La Belgique peut-elle se passer d'avions de chasse ?
Les chasseurs bombardiers F-16 de l'armée belge seront en fin de vie en 2028. Le gouvernent fédéral s'est engagé à les remplacer. Mais le coût et le manque d'efficacité de ce mode d'intervention sont pointés du doigt par de farouches opposants. Manif dimanche.
- Publié le 21-04-2016 à 20h11
- Mis à jour le 21-04-2016 à 20h23
Les chasseurs bombardiers F-16 de l'armée belge seront en fin de vie en 2028. Le gouvernent fédéral s'est engagé à les remplacer. Mais le coût et le manque d'efficacité de ce mode d'intervention sont pointés du doigt par de farouches opposants. Manif dimanche.
Oui pour Naïma Régueras, présidente de la Coordination nationale d'action pour la paix et la
démocratie (CNAPD).
N’achetons pas de nouveaux avions de combat ! En plus d’être extrêmement coûteux au moment de sérieuses coupes budgétaires, cet investissement est absolument inefficace. Les dernières interventions auxquelles la Belgique a participé en y engageant ses avions de chasse se sont soldées par de cuisants échecs. Investissons plutôt dans des mécanismes de prévention des conflits et de la paix. Vous organisez une manifestation ce dimanche afin de protester contre le remplacement des avions de chasse. Pourquoi vous y opposez-vous ?
Le gouvernement fédéral s’est engagé à acheter de nouveaux avions de combat avant la fin de la législature. La question a donc déjà été tranchée, sans débat, sans transparence... et sans même que la Belgique ait développé de réelle vision stratégique quant à sa place dans la politique extérieure et de défense de l’Europe et, de ce fait, de l’avenir de l’armée belge, impactée par l’investissement annoncé. C’est le monde à l’envers !
Quel est le coût du remplacement de ces avions ?
On parle d’un montant de 15 milliards d’euros pour la totalité du programme de remplacement, qui s’étalerait sur 39 ans, à savoir la durée de vie estimée des appareils. Ils incluent le prix d’achat, annoncé à 3,5 milliards, mais que nous évaluons plutôt à 5 milliards d’euros. Cette décision est hautement irresponsable au vu du contexte budgétaire actuel. Nos gouvernements enchaînent les ajustements budgétaires, les mesures d’économie dans des secteurs fondamentaux. Cet investissement ne répond absolument pas aux besoins de la population belge actuellement.
Par ailleurs, sont évoquées les potentielles retombées économiques d’un tel achat. Aucun élément ne vient étayer cela. De plus, la Belgique ne fait partie d’aucun consortium s’étant proposé pour construire ces avions.
Considérez-vous que cette mesure est inefficace ?
Il suffit de se pencher sur les dernières interventions auxquelles la Belgique a participé en y engageant ses avions de chasse : Irak, Afghanistan, Libye. Si l’objectif de ces interventions était d’y instaurer la paix, la démocratie et la stabilité, elles se sont toutes soldées par un échec cuisant. Sans compter qu’avec de nouveaux avions, la Belgique serait peut-être amenée à intervenir en Syrie. Endiguer le terrorisme et le radicalisme en répondant à la violence par la violence, c’est une pente sur laquelle il ne faut pas glisser et qui est, de plus, incohérente : les bombardements poussent les populations sur le chemin de l’exil. Ces populations dont nos gouvernements se plaignent…
Quelles alternatives envisagez-vous ?
La solution, pour la Belgique, ce n’est pas d’envoyer des avions en terrain de guerre mais d’opter pour d’autres dispositifs, dont sont dotés l’Union européenne et l’Onu, à savoir des mécanismes de prévention des conflits et de reconstruction de la paix. Le problème, c’est qu’ils sont largement sous-exploités et sous-financés et ce, de manière chronique. En Belgique, le service "construction de la paix et prévention des conflits" du ministère des Affaires étrangères a purement et simplement été supprimé il y a quelques années, alors que le budget pour les deux postes s’élevait à un maigre montant de 5 millions d’euros. Une minuscule fraction des milliards que l’on va dépenser pour les nouveaux avions de combat, mais qui pourrait faire une réelle différence. La voie de la prévention ne semble donc pas être celle sur laquelle la Belgique souhaite s’engager.
Par ailleurs, est-ce une plus-value pour la Belgique d’ajouter sa pierre à la surcapacité européenne ? Ne vaudrait-il pas mieux se démarquer dans d’autres secteurs ? Mais cela rentre en contradiction avec l’obsession de rester un membre crédible et fiable de l’Otan.
Justement, la Belgique est tenue de remplir certaines obligations sur la scène internationale…
L’organisation transatlantique a déjà tapé à plusieurs reprises sur les doigts de la Belgique, en pointant des dépenses militaires beaucoup trop faibles par rapport aux autres pays membres. Je ne vois donc dans cette décision qu’une volonté de rentrer dans le rang…
Se pose la question du modèle. De celui-ci dépend le maintien ou non de la capacité nucléaire sur ces avions. Ceci implique que nous pourrions être amenés à transporter des armes de ce type, qui se trouvent sur la base aérienne de Kleine Brogel. On engage la Belgique sur cette voie pour les 39 années à venir ! Cela rentre en contradiction avec la tendance internationale. Car, contrairement à la Belgique, 127 pays de l’Onu ont signé le traité de non-prolifération nucléaire.
Non pour Denis Ducarme, chef de groupe MR à la chambre
Intervenir à l’étranger n’est pas la seule mission d’une flotte de chasse. D’abord, tous les Etats ont besoin d’avions de chasse pour sécuriser leur espace aérien national. Ensuite, nous sommes solidaires des autres pays membres de l’Otan que nous aidons à renforcer leur espace aérien si besoin. Enfin, l’armée de l’air est un des instruments, parmi d’autres, de notre politique étrangère et de défense.
La Belgique peut-elle se passer d’avions de chasse ?
C’est non, sans aucun doute, et je me suis engagé personnellement pour que le remplacement des F-16 figure dans l’accord de gouvernement. Tous les Etats ont besoin d’avions de chasse pour sécuriser leur espace aérien national : une force aérienne sert en premier lieu à cette mission. Contre qui ? Contre des menaces tangibles et concrètes, ainsi qu’en vue d’assurer le respect des règles de circulation aérienne. Au niveau du continent européen, c’est l’Otan qui coordonne cette fonction. Dans ce cadre, nous sommes solidaires des alliés de l’Otan : actuellement, nous aidons les Pays baltes à renforcer leur espace aérien vis-à-vis de leur voisin russe.
Par rapport à l’Otan, y a-t-il donc une obligation de posséder une flotte de chasse ?
A mon sens, cela fait partie du rôle de ce que les Etats responsables doivent assumer au sein de l’Otan. Donc : il faut des avions de chasse pour protéger notre espace aérien et, le cas échéant, celui des autres pays membres de l’Otan.
Y a-t-il d’autres raisons qui empêchent que l’on envisage de ne pas remplacer notre flotte en fin de vie ?
Il y a une troisième raison. On a aussi besoin d’une armée de l’air. Elle est un des instruments, parmi d’autres, de notre politique étrangère et de défense, que le gouvernement utilise d’ailleurs dans le cadre de la coalition internationale contre Daech, dans laquelle nous sommes parfaitement associés.
Ne pourrait-on imaginer que les besoins des Etats en matière de politique étrangère diminuent en fonction de la mise en place d’une plus grande coordination au niveau européen ?
Il est clair qu’il faut continuer à travailler à une plus grande intégration au niveau européen mais il ne faut pas être naïf : aujourd’hui, les avancées concrètes et significatives en matière de défense européenne sont au point mort.
Dans quelle mesure une plus grande intégration européenne diminuerait-elle le nombre d’avions de chasse nécessaires ?
Le nombre d’avions est déterminé en fonction de l’environnement de sécurité. Ainsi, pendant la guerre froide, nous comptions 160 F-16 et 90 Mirage V, pour 54 F-16 aujourd’hui (dont 6 en réserve). Notre budget Défense dépassait les 3 % du PIB, pour 0,9 aujourd’hui et 1,30 demain. Ce gouvernement est le premier à réinvestir dans la Défense nationale depuis la fin de la guerre froide. L’environnement de sécurité que nous connaissons aujourd’hui est particulièrement sensible. Regardez la situation en Ukraine et en Syrie qui impose aux Etats responsables de réinvestir dans leur outil de défense. Le gouvernement Michel le fait.
Où en est-on de cette intégration européenne ?
Disons qu’elle progresse, mais trop peu. On doit constater qu’il est beaucoup plus facile aujourd’hui d’organiser une collaboration européenne pour des opérations civiles que pour des opérations militaires. Dans ce dernier domaine, les Etats européens ne sont pas encore suffisamment passés aux actes.
Autre argument contre le remplacement de nos avions de chasse : le budget. Le plan stratégique du ministre de la Défense prévoit 5,5 milliards d’euros. Risque-t-il de devoir être revu à la hausse ? Cette dépense n’est-elle pas irresponsable ?
Le budget ne devra pas être revu à la hausse. Il ne faut pas oublier qu’il sera réparti sur plus de 40 ans. De plus, il peut y avoir des retours sur investissements, des retombées industrielles, riches en termes d’emplois pour notre pays, comme ce fut le cas avec les F16. A ce stade, cinq avionneurs sont toujours en concurrence.
Ne vaudrait-il pas mieux miser davantage sur la prévention des conflits ?
Mais ce n’est pas négligé : l’un n’exclut pas l’autre.
Les opérations militaires menées en Libye, en Afghanistan ou en Irak donnent-elles, selon vous, les résultats escomptés ?
Ce sont des situations différentes. Un constat : pour la situation en Syrie et en Irak, les frappes de la coalition internationale portent partout leurs fruits. Daech recule.