des rares places du parking éponyme. On traverse alors une place fort calme, jette un regard inquiet vers une Galerie de la Reine qui a, elle, décidément bien peu de courtisans, pour arriver sur la plus belle place du monde. Dieu qu’elle semble, souffrir. Quelques badauds, un vent qui s’excuse de souffler sur des murs froids, et là, immobiles, deux calèches et leurs chevaux qui semblent momifiés, attendant le touriste ou le badaud désireux de partir à la découverte des ruelles exquises et des monuments eux aussi, encore debout ! Car oui, même malade, elle sourit cette belle place et se dresse fièrement. N’est-ce pas là finalement l’exemple qu’il nous faut suivre nous, les plus braves de tous les peuples de la Gaule? Nous qui, sous le poids de l’onde de choc qui nous a soufflés, avons courbé l’échine certes, mais n‘avons mis un genou en terre que pour embrasser et rassurer nos enfants avant de nous redresser pour faire face. Car oui, debout et unis nous resterons !
Ragaillardi par cet élan de patriotisme et d’énergie insufflés par un Hôtel de ville nettement plus fringuant que ses occupants, je me dirige donc plein d’entrain vers le restaurant de la rue des chapeliers. En route, je suis à nouveau empreint d’inquiétude : ce ne sont que commerces fermés, bars et restaurants vides. Je ne peux y croire et me dis qu’en arrivant chez Cécila, chez elle au moins, j’y croiserai l’une ou l’autre tête de gastronome ou bon vivant connu. Car la jeune et jolie chef Mélanie sait y faire lorsqu’on lui laisse la bride au cou. Seul hic, une fois la porte poussée…un resto quasi vide. Mais où sont donc tous ces clients heureux et souriants que j’ai toujours croisés ici, avides de découvrir les envois de la chef qui m’accueille aujourd’hui, certes le sourire aux lèvres, mais le mors aux dents en voyant mon regard désemparé devant une salle si peu remplie : "c’est comme ça depuis le premier jour du piétonnier. Et avec les attentats, cela n’a rien arrangé. Plus de parking ou pas assez, embouteillages, les gens ne viennent plus. Même mon client qui venait jusqu’à 3 fois par semaine pour son lunch n’est plus venu depuis…" J’en aurais pleuré avec elle.
Heureusement, c’est une battante…Et moi, les émotions, ça creuse… On s’est donc ensuite installés près d’elle, au bord de sa cuisine ouverte. Et puis on a profité… Régalés que nous étions d’envois justes, précis, surprenants. Le sourire de Maman en disait long. Celui satisfait de Mélanie aussi. Avec deux femmes heureuses, j’avais un peu retrouvé le sourire. Et il y avait de quoi ; cappuccino de bouillabaisse, barbue et son émulsion citronnée avec une pointe de wasabi, tartare de couteau et effiloché d’agneau encanaillés d’un comté 36 mois avant un Grondin de la mer du Nord et sa sauce à l’ail des ours. Je vous passe les desserts, vous m’en voudriez à mort. Heureux, ravis, on remercie la belle pour cet instant de grâce et l’on ressort de cet écrin de vie au milieu d’une ruelle morte non sans se dire que cette pétillante bonne femme est bien l’une des chefs montantes de la capitale (si elle y reste…) et qu’on a eu la chance se poser là, au calme, pour un moment hors du temps.
Mais, très vite, voici que la réalité nous rattrape. On repasse devant ces cafés et ces commerces vides. Même la célèbre "rue des pittas" fait la gueule. Bon Dieu Bruxelles que t’arrive-t-il ? Réveille-toi ! Car même vide, tu restes belle. Moi en tous les cas, je crois en toi. Oui Bruxelles, je t’en prie, redeviens ma belle. Car comme dans la chanson de Dick Annegarn, tu sembles abrutie mais ici, ton ennui... m’ennuie. Alors, de grâce, ne pars pas ! Pas toi, à la dérive.
Car moi je t’attends.
Alors… arrive!