Le plaisir des mathématiques

Mardi en huit se tiendra le colloque Dédra-Math-Isons. Quatre pistes pour relier les mathématiques aux autres sciences et les ancrer dans l’humain, dans le quotidien, dans la culture, dans la vie. Une opinion de Luc de Brabandere, maître de conférences à l'UCL.

Contribution externe
Le plaisir des mathématiques

Mardi en huit se tiendra le colloque Dédra-Math-Isons. Quatre pistes pour relier les mathématiques aux autres sciences et les ancrer dans l’humain, dans le quotidien, dans la culture, dans la vie.

Une opinion de Luc de Brabandere, maître de conférences à l'UCL, auteur de "Petite philosophie des mathématiques vagabondes" (Ed. Eyrolles).

Mardi en huit se tiendra le colloque Dédra-Math-Isons. Quatre pistes pour relier les mathématiques aux autres sciences et les ancrer dans l’humain, dans le quotidien, dans la culture, dans la vie. Victor Hugo n’avait pas gardé un trop bon souvenir de ses humanités gréco-latines. Dans "A propos d’Horace", il crie même sa colère contre ses professeurs de langues anciennes :

"Marchands de grec ! Marchands de latin ! Cuistres ! Dogues

Philistins ! Magisters !, je vous hais, pédagogues !"

Son professeur d’algèbre ne lui laissa apparemment pas un meilleur souvenir :

"On me tordait, depuis les ailes jusqu’au bec

Sur l’affreux chevalet des X et des Y."

Victor Hugo était un génie, et pourtant il n’aimait pas étudier les langues mortes, et encore moins les mathématiques. Voilà qui devrait rassurer les élèves qui trouvent douloureux l’apprentissage de la littérature ou des sciences !

Mais si Victor Hugo a tant souffert à l’école, c’est peut-être qu’on lui a mal présenté les choses. L’axe des X et l’axe des Y sont appelés "cartésiens". Lui a-t-on seulement dit pourquoi Descartes le philosophe a voulu se lancer dans les équations ? Son désir de fonder les choses de manière solide l’a conduit à mettre tous ses espoirs dans les mathématiques. Et au passage, il a réconcilié la géométrie des grecs avec l’algèbre des Arabes et en a fait une seule discipline, la géométrie analytique, utilisée encore aujourd’hui pour optimiser la trajectoire d’une fusée ou calculer la consommation d’énergie d’un moteur.

Les mathématiques sont abstraites par définition. Pour en donner le plaisir, il faut les relier aux autres sciences et les ancrer dans l’humain, dans le quotidien, dans la culture, dans la vie. Comment faire ? Quatre pistes au moins s’offrent à nous.

1. Parler des hommes et des femmes qui les ont développées.

Pourquoi un ballon de football n’a-t-il pas toutes ses faces identiques ? Pourquoi est-il constitué de 12 pentagones et de 20 hexagones ? Ce sont Platon et Euler qui donnent l’explication ! Il faut raconter des histoires de mathématiciens. Comment Pythagore comparait les sons produits en faisant vibrer des cordes de différente longueur ? Pourquoi Pascal le théologien a voulu construire une machine à calculer pour son père ? Pourquoi, cent ans avant l’informatique, Georges Boole a voulu faire des mathématiques en utilisant uniquement les chiffres 0 et 1. Le Gantois Adolphe Quételet a aussi une vie très intéressante, même s’il reste méconnu. Installé à l’Observatoire météorologique d’Uccle dont il était le premier directeur, il eut l’idée d’importer les mathématiques dans les sciences sociales. On lui doit par exemple le concept d’IMC (indice de masse corporelle) encore utilisé aujourd’hui par exemple pour lutter contre l’anorexie dans les concours de beauté.

2. Ancrer les mathématiques dans l’actualité.

Comment vous propose-t-on si souvent sur Internet des choses qui vous intéressent ? C’est parce que les mathématiciens du Big Data ont redécouvert la puissance d’un théorème vieux de 300 ans. L’approche classique du calcul des probabilités va de la cause à l’effet : si je jette un dé, quelle est la chance d’avoir un 5 ? Thomas Bayes inversa la question : si un effet se produit, quelle est la probabilité que ce soit à cause de ceci ou à cause de cela ? Dans le monde d’Amazon cela devient : si un client a acheté un rasoir électrique, quelle est la probabilité que ce soit suite à une publicité vue sur tel site Internet, ou sur tel autre ?

3. Faire des mathématiques sans calcul.

Cela peut sembler étrange, et pourtant c’est possible et même souhaitable. Les équations sont parfois aux mathématiques ce que la grammaire est à la littérature, elles empêchent de voir la beauté et l’harmonie des œuvres. On peut prouver que la somme 1/3 + 1/9 + 1/27 +… vaut 1/2, sans calcul mais avec morceaux de bois dont la longueur correspond aux fractions de la série. Partons d’un bâton d’un mètre que l’on coupe en 3. On garde 1/3, on en jette un autre et le troisième on le coupe en trois pour construire 1/9 et ainsi de suite. Il apparaît que pour arriver au résultat demandé, on aura finalement gardé une moitié du bâton et éliminé l’autre. CQFD !

4. Jouer avec les mathématiques

Si vous demandez à quelqu’un de donner rapidement un ordre de grandeur du produit 2.3.4.5.6.7.8, il proposera un nombre. Mais si vous lui demandez d’estimer tout aussi vite le produit 8.7.6.5.4.3.2, il viendra sans doute avec un autre nombre, beaucoup plus élevé. Pourquoi, puisque le résultat est évidemment le même ?

Demandez-lui de combien de manières différentes on peut couper un carré en quatre morceaux identiques. Il proposera 3, 4 ou 5 solutions et risque de s’arrêter là. Alors qu’il y en une infinité.

Demandez-lui combien de parties sont jouées dans un tournoi de tennis ? Il additionnera probablement une finale, plus deux demi-finales, plus quatre quarts, etc. Alors que le nombre de parties est toujours égal au nombre de joueurs, moins un. Une partie sert en effet à écarter un joueur, et dans un tournoi tous sont éliminés, sauf un.

Les puzzles mathématiques sont autant d’occasions de mieux comprendre comment on pense. Ils révèlent nos biais cognitifs, nous invitent à la créativité, et les quelques calculs y sont secondaires.

Pour en retrouver le plaisir, il faut comprendre les mathématiques mais il faut aussi les voir. On peut certes calculer les orbites des planètes mais il faut aussi voir que le soleil est quatre fois trop gros pour passer entre la Terre et la Lune…

Et puis il faut savoir en rire. Bertrand Russell qui passa dix ans de sa vie à essayer de réconcilier logique et mathématiques a sans doute tenu bon grâce à son humour très anglais. On lui demanda un jour comment définir le nombre deux. Il répondit : c’est ce qu’il y a de commun entre un couple de faisans et une paire de claques…

(1) Luc de Brabandere interviendra lors du colloque Dédra-Math-Isons le mardi 19 avril à LLN. Entrée libre. https ://www.uclouvain.be/dedra-math-isons.html

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