Réenchantons la démocratie belge !
Ouvrir les portes du monde politique aux citoyens ? Une urgence ! Voici trois manières de combler le manque de légitimité du système actuel, et de réconcilier les gouvernants et les gouvernés. Opinion.
- Publié le 18-07-2016 à 13h21
- Mis à jour le 18-07-2016 à 13h25
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Ouvrir les portes du monde politique aux citoyens ? Une urgence ! Voici trois manières de combler le manque de légitimité du système actuel, et de réconcilier les gouvernants et les gouvernés. Une opinion d'Aymeric de Lamotte, conseiller communal MR et avocat.
L’Europe et la Belgique témoignent d’une fatigue démocratique de plus en plus palpable. Pourtant, la démocratie comme mode de gouvernement est soutenue par une majorité écrasante de citoyens. Il apparaît ainsi que c’est en réalité la manière dont cette dernière est pratiquée qui suscite aigreur et rejet. En effet, nos démocraties contemporaines se sont érigées en s’écartant radicalement de la philosophie fondatrice de leur ancêtre, le système démocratique athénien, c’est-à-dire l’absence de distinction entre politiciens et citoyens.
Ce billet propose trois manières de combler le manque de légitimité, et de cheminer ainsi vers une réconciliation entre les gouvernants et les gouvernés. Les mots de David Van Reybrouck, dans son ouvrage singulier au titre provocateur "Contre les élections" (1), sonnent comme un ultimatum : "C’est très simple : ou bien la politique ouvre toutes grandes ses portes, ou bien celles-ci ne tarderont pas à être enfoncées par des citoyens en colère qui réduiront en miettes le mobilier de la démocratie, décrocheront le lustre du pouvoir et l’emporteront dans la rue." Nous voilà avertis; il est plus que temps d’agir.
1. Suppression de l’effet dévolutif de la case de tête et des suppléants. Cette idée est un vieux cheval de bataille médiatique de nombreux partis mais tarde à se concrétiser. L’effet dévolutif signifie que les votes effectués en "case de tête", c’est-à-dire pour le parti et non pour des personnes, sont reportés pour leur moitié aux candidats en fonction de leur place sur la liste, favorisant ainsi les mieux placés. Les partis politiques détiennent, dès lors, le pouvoir illégitime de décider à l’avance des noms qui sortiront gagnants des urnes. Ceci débouche sur des contradictions démocratiques ahurissantes où certains candidats, ayant pourtant engrangé un score électoral parfois deux à trois fois plus élevé, sont contraints de céder leur place à un autre candidat mieux placé. Seul le report des votes de la case de tête sur les candidats devrait être supprimé et non la présence de la case de tête en tant que telle. En effet, celle-ci joue un rôle crucial dans la répartition des sièges dans notre complexe système D’Hondt et permet au citoyen de marquer son adhésion plutôt en faveur d’un programme et d’un projet de société que d’une personnalité. Quant aux suppléances, la même critique s’applique : si l’on suit notre logique démocratique, il appartiendrait au candidat non élu ayant obtenu le plus de voix de remplacer le représentant sortant, et non à un candidat suppléant ayant souvent engrangé nettement moins de votes.
2. Des référendums à tous les niveaux de pouvoir. Face au silence de la Constitution belge quant à la faculté de recourir à ce procédé de démocratie directe, son Article 33 a été interprété comme le prohibant. Ainsi, aucun référendum ne pourra voir le jour sans procéder à une révision constitutionnelle qui implique la dissolution des Chambres et la tenue de nouvelles élections. Nous avons donc jusqu’aux prochaines élections fédérales et régionales de 2019 pour concevoir cette réforme. Selon ma perspective, les référendums locaux et régionaux, d’une part, porteraient sur des enjeux essentiels et concrets, notamment d’urbanisme ou de mobilité, pour lesquels le citoyen est en mesure de se forger une opinion éclairée sans devoir recouper l’information à l’infini. Au niveau fédéral, d’autre part, je privilégierais la méthode référendaire pour trancher de grandes questions sociétales, notamment éthiques. Ceci limiterait l’apparition de deux risques qu’enfante cette technique : le vote qui s’écarte de la question posée et qui se dénature en "vote sanction" du gouvernement en place, ainsi que l’influence des arguments démagogiques due à la technicité de l’enjeu. En effet, la question serait plutôt à traiter avec sa propre conscience et avec la conception que chacun se fait de l’homme. Je pense, plus particulièrement, aux questions liées à l’intelligence artificielle, au transhumanisme ou "l’homme augmenté" (modification de l’ADN, implants pour augmenter les fonctions cognitives, etc.). Si, d’une part, ces avancées technologiques et médicales repoussent les frontières de l’incurable (maladies, cancers…), elles posent, d’autre part, des questions essentielles à propos de notre conception de l’égalité, de la liberté de l’enfant de ne pas se voir imposer des choix prénataux, de la place du hasard de la naissance par rapport au choix, de la notion même de souveraineté populaire.
3. Le Sénat tiré au sort. David Van Reybrouck, dans son ouvrage mentionné plus haut, déploie toute son énergie à réhabiliter la pratique du tirage au sort. A propos de la Belgique, il recommande l’instauration d’un système bireprésentatif composé d’une Chambre des représentants élue au suffrage universel et d’un Sénat tiré au sort. Je retiens deux arguments majeurs qui m’incitent à plaider pour une telle réforme. D’une part, l’opinion largement répandue d’une inévitable incompétence des citoyens tirés au sort me paraît infondée, et ceci pour plusieurs raisons. Primo, la même rhétorique s’opposait au droit de vote des ouvriers, des agriculteurs et des femmes à l’époque. Secundo, les politiciens élus n’ont pas spécialement de compétence préalable dans les matières dont ils ont la charge, ils sont aidés par des spécialistes et leur préoccupation de se faire réélire les écarte parfois de la recherche de l’intérêt général. Tertio, les jurés d’assises, tirés au sort depuis la naissance de l’Etat belge, n’ont pas la réputation de se montrer imprudents ou irresponsables, bien au contraire. Enfin, les expériences de démocratie délibérative, qui ont été menées jusqu’ici à travers l’Europe, témoignent de leur approche constructive et de la finesse des recommandations émises. D’autre part, le Sénat qui vient d’être réduit à 60 sénateurs non élus au suffrage direct et qui s’apparente désormais plus à une chambre de réflexion, me semble être le laboratoire le plus indiqué pour un changement aussi radical.
Relevons ce défi démocratique et montrons le chemin à suivre au reste de l’Europe !
(1) David Van Reybrouck, "Contre les élections", Ed. Actes Sud, 2014, 189 pp.