Autant de fois homme qu’on parle l’anglais
Non, il ne faut pas s’inquiéter de la domination du globish, forme dépouillée de l’anglais, présentée comme la solution intégrée aux problèmes de communication dans le monde. OPINION.
Publié le 27-04-2016 à 12h14 - Mis à jour le 27-04-2016 à 12h17
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Dans nos contrées aussi, l’expression "On est autant de fois homme qu’on connaît de langues" prend tout son sens. L’anglais, "indeed", est entré dans nos vies, elle règne en majesté. En politique, dans les universités, dans les entreprises "mainly", l’anglais est un visa qui ouvre des portes. Est-ce à dire que par les temps qui courent, mieux vaut privilégier les valeurs marchandes sans pour autant négliger les valeurs éthiques ? C’est facile et le monde entier a compris. Comme disent les linguistes, dans bien des cas, les mots utilisés sont transparents. "It’s obvious", vous voyez ce que je veux dire : le "template management" et autres "balanced scorecard" sont des "must have" car il y a là un "competitive advantage which makes the difference", nous en avons parlé lors des "team building sessions".
Bruxelles polyglotte
Dans la capitale de l’Europe, l’anglais est devenu, dans 90 % des cas, la langue véhiculaire des eurocrates. Dans le monde de l’édition et des médias, l’anglais a pignon sur rue et pour s’assurer d’une audience mondiale, il est "highly recommended" de se faire éditer dans la langue de Churchill. Comme le disent les jeunes : c’est cool et pas badant. La plupart des articles scientifiques sont publiés en anglais. Il serait facile ici de paraphraser le général de Gaulle : "A Bruxelles chacun a deux langues maternelles, l’anglais et puis la sienne." Outre-Moerdijk, de nombreux "educated speakers" considèrent l’anglais comme leur seconde patrie. De fait, pourquoi ne pas encourager l’usage de l’anglais sans rancune et même avec entrain ? Quitte à ce que le néerlandais, langue parlée par un peu plus de 20 millions de locuteurs dans le monde, soit relégué au rang de langue des petites choses de tous les jours, impropre à l’usage scientifique.
Les Néerlandais préfèrent résumer la situation de la sorte : l’anglais en cycle de master, là où c’est fonctionnel. Mais des cours de néerlandais sont nécessaires. De 2009 à 2013, l’ensemble des matières enseignées en anglais chez nos voisins du nord est passé de 64 % à 80 %. Dans les écoles supérieures, 15 % de l’enseignement se fait déjà en anglais et en cycle de bachelier aussi, l’enseignement en anglais se généralise de plus en plus. Ainsi, le nombre de professeurs internationaux donnant leurs cours exclusivement en anglais ne cesse d’augmenter. Les universités sollicitent de plus en plus souvent un financement international et les formalités administratives se font en… anglais. Enfin, les programmes Erasmus (5 à 6 millions d’étudiants ont déjà bénéficié d’une mobilité internationale depuis 25 ans) ont eux aussi accéléré l’introduction de l’anglais dans le monde universitaire.
Speak globish !
Certains pourtant s’inquiètent de la prééminence de l’anglais à l’université, dénonçant cette hégémonie linguistique anglo-saxonne perçue comme une réelle menace à la survie des langues dites mineures. Le néerlandais mais aussi le français s’anglicisent, à coups d’intrusions et d’emprunts linguistiques, qui, à doses homéopathiques, restent acceptables car la langue est le miroir d’une communauté, elle vit et évolue avec elle.
Le dernier vaccin contre tout effondrement de la tour de Babel est présenté comme la solution intégrée aux problèmes de communication internationale : le globish. Il s’agit d’un langage artificiel qui est une forme dépouillée de l’anglais possédant une grammaire simplifiée et qui ne compte pas plus de 1 500 mots. D’aucuns prétendent que cette version light de l’anglais courant permet désormais de converser, efficacement et sans grands efforts ni connaissance approfondie de la grammaire, avec les anglophones d’abord, mais aussi avec les autres, les non anglophones - c’est-à-dire 88 % des habitants de la planète. Le globish donnerait même aux francophones un avantage considérable sur les anglophones qui se persuadent d’être compris partout, mais ne le sont guère… C’est aussi la seule initiative pouvant permettre au français de se maintenir en une place enviable face à l’anglais, en lui conservant une diffusion de qualité et de prestige, en soutien de sa culture. Le globish a même réussi à détrôner l’espéranto - idiome artificiel parlé par quelques dizaines de milliers de passionnés dans le monde mais qui n’a jamais vraiment décollé sur le Vieux Continent. L’idiome a réussi à s’imposer comme "lingua franca" à l’échelle de la planète quitte à provoquer une levée de boucliers de la part d’une poignée de linguistes et de sociologues. Ces mêmes détracteurs affirment que "l’anglicisation radicale" et la forte progression de ce dialecte mondial à l’université se font aux dépens de l’acquisition du vocabulaire spécialisé dans la langue maternelle. Ils craignent en outre que cette expansion constitue une menace pour la diversité culturelle ainsi que pour la pureté de la langue anglaise.
Une focalisation trop exclusive sur la "lingua franca" constitue-t-elle une réelle menace en créant un fossé entre le monde universitaire et le citoyen ? Cette tendance conduit-elle à l’étiolement de la langue et à une dégradation de la qualité de la pensée ? Rien à ce jour ne prouve que les nuances et la précision de la langue naturelle ne s’évaporent au profit du dialecte universel mis en cause. Il est dès lors exagéré de prétendre que l’anglicisation de l’enseignement supérieur pourrait à la longue entraîner une ségrégation sociale dont les premières victimes sont les immigrés. La science ne perdra jamais le contact avec la collectivité, ni sa légitimité ni sa crédibilité à cause de l’anglais qui ne fait que faciliter la communication entre des locuteurs de nationalités variées. En revanche, faire du globish sa seule langue véhiculaire serait une grave erreur.